Le processus d’indemnisation des victimes du régime nazi a été lourd et il n’est pas tout à fait terminé avec les demandes de restitution d’œuvres d’art par exemple, pour laquelle se battent les descendants de Juifs spoliés, ayant repéré des objets de leur patrimoine familial dans des musées ou des bibliothè-ques publiques de par le monde. Au Luxembourg, le dernier dossier n’a été clôturé qu’en 1989, soit 44 ans après la fin de la guerre. La Commission spéciale pour l’étude des spoliations des biens juifs au Luxembourg pendant les années de guerre 1940-1945 (d’Land, 28.12.2001) souligne dans son rapport final, publié cette semaine, que les procédures étaient compliquées et exigeaient beaucoup de temps, même si les demandes de restitution ou d’indemnisation furent traitées de façon pragmatique. La majorité des dossiers fut achevée entre 1960 et 1964. Et la persécution raciale n’avait pas été reconnue comme motif suffisant pour avoir droit à une indemnisation.
Comme le gouvernement avait fixé des conditions de nationalité et de territorialité à la restitution des biens et aux dédommagements, la plupart des victimes dut attendre la conclusion de traités de réciprocité pour faire valoir ses droits. Le traité germano-luxembourgeois par exemple, ne fut signé qu’en juillet 1959. Cependant, les personnes ressortissantes de pays qui n’ont pas conclu de tels accords avec le gouvernement luxembourgeois ren-traient bredouilles, même si elles continuaient à vivre au Luxem-bourg. « La complexité de la procédure, l’extension progressive de l’indemnisation à une partie de Juifs étrangers ou apatrides et la reconnaissance tardive de la perte de salaire comme dommage indemnisable, sont autant de facteurs qui ont retardé l’accomplissement du processus d’indemnisation », écrivent les historiens dans leur rapport.
Même lorsque les dossiers paraissaient évidents, les propriétaires juifs avaient souvent des difficultés à récupérer leurs biens. Ainsi, dans le secteur des entreprises qui avaient été « aryanisées », des discussions difficiles concernaient la valeur des investissements réalisés dans l’intervalle par les nouveaux propriétaires. La resti-tution des avoirs en comptes en banques et dépôts de titres qui avaient été confisqués pendant l’occupation n’a pas été sans embûches. En juillet 1947, le ministre des Finances avait adressé une lettre circulaire aux instituts financiers du grand-duché qui ne concernait que les ressortissants luxembourgeois – les autres durent attendre un jugement du tribunal d’arrondissement. Aujourd’hui encore, les banques conservent quelque 200 comptes dormants dont les propriétaires ou les ayant droits ne se sont jamais manifestés. Des dépôts de titres orphelins se trouvent dans deux banques au moins.
Le patrimoine juif immobilier – plus facile à retracer que les avoirs mobiliers – a été restitué à 97,5 pour cent à ses propriétaires. La plupart des 25 autres terrains avait été cédée par les Juifs à leurs conjoints non juifs pour échapper à la rafle allemande. D’autres avaient été vendus avant 1940, par anticipation sans doute. La Commission conclut que « la restitution des biens était faite si ces biens avaient été confisqués par l’Abteilung IV A qui apparaissait dans la suite comme vendeur de ces biens ».
Cette même division avait été en charge de la confiscation des biens mobiliers, des livres et des œuvres d’art, dont la grande majorité n’a pas été retrouvée. Or, les autorités ont choisi la voie de la facilité à l’époque, en mettant le relevé du mobilier vendu par les nazis avec les noms des acquéreurs à disposition du public. Aux victimes de se débrouiller pour tout reprendre, « on laissa aux anciens propriétaires le soin d’aller récupérer leurs biens chez les acquéreurs, entreprise qui a créé bien des problèmes entre voisins ». Les objets de valeur avaient été exportés vers l’Allemagne et n’ont jamais été rapatriés. Des quantités de livres ont disparu, aucun des quarante tableaux listés n’a été retrouvé – il s’agissait avant tout d’œuvres du peintre Guido Oppenheim, lui-même déporté vers Auschwitz à l’âge de 82 ans. Une des recommandations de la Commission est d’ailleurs de demander aux instituts culturels nationaux de restituer au Consistoire israélite et aux victimes des objets culturels, de culte et des œuvres d’art « qui pourraient se trouver dans leurs collections depuis les années de l’occupation ». Ce n’est donc pas fini.