L’État luxembourgeois ne laissera pas tomber les banques en faillite. La promesse faite par le Premier ministre Jean-Claude Juncker mérite des nuances, car le soutien public, à travers par exemple les garanties que l’État pourrait être amené à apporter aux établissements de crédit dans les opérations interbancaires pour qu’ils obtiennent des liquidités nécessaires à leur fonctionnement, ne s’appliquent pas à toutes les 150 banques recensées sur la place financière.
À la recherche des banques systémiquesPour qui l’État luxembourgeois pourrait-il se porter garant ? La liste des banques présentant un risque « systémique », c’est-à-dire que leur défaillance entraînerait des répercutions importantes sur le reste du système bancaire et l’économie nationale, n’a pas été dressée. Personne n’a intérêt à le faire d’ailleurs, par crainte d’un basculement des clients vers des établissements « sûrs » pour lesquels l’État sera forcé de prêter une main secourable en cas de défaillance. La ruée des épargnants vers la Spuerkeess est une fausse bonne affaire pour la banque publique et donc l’État lui-même, parce que plus le nombre de déposants et des comptes gonflent, plus les engagements que cet établissement serait amené à faire au titre du système de la garantie des dépôts, qui s’appuie sur la solidarité de ses membres, seront importants. La BCEE étant, en raison de ses positions sur le marché local, le plus gros contributeur de l’AGDL, ses dirigeants craignent un emballement de la machine infernale. Plus accessoirement, le nouveau traitement des réserves à provisionner par les banques pour la garantie de dépôt (entre cinq et dix pour cent des dépôts) pourraient amputer le bénéfice de la Spuerkeess et donc les dividendes escomptés (35 millions d’euros attendus en 2009).
Pour le directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), Jean-Nicolas Schaus, interrogé par le Land, il ne fait pas de doute que la Banque et Caisse d’Épargne de l’État, Dexia et Fortis font partie du club des banques à caractère systémique. La réponse est plus réservée pour les autres. Et la banque Raiffeisen, ING ou la Poste, très implantées dans le tissu économique luxembourgeois ? Et le colosse Deutsche Bank ? Il n’y aura pas de faillite des banques avec lesquelles le gouvernement fait du business, a expliqué mardi Jean-Claude Juncker, sans pour autant rentrer dans le détail de son assertion. Dans un autre contexte, le chef de l’Eurogroupe a estimé à 44 le nombre de banques à caractère systémique, sur les quelque 8 000 que compte l’Europe.
Les critères à prendre en compte sont tout aussi flous que les déclarations de bonne foi des dirigeants. L’emploi est-il un élément déterminant pour mériter un coup de main public ? La banque Kaupthing, avec ses 400 salariés, ne devrait-elle pas être soutenue à bout de bras dans ce cas-là ? Sous pression par les Belges, le gouvernement active tous ses réseaux pour trouver une solution pragmatique au sauvetage de Kaupthing, à travers notamment la recherche d’un repreneur (lire p.12-13). Ouf, car l’actionnement de la garantie de dépôts, dont on saura seulement ce vendredi à l’issue du Conseil de gouvernement, à quel montant elle sera fixée (50 000 euros ou même davantage, comme l’espèrent les déposants belges qui ont manifesté mercredi devant les fenêtres du Premier ministre belge) aurait pu coûter cher aux banques, déjà mises à mal par la crise. Jean-Claude Juncker pourrait dévoiler aussi les intentions du gouvernement sur les délais de remboursement des déposants après la faillite d’une banque. La Commission de Bruxelles demande aux États membres de raccourcir les délais de trois à neuf mois (trois mois au Luxembourg) à trois jours. Infaisable, lui rétorquent ses détracteurs, qui l’accusent volontiers de verser dans le populisme.
GouvernanceL’intervention de l’État dans les banques en difficulté ne sera pas gratuite, a encore prévenu le Premier ministre. Sur le papier, le gouvernement luxembourgeois ne laisse pas entrevoir le prix de son aide. Il ne fait pas davantage la démonstration écrite de son engagement à conditionner ses aides à certains principes de bonne gouvernance, pour avoir notamment un œil sur les salaires et les primes des dirigeants des entreprises soutenues, interdire les rachats d’action ou se développer de manière prédatrice. Les textes sont désespérément muets à ce sujet. Le règlement grand-ducal publié vendredi 10 octobre, autorisant le gouvernement à octroyer une garantie financière au groupe bancaire Dexia à hauteur de 4,5 milliards d’euros maximum, précise uniquement que la contrepartie pour l’État sera une « rémunération reflétant l’avantage que la garantie confère au groupe bancaire Dexia sur base de conditions de marché normales ». L’amendement gouvernemental au projet de loi portant amélioration du cadre législatif de la place financière, qui autorisera le gouvernement à lever trois milliards d’euros pour Fortis et Dexia sous forme d’un emprunt à moyen ou long terme, ne se montre guère plus évocateur que le règlement grand-ducal en matière de gouvernance. Les débats à la Chambre des députés, mercredi où le projet de loi a été adopté, n’a pas fait la lumière à ce sujet. Pourtant la veille, les parlementaires, la main sur le cœur, s’accordaient à dire qu’il fallait changer le fonctionnement du système financier pour le rendre plus transparent et en empêcher les dérives.
Nul ne sait jusqu’à quand l’État va s’engager dans les banques. Jean-Claude Juncker a indiqué mardi qu’il se retirerait « aussi vite que possible ». Mais il s’est bien gardé de faire le moindre pronostic sur la date d’une sortie de crise, indiquant qu’il ne voyait pas le bout du tunnel.
Les investisseurs ne devraient pas cracher sur les émissions que l’État s’apprête à lancer pour financer son intervention dans les deux banques « systémiques ». L’appétit des investisseurs va plus que jamais aux placements réputés comme « sûrs » – et l’État luxembourgeois a toujours été considéré comme une valeur-refuge –, ce qui devrait lui permettre de se financer à relativement bon prix. Le ministre du Trésor et du Budget n’a jamais cessé de dire, depuis les premières interventions publiques dans le sauvetage de Dexia et Fortis, que ce soutien sera une « bonne affaire » pour les caisses de l’État.
Parachutes dorésConformément au message donné par l’Eurogroupe à Paris dimanche 12 octobre et dans la lignée du message qu’il assène depuis des mois lors des conseils Ecofin sur les rémunérations exorbitantes des dirigeants, Jean-Claude Juncker veut s’attaquer aux indemnités de départ empochées par les dirigeants d’institutions financières. Le discours est opportuniste du point de vue politique, mais le chantier se révèle plutôt épineux sur le plan de la faisabilité pratique. C’est plus facile à dire qu’à faire. Plus question, a prévenu le chef du gouvernement, que les entreprises déduisent de leurs impôts les indemnités de départ et qu’au final, la facture soit réglée par le contribuable lambda.
Par où le Premier ministre et ministre des Finances va-t-il commencer les travaux cornéliens que ses engagements européens lui imposent ? Il a indiqué mardi à la Chambre des députés que le gouvernement tentera dans un premier temps de trouver un accord à l’amiable avec le secteur financier. Mais vu la considération que les uns et les autres semblent se porter, on peut s’interroger sur les chances de succès d’un accord qui pourrait n’engager que ceux qui y ont cru. L’alternative serait pour le gouvernement de s’en remettre à l’Administration des contributions directes, laquelle dispose de la faculté d’émettre une circulaire. Rien n’est plus hypothétique. La législation sur la fiscalité des « suppléments de salaires » est sans doute trop floue pour que le directeur de l’ACD s’aventure dans des interprétations qui risqueraient de lui valoir un camouflet en cas de contestation. Un projet de loi se révèlerait plus prudent pour engager une réforme. Mais là encore, le gouvernement marchera sur des œufs pour ne pas donner aux milieux d’affaires l’impression de s’ingérer outrageusement dans leurs affaires, alors que le succès de l’entreprise Luxembourg S.A. vient justement du pragmatisme et de la flexibilité du modèle de gouvernance des autorités qui s’appuient sur le principe selon lequel le marché s’autorégule.
De quel secours peut être la loi sur l’impôt sur le revenu (LIR) ? Il y a deux ans, en 2006, dans le cadre des accords tripartites, les partenaires sociaux et le gouvernement s’étaient mis d’accord sur une clause anti-abus qui a permis de mettre un frein au régime d’exemption total d’impôts sur les « parachutes dorés » que s’octroyaient les dirigeants d’entreprises luxembourgeoises. Cette clause est toutefois difficilement applicable par l’Administration des contributions directes pour lui permettre de requalifier fiscalement certaines indemnités, en les taxant par exemple comme des bénéfices cachés. La réglementation a également introduit des plafonds et des critères : la déductibilité pour les entreprises ne s’applique pas au-delà d’un plafond correspondant à douze fois le salaire social minimum d’un travail qualifié. Cette déduction n’intervient en outre que s’il y a fermeture de l’entreprise, plan social ou résiliation abusive du contrat de travail. Toutefois, les routes de contournement seraient encore assez nombreuses pour les dirigeants en partance, qui sont souvent tentés de feindre un conflit avec leur entreprise pour faire exempter leurs super primes d’impôts.
Le projet de loi sur la réforme de la fiscalité des ménages et des entreprises déposé le 1er octobre dernier, dans le sillage du projet de loi de budget pour 2009, pourrait fournir au gouvernement l’occasion de modifier le traitement fiscal des parachutes dorés, à travers des amendements. D’ailleurs, le texte initial s’attaque déjà à certaines imperfections du mécanisme de la loi sur l’impôt sur le revenu. Il est toutefois probable qu’il faudra aller au-delà des amendements de ce texte du 1er octobre pour assurer la conformité du discours du Premier ministre et de ses engagements dans le cadre de l’Eurogroupe au cadre juridique et légal du grand-duché. Reste au gouvernement une autre arme avec son entrée dans le capital des deux banques Fortis et Dexia. Avec un des siens, en l’occurrence Gaston Reinesch, l’administrateur général au ministère des Finances, aux commandes du conseil d’administration de Fortis/BGL BNP Paribas – l’État luxembourgeois aura d’ailleurs droit à trois autres mandats – et sa minorité de blocage de 33,3 pour cent, le gouvernement pourrait peser sur les fiches de paye des dirigeants de la banque. Comment ? En revoyant les conditions des contrats de travail en cas de départ. Un exercice tout de même délicat et qui relève en outre de la cuisine interne de la banque.
Ma tante, la BCLPourquoi, se sont demandés certains spectateurs de la prestation de Jean-Claude Juncker mardi à la Chambre des députés, a-t-il parlé en allemand, et répété par deux fois son message, lorsqu’il a annoncé que le gouvernement luxembourgeois et la Banque centrale du Luxembourg prendront « toutes les mesures nécessaires pour protéger la liquidité des fonds du marché monétaire (money market funds) de droit luxembourgeois ». Cette mesure de protection permet au marché luxembourgeois des Sicavs monétaires (294 milliards d’euros d’actifs sous gestion au dernier décompte de la CSSF), principalement dominé par des promoteurs allemands, de faire jeu égal avec ce qui se fera la semaine prochaine en Allemagne avec un accès aux liquidités plus facile auprès de la banque centrale allemande. Confrontés à des demandes de rachat importantes partout en Europe, les fonds monétaires peinent à trouver l’argent nécessaire pour assurer leurs engagements. En échange de garanties gagées auprès des banques centrales, ces dernières pourront ouvrir les robinets des liquidités. En copiant ce que le gouvernement d’Angela Merkel a annoncé cette semaine pour les fonds monétaires de droit allemand (la mesure s’appliquera la semaine prochaine, ce qui devrait également être le cas au grand-duché), le Premier ministre luxembourgeois a cédé à la pression des opérateurs du secteur financier. Son geste permettra de protéger les parts de marché luxembourgeois et de retenir les promoteurs d’origine allemande, tentés de revenir dans leur pays d’origine en raison du niveau de garantie qui y est offert de l’autre côté de la Moselle. Les détails techniques de cette mesure font encore l’objet de discussions à Luxembourg. L’une des questions épineuses à régler reste les contreparties que les fonds monétaires devront fournir auprès de la Banque centrale du Luxembourg en échange de liquidités. Le débat n’a ici plus rien de technique ni d’académique, dans la mesure où les gages donnés par les fonds monétaires pourraient être des produits dits « toxiques » qu’ils ont mis en portefeuille pour offrir aux investisseurs des rendements un peu supérieurs à ce que le marché monétaire proposait.
Il s’agit pour l’essentiel de produits qui sont à l’origine de la crise des marchés financiers dans le monde, les fameuses subprimes. Les Américains vont cantonner les actifs toxiques, qui ne sont pas écoulables sur le marché actuellement, dans un fonds poubelle. Les Européens ont rejeté l’idée d’un tel fonds. Les banques centrales feront-elles les éboueurs ?