Sauver les meubles et sauvegarder la place financière, c’est-à-dire, l’argent des déposants et les emplois d’abord et ensuite des positions fortes sur le marché de la gestion privée, à l’origine de la prospérité luxembourgeoise. Au prix d’un électrochoc culturel. En délaissant les bras des Belges pour se jeter dans ceux des Français, ce qui redeviendra dans quelques semaines la BGL ou presque, première banque des entreprises et la seconde des ménages après la Banque et Caisse d’Épargne de l’État, a marqué la fin d’une époque. Celle d’un établissement qui avait su malgré tout conserver une certaine autonomie dans la tenue de ses affaires, malgré les tendances hyper-centralisatrices d’un modèle de banque entièrement focalisé sur des business lines. Le mécano n’a pas fonctionné comme prévu.
La reprise en main de Fortis Banque Luxembourg par BNP Paribas est un vrai choc culturel pour un établissement qui a toujours été un peu belge (le premier siège de la Banque générale de Luxembourg était situé à Arlon), mais a réussi l’exploit de garder une âme luxembourgeoise. Un management local aussi, qui lui a donné sa force de frappe sur le marché national.
Le rêve d’indépendance de la Fortis Luxembourg, avec des partenaires privés luxembourgeois jouant les sauveurs aux côtés de l’État luxembourgeois, qui avait acquis il y a deux semaines, 49 pour cent de son capital en échange d’un coup de main à 2,5 milliards d’euros, n’a pas tenu plus qu’une semaine.
L’entrée du géant bancaire français BNP Paribas a remis les pieds sur terre aux dirigeants de la banque et aux politiques aussi. « On est une banque à développement régional. Revenons à nos sources », a déclaré Carlo Thill, le patron de Fortis Banque Luxembourg lors de la conférence de presse qui a suivi la prise de contrôle de BNP Paribas. Ce groupe va détenir quelque 67 pour cent de l’entité luxembourgeoise, à côté de l’État luxembourgeois qui en aura le solde de 33,3 pour cent, avec une minorité de blocage et une présidence au conseil d’administration de ce qui va devenir, d’ici deux mois et demi, BGL BNP Paribas, et puis se diluer dans le groupe français.
Il n’est pas question, à terme, de garder deux banques au Luxembourg, a prévenu Alain Papiasse, le président du Conseil d’administration de BNP Paribas Luxembourg et membre du comité de direction du groupe BNP Paribas à Paris. En achetant les réseaux Fortis en Belgique et au Luxembourg, le groupe table sur des synergies d’environ 500 millions d’euros d’ici 2011. Avec donc le droit d’inventaire, même si le nouvel actionnaire a promis de ne pas tailler dans les effectifs au Luxembourg. La logique du développement avec l’acquisition du formidable réseau d’agences de banque de détail de Fortis au Luxembourg devrait permettre aux nouveaux maîtres d’absorber les effectifs de la banque. Tout dépendra de la manière dont évolueront les affaires.
Cette prospérité espérée est également conditionnée par la confiance que les épargnants européens garderont dans la place financière de Luxembourg. C’est pourquoi le gouvernement luxembourgeois n’a compté ni ses efforts ni les sous pour sauver des maisons comme Fortis ou Dexia. Et qu’il s’est déclaré prêt à intervenir encore si un nouveau grand naufrage, qui produirait un effet de domino sur le reste de l’économie luxembourgeoise se présentait.
« Si nous avons fait cette transaction, a insisté Luc Frieden, ce n’était pas uniquement pour aider un établissement bancaire. Nous l’avons fait pour prévenir une crise systémique. C’est pour ça que nous avons fait une opération pour cette banque, c’est pour cela aussi que nous sommes intervenus dans le dossier Dexia. L’État doit jouer son rôle quand il y a des moments de grande incertitude quand les marchés ne fonctionnent pas normalement. »
L’État actionnaire veillera au grain pour que les promesses sociales de BNP Paribas n’engagent pas que ceux qui y ont cru. Mais il le fera avec une logique forcément capitalistique de l’entreprise. Ce n’est pas pour perdre l’argent puisé dans les réserves qui appartiennent au peuple luxembourgeois qu’il a investi dans le sauvetage de Fortis. L’investissement a été présenté comme un placement de bon père de famille. « Nous resterons aussi longtemps que c’est nécessaire pour rassurer les épargnants, pour mener à bien ce projet que nous avons commencé dans des moments difficile », a prévenu Luc Frieden, le ministre du Trésor et du Budget. Comme la crise est loin d’être terminée, l’État pourrait donc jouer les prolongations. D’autant qu’il s’est un peu lié les mains avec BNP Paribas en en devenant actionnaire à hauteur de 1,1 pour cent. Les 2,5 milliards d’euros injectés dans Fortis valant plus que la minorité de blocage de 33,3 pour cent (1,6 milliard) le groupe français a dû compenser la différence en nature, en ouvrant son capital aux Luxembourgeois.
L’État aura droit à quatre administrateurs dans BGL BNP Paribas, dont le président. Le profil de ce dernier se dessine désormais plus clairement. Ça devra être un grand commis de l’État, dont les mandats dans les entreprises publiques n’entrent pas en concurrence avec la banque et qui ne fera pas de la figuration. Luc Frieden s’est toutefois bien gardé d’avancer le moindre nom, même s’il est sur toutes les lèvres.
Revenir aux sources. Cette remarque de Carlo Thill en dit assez long sur le ressentiment que le dirigeant doit sans doute entretenir envers un management à Bruxelles qui a eu les yeux plus gros que le ventre en se payant en 2007 la banque néerlandaise ABN Amro (d'Land, 03/10/08), deux fois plus grosse que lui.
Ceci dit, mise à part la participation dans Paul Wurth, revenue dans le giron de l’État il y deux semaines, et le ticket d’entrée à la Bourse de Luxembourg – ce qui est plus gênant pour une banque – BGL BNP Paribas n’a pas été dépouillée dans le dépeçage, dimanche, du groupe Fortis. La banque luxembourgeoise, outre son réseau d’agences qui intéressait BNP Paribas, a des positions fortes dans la gestion de fortune. Elle avait su les préserver et même les renforcer. L’intégration dans Fortis lui avait également donné des ouvertures sur le marché international du leasing. Ce qu’elle devrait garder. Ses marques sont un peu moins évidentes dans le segment des fonds d’investissement et dans la banque dépositaire, comparé bien sûr à ce que pèse BNP Paribas, championne dans ce domaine. Dans l’asset management et l’assurance (BNP Paribas possède Investlife au Luxembourg, une compagnie vie qui a connu pas mal de déboires en France), des arbitrages seront sans doute nécessaires après le tour du propriétaire.
Les voisins belges ont mis du temps le week-end dernier avant de trancher pour l’option BNP Paribas, alors que les Luxembourgeois ne faisaient pas mystère dès vendredi de leur choix pour « un partenaire bancaire à renommée internationale qui n’a pas de problèmes de liquidités ». Jeannot Krecké, le ministre de l’Économie et du Commerce extérieur, avait lui-même entretenu la rumeur samedi sur RTL Radio en citant le nom de BNP Paribas comme le partenaire « possible », mais pas unique. Ce qui était à moitié vrai. BNP Paribas a été le seul candidat à présenter une offre de reprise sérieuse tant en Belgique qu’au Luxembourg.
Avec l’aggravation des problèmes de liquidités de Fortis au cours de la semaine, les intentions initiales du gouvernement luxembourgeois d’ouvrir le capital de la banque à des tiers, si possible luxembourgeois, ont fait long feu. Ce plan n’était pas de nature à rassurer les déposants et encore moins à faire recouvrer sa crédibilité à Fortis sur les marchés internationaux des capitaux. Il n’y avait plus personne pour lui prêter de l’argent. Pas même la Banque nationale de Belgique auprès de laquelle d’ailleurs les Belges avaient gagé l’entité luxembourgeoise, en échange de liquidités pour survivre. Une embrouille qui a valu un déplacement à Bruxelles, juste après le dépôt du projet de budget mercredi 1er octobre, de Jean-Claude Juncker himself. Fortis a fini par voler en éclats dimanche soir, dans le sillage de la défection des Néerlandais qui avaient annoncé deux jours plus tôt la nationalisation de la partie hollandaise du groupe.
De l’ancien empire de la bancassurance aux ramifications internationales, il ne reste pour les actionnaires qu’un holding coté en Bourse avec des actifs dans l’assurance internationale (y compris 50 pour cent de Fortis Vie Luxembourg) et beaucoup de produits « toxiques », dont les Français n’ont pas voulu s’embarrasser. C’est le cadeau que les gouvernements belges et luxembourgeois ont fait aux actionnaires. Ceux qui ont cru aux promesses de Fortis en 2000 lorsqu’ils ont échangé leurs bons vieux titres BGL contre des actions Fortis, ont sans doute plus que l’amertume au cœur. La rage.
Lundi, l’un d’eux s’était invité à la conférence de presse au siège de Fortis banque Luxembourg pour y interpeller les dirigeants de BNP Paribas ainsi que Luc Frieden. « Que va-t-il se passer avec les actions Fortis ? » a-t-il demandé. Réponse de Papiasse : « Ça je ne peux pas répondre. Ce n’est pas un sujet pour BNP Paribas. Nous, on a racheté les banques et la compagnie d’assurance ». Le ministre du Trésor et du Budget enchaîne, froid et presque insolent : « Les actions que détiennent les gens n’étaient pas les actions de la banque luxembourgeoise, mais des actions dans une société holding. Ces actionnaires sont et resteront dans le holding. L’opération que nous avons faite n’a pas un impact direct sur ces actionnaires puisqu’ils gardent le titre Fortis. Evidement, la consistance de cette société a changé ». Évidemment. Comme si les actionnaires, grands et petits mélangés, n’avaient pas se plaindre. Ils se sont endormis vendredi avec des actions d’un bancasssureur et se sont réveillés lundi matin avec une société dans laquelle tous les rebus de la finance ont été jetés.
Luc Frieden, l’ange gardien des investisseurs au gouvernement, n’a pas fini de s’expliquer.