Israël-Palestine

« An d’Hell, a viv »

La bande de Gaza, vue de Sderot cette semaine
Foto: AFP
d'Lëtzebuerger Land vom 10.11.2023

Depuis le 7 octobre, ce jeu de mots qui prend pour cible la capitale d’Israël et qu’enfants nous ânonnions dans la cour de récré, est remis au dégoût du jour. Comme la plupart de mes camarades, j’ignorais alors les tenants et les aboutissants de cette « plaisanterie », mais je me souviens très bien de l’effroi de ma mère, dont la maman s’appelait Loewenstein, quand je lui répétai que les méchants Juifs avaient tué Dieu. C’est du moins ce que nous apprenait dans les leçons de catéchisme Sœur Thérèse. Je mettrai ma main au feu que cette bonne nonne généreuse aux réels talents de conteuse n’était pas antisémite pour un shekel, mais qu’elle véhiculait les préjugés catholiques sur le peuple déicide, à la source de tant de clichés antisémites et de pogroms, dont le dernier en date fut l’holocauste, du moins jusqu’à ce funeste 7 octobre. Des prophètes à Yitzhak Rabin, en passant par Jésus, de tous temps, les Hébreux priaient, jeûnaient et … prêchaient dans le désert. Le 7 octobre, leurs cadets y faisaient la fête. De la prière à la bière, en quelque sorte.

Ce massacre commis dans le Néguev par le Hamas, est-ce un crime de guerre ou un acte terroriste ? Le premier est perpétré par une autorité reconnue, légale, mais pas forcément légitime, le second par une organisation qui ne représente qu’elle-même, non légale, mais dont la cause peut être légitime. Menahem Begin, le premier Premier ministre d’Israël issu du Likoud, se revendiquait terroriste dans sa jeunesse et organisa notamment en 1946 le fameux attentat de l’Hôtel King David à Jérusalem contre les Britanniques. Le Hamas, classé organisation terroriste par de nombreux pays, reste, qu’on le veuille ou non, l’autorité de tutelle de la bande de Gaza. Rappelons que ce fut Netanyahou en personne qui a mis le pied à l’étrier au Hamas pour affaiblir le Fatah de Mahmoud Abbas.

Du côté israélien, comme du côté palestinien, les extrémistes au pouvoir œuvrent pour saboter la solution des deux États. Le Hamas et Netanyahou c’est un même combat : anéantir l’autre. Anéantir l’autre non pas pour ce qu’il est, comme voulaient le faire les nazis, mais pour ce qu’il fait : empêcher l’autre d’exister.

Du côté israélien, Netanyahou est obligé de se maintenir au pouvoir pour échapper à la prison, et il s’allie pour cela à des repris de justice qui l’obligent à pousser les colons à construire de plus en plus de villages fortifiés qui prolifèrent telles des métastases cancéreuses en Cisjordanie. Du côté palestinien, la soldatesque du Hamas massacre des kibboutznikkim qui sont pourtant parmi les derniers à vivre encore l’idéal des pères fondateurs de leur pays. En égorgeant jusqu’aux bébés, elle se place dans la logique et l’horreur du génocide. Mais en comparant ce crime avec Le Crime de la shoah, Netanyaou relativise le caractère unique de la solution finale prônée par les nazis et n’est pas loin de se retrouver, paradoxalement, dans le sinistre camp des négationnistes. Et en bombardant des monuments, comme le fameux cheval à Jénine, qui sont des symboles de la culture, et donc de l’identité palestinienne, il se place lui aussi dans une stratégie génocidaire. Osons à notre tour un parallèle qui ne vaut pas équation : si Hitler a « rendu », à leurs corps et cadavre défendants, leur judéité à beaucoup de Juifs assimilés, le Hamas a réuni dans une même solidarité un peuple que Netanyahou a fortement divisé par sa politique démocraticide. Comme l’État Islamique, le Hamas et le Hezbollah, téléguidés par l’Iran, veulent détruire l’État juif et, partant, aussi les Juifs, en Palestine et dans le monde entier, comme le prouvent les attentats et manifestations antisémites qui éclosent de nouveau un peu partout. Et on voit apparaître jusqu’au Luxembourg des appels au boycott de commerces tenus par des Juifs. L’Histoire ne se contente plus de bégayer, elle vomit, et la haine s’ajoute à la peine. Contrairement au Hezbollah qui a construit au Liban des écoles et des hôpitaux pour s’attacher la population musulmane, le Hamas utilise le peuple palestinien comme bouclier et chair à canon. Il terrorise son peuple comme Netanyahou sacrifie le sien, en négligeant par exemple la sécurité des kibboutzim pour mieux protéger les colonies. Le Hamas et les jusqu’au-boutistes israéliens sont les deux faces d’une même médaille, écrit le philosophe Slavoj Žižek. Espérons que le peuple israélien soit assez mature pour se souvenir des valeurs de ses fondatrices et fondateurs et se débarrasser de son bourreau Netanyahou. Quant au peuple palestinien, se fera-t-il, par un ironique paradoxe, libérer de ses tyrans par Tsahal ? L’immense majorité des Palestiniens et des Israéliens n’aspirent qu’à vivre en paix et voir vivre leurs enfants, de préférence dans deux États, l’un à côté de l’autre, comme le prônent les accords signés par les deux côtés, par des colombes de paix, il est vrai, entretemps assassinées.

Gardons-nous de verser dans une macabre comptabilité en comparant le nombre de victimes civiles des deux côtés. Pleurer les victimes du Hamas et porter le deuil des civils palestiniens, soutenir Israël dans la guerre pour sa survie tout en l’exhortant à ne pas commettre l’irréparable, n’est pas un paradoxe, mais une dialectique seule porteuse (peut-être) d’évolution.

Les belligérants ne devraient pas oublier que la guerre se gagne (et se perd) autant sur le terrain de la communication que sur le champ si mal nommé d’honneur. Israël vaincra peut-être sur le plan militaire, mais ce sera une victoire à la Pyrrhus face à des Palestiniens en train de gagner la bataille de l’émotion. Le monopole du cœur que les Juifs avaient gagné après la shoah, est en train de changer de camp. Ce n’est pas une bonne nouvelle, ni pour l’un, ni pour l’autre. L’expérience de sinistres et cyniques négociations a montré qu’un prisonnier juif vaut des milliers de prisonniers palestiniens. Nous ne pouvons qu’espérer que le parallèle ne vaut pas pour les dommages collatéraux de la riposte israélienne. Et nous ne pouvons qu’espérer que cette réponse ne soit pas une vengeance, mais une défense. Et que la loi du talion disparaisse au profit du droit d’Israël à assurer sa survie, fût-ce au prix de l’élimination du serpent que la droite israélienne elle-même a nourri, rappelons-le, dans son sein.

Mais si aujourd’hui l’espoir semble disparu, il reste demain le rêve. Le rêve de deux peuples, l’un débarrassé des sbires du Hamas, l’autre délivré des bandits de Netanyahu. Le rêve de deux États qu’habitent deux peuples sémites, Arabes et Hébreux qui vénèrent un père commun, Abraham. Duquel Dieu exigea le sacrifice de son fils Isaac, avant de se raviser. Aujourd’hui, Dieu est caricaturé par une minorité d’orthodoxes et d’islamistes, et ignoré par une majorité de sécularisés. Plus que d’un dieu, le monde a besoin d’un deus ex machina qui viendra interdire aux deux peuples sémites de sacrifier leurs filles et leurs fils.

Paul Rauchs
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