Quelle politique pour le Proche-Orient ? Alternance en vue au ministère des Affaires étrangères après cinq décennies de soutien à la cause palestinienne

Vers une nouvelle approche

Lydie Polfer et Yaser Arafat en 2001 à Ramallah
Foto: MAE
d'Lëtzebuerger Land vom 10.11.2023

C’est la trêve ce jeudi. Non pas à Gaza où la bande de terre peuplée par 2,3 millions de Palestiniens est pilonnée depuis un mois par l’armée israélienne, mais à Senningen. Les discussions entre les deux partis vainqueurs des élections du 8 octobre, le CSV et le DP, cessent pour permettre au Premier ministre sortant, Xavier Bettel, de se rendre à Paris. Son ami du camp libéral européen, le président Emmanuel Macron, y organise « une conférence humanitaire internationale pour la population civile de Gaza ». Trois heures durant lesquelles un aréopage d’acteurs internationaux se préoccuperont (de plus ou moins bonne foi) du sort des populations civiles écrasées par Tsahal et étranglées par le gouvernement de Benyamin Netanyahu. Le national-conservateur a coupé l’eau et l’énergie aux 2,3 millions de Gazouis au lendemain des massacres perpétrés le 7 octobre sur le territoire israélien par les milices du Hamas, organisation classée terroriste en Union européenne qui a autorité sur l’étroite bande de terre longeant la Méditerranée. Israël déplore 1 400 morts et rapporte que 240 de ses ressortissants ont été pris en otages. Le ministère de la Santé du Hamas fait état cette semaine de plus de 10 000 morts côté gazaoui, dont 4 000 enfants (des données à interpréter avec prudence, mais qui sont prises au sérieux par les Nations unies, organisation qui travaille sur place et qui a perdu une cinquantaine de salariés).

Depuis le début du mois d’octobre et le basculement du conflit israélo-palestinien dans une violence inédite depuis son commencement en 1948 (date de la création de l’État hébreu), le personnel politique luxembourgeois détonne par sa discrétion. Outre la condamnation de « l’assaut du Hamas » le jour-même, le chef du gouvernement en exercice s’est limité à un seul tweet au sujet de la guerre au Proche-Orient. C’était le 17 octobre en marge d’un sommet européen extraordinaire « on the terrorist attacks against Israel and the unfolding situation in the Gaza strip », selon l’intitulé institutionnel. Par cette prise de position, Xavier Bettel condamne une nouvelle fois les « atrocités » commises par le Hamas, reconnait « pleinement » le droit d’Israël à se défendre « conformément au droit international », « avertit » contre tout élargissement du conflit dans la région et invite à faire un maximum contre l’antisémitisme, l’islamophobie et les discours haineux. Le minimum syndical. Trois jours plus tôt, son ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn (LSAP), avait fait publier un communiqué condamnant à nouveau les exactions du Hamas, mais insistant lui sur les dommages causés aux populations civiles, s’alignant « pleinement » avec la position du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres : une libération des otages et un cessez-le-feu. Ce que ni Xavier Bettel, ni Emmanuel Macron n’ont demandé. La France et le Luxembourg ont finalement voté le 27 octobre une résolution de l’assemblée générale de l’Onu (non contraignante) demandant une « trêve humanitaire, immédiate, durable et soutenue »… et une litote diplomatique pour ne pas demander un cessez-le-feu. Sur les 27 pays membres de l’UE, neuf ont voté pour, trois contre et quinze se sont abstenus.

La concordance des événements, les massacres du Hamas à la veille du scrutin luxembourgeois synonyme d’alternance, justifie la timidité du chef du gouvernement sortant. Ce quasi-mutisme (imité par presque tous les partis) signifie également que l’incertitude plane sur l’avenir de la politique étrangère luxembourgeoise dans la région. Les membres des groupes de travail « Europe » dans lequel les affaires internationales ont été traitées gardent secret le contenu des discussions. Ils refusent même de dire si le conflit israélo-palestinien y a été évoqué. Le secrétaire du CSV, Ady Richard, fait simplement savoir que les programmes électoraux sont « une bonne base » de travail. Que formulent-ils ?

Chez les chrétiens-sociaux, vainqueurs des élections, la politique extérieure arrive en queue de catalogue. Est prônée une Realpolitik avec « une stratégie et des priorités claires », le tout tourné dans l’intérêt du pays et « la résolution des problèmes des citoyens ». C’est la fameuse politique aus einem Guss où sont mis dans la balance les intérêts et les valeurs. Autrement dit, on fermera les yeux sur les valeurs si le jeu en vaut la chandelle. « Wir werden verstärkt auf Wirtschaftsdiplomatie setzen. Außenpolitik muss auch einen wirtschaftspolitischen Mehrwert haben. Wir werden unsere Kooperation stärker mit unseren Wirtschaftsinteressen bündeln », énumèrent les rédacteurs au service de la tête de liste Luc Frieden, qui avait quitté la présidence de la Chambre de commerce pour mener sa campagne. Le programme insiste en outre sur la force de l’alliance transatlantique et mise sur un renforcement de relations avec les États-Unis, « unabhängig vom kommenden Wahlausgang in Washington »… des élections qui pourraient très bien marquer le retour de Donald Trump, lui qui avait semé le trouble au Proche-Orient en reconnaissant en 2017 Jérusalem comme capitale d’Israël (au lieu de Tel Aviv selon les Nations unies). Comme le programme du CSV, celui du DP ne mentionne pas le conflit israélo-palestinien. Chez les libéraux, la politique étrangère est essentiellement envisagée dans le cadre du multilatéralisme, UE puis Nations unies. Les relations bilatérales sont étudiées au cas par cas, notamment en raison des intérêts commerciaux. Le flou donc, alors que Xavier Bettel est pressenti pour reprendre le poste de Jean Asselborn.

Il pourrait s’agir d’une rupture après cinq décennies de continuité dans la politique étrangère du Luxembourg au Proche-Orient. Les termes « Israël » et « Palestine » apparaissent avec parcimonie dans les discussions parlementaires au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Israël est associée pour la première fois à une stratégie diplomatique dans la bouche de Pierre Grégoire, ministre des Affaires étrangères CSV. En 1967, le dernier chef de la diplomatie chrétien-social (en date) a érigé en impératif que la politique internationale n’accepte pas « de tutelle ». Pierre Grégoire jugeait naturel d’être « du côté des nations dont l’existence peut se trouver menacée par la force ou la rivalité des grandes puissances » et manifestait une « sympathie » pour Israël qui avait été attaquée six mois plus tôt par ses voisins arabes lors de la Guerre des Six jours (dont l’État hébreu était sorti victorieux). Pierre Grégoire ajoutait dans ces discussions du budget (dont une petite partie était allouée aux réfugiés de Palestine) que « ni des raisons d’État, ni des considérations d’ordre mercantile ne doivent intervenir dans nos options de politique internationale ». (Il manifestait en outre le vœu de ne « jamais se retrouver du côté des dictatures ».) Ce temps s’est vite trouvé révolu.

Son successeur au ministère des Affaires étrangères, également Premier ministre à partir de 1974, Gaston Thorn, a innové en adoptant une stratégie diplomatique propre au Proche-Orient. Dans sa déclaration de politique étrangère après sa nomination au ministère d’État, Gaston Thorn explique que la politique luxembourgeoise repose sur deux principes. Premièrement, elle reconnait les droits d’Israël à « vivre en paix » dans les frontières dessinées en 1967 à la fin de la Guerre des Six jours (selon la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’Onu) et conformément à la déclaration des neufs États membres de la Communauté européenne du 6 novembre 1973. Dans un deuxième temps, le Luxembourg veut entretenir de « bonnes relations avec les pays arabes ». Voisins immédiats de la Communauté européenne, « cent millions d’habitants qui eux aussi nous sont proches par de multiples liens culturels et historiques », développait ainsi le chef de gouvernement libéral. « Sur le plan économique, ces pays sont des fournisseurs importants pour nous et représentent par ailleurs un marché considérable. Certains d’entre eux sont riches en pétrole », poursuivait Gaston Thorn quelques mois après le choc pétrolier qui avait enfoncé le Luxembourg de l’acier dans la crise. Le chef du gouvernement plaçait ainsi ces deux « entités antagonistes » à équidistance. Le libéral privilégiait une politique d’équilibre « qui ne connaît que des partenaires amis, mais pas de partenaires privilégiés ».

Dans les semaines qui avaient précédé, les Nations unies avaient reconnu l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme représentante des intérêts des Palestiniens. Le Luxembourg s’était abstenu au moment du vote (avec la majorité de la Communauté européenne) pour des raisons juridiques. Admettre une autre entité qu’un État aux Nations unies était inédit. La diplomatie luxembourgeoise y voyait « un précédent ».

La CEE est restée hors-jeu dans les négociations de Camp David menées en 1978 entre l’Israël de Menahem Begin et l’Égypte d’Anouar el-Sadate sous l’égide des États-Unis de Jimmy Carter. Y a cependant été retenu le principe de « land for peace », un plan de restitution aux Palestiniens des territoires occupés de Cisjordanie (dans la continuité de la résolution 242), sur lequel le Luxembourg a voulu s’appuyer pour construire la paix et permettre à la CEE de remettre un pied dans la porte des négociations. Gaston Thorn a alors de plus en plus défendu les intérêts des Palestiniens, au nom du Luxembourg et de la CEE. En 1980, il avait été, avec le Néerlandais Christiaan Van der Klaauw, le premier chef de gouvernement à se rendre au siège du leader de l’OLP, Yasser Arafat, à Beyrouth. La même année, le Premier ministre luxembourgeois avait été l’une des chevilles ouvrières de la déclaration de Venise où avait été décrété pour la première fois le principe de l’autodétermination du peuple palestinien. Celui-ci « a conscience d’exister en tant que tel, et doit être mis en mesure, par un processus approprié défini dans le cadre du règlement global de paix, d’exercer pleinement son droit à l’autodétermination », avait clamé Gaston Thorn devant l’Assemblée générale des Nations unies au nom de la CEE dont le Luxembourg occupait la présidence.

Nommé ministre des Affaires étrangères en 1984, le socialiste Jacques Poos a lui aussi saisi le dossier israélo-palestinien à bras le corps. En 1986 à la Chambre, il constatait que, « malheureusement », le processus de paix s’était enlisé malgré « les inévitables évidences  que sont le droit d’Israël à une existence paisible et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ». Au Krautmaart, le socialiste a plaidé pour un retour du Luxembourg et de l’Europe des douze à la table des négociations, conformément à l’appel du roi Hussein de Jordanie l’année précédente à la même tribune. L’embrasement du Proche-Orient, avec la conjonction de la guerre au Liban et celle entre l’Iran et l’Irak, dans le contexte de la Guerre froide, menaçait la stabilité européenne. Jacques Poos explorait ainsi une manière d’intéresser les parties à discuter avec l’Europe. Il a, dans un premier temps, proposé l’établissement d’un Conseil des sages, en présence d’éminences qui ne seraient pas les seuls représentants de la CEE. Le projet prendra corps d’une autre manière après la première Intifada. En 1991, lors de la présidence luxembourgeoise a été menée une « percée diplomatique » en intégrant Israël dans l’espace économique européen, une proposition initialement luxembourgeoise. La Communauté a ainsi payé « son ticket d’entrée à la conférence » de Madrid (d’Land, 7.6.1996) : première initiative globale de négociation entre Israël et les pays arabes, sous la tutelle des grandes puissances. Mis au ban par la communauté internationale pour son soutien à Saddam Hussein, Yasser Arafat a progressivement été réhabilité, à l’initiative luxembourgeoise notamment. La démarche a permis qu’il représente les Palestiniens au processus d’Oslo entamé en 1993 dans la capitale norvégienne. Les premiers accords dans ce cadre ont permis l’installation d’une autorité palestinienne élue et un découpage négocié des territoires palestiniens.

Le processus a vite patiné face au durcissement des positions dans les deux camps, avec une résurgence de l’extrémisme et le recours accéléré à la colonisation de la Cisjordanie sous le premier gouvernement Nétanyahou en 1996. « Jacques Poos brûlait de jouer au médiateur européen dans le processus de paix au Proche-Orient », a écrit Victor Weitzel son ancien conseiller presse après le décès du socialiste (d’Land, 11.03.2022). L’Eschois, militant pour un État palestinien, entretenait des rapports tendus avec le gouvernement israélien et chaleureux avec Yasser Arafat. Henri Wehenkel (cofondateur du Comité pour une paix juste au Proche-Orient) raconte que Jacques Poos en était « fier » et qu’une photo de lui avec le leader palestinien ornait son entrée à Esch (au milieu d’autres). En vue de la présidence européenne en 1997, le ministre des Affaires étrangères a entrepris une tournée au Proche-Orient pour faire appliquer l’accord d’Hebron (qui marquait le retour en grâce des Européens dans le processus de paix). Il y a rencontré le 11 janvier le Premier ministre Nétanyahou, une entrevue marquée par des « discours francs, mais cordiaux », se rappelle le journaliste du Wort Josy Lorent aujourd’hui. (Il se souvient par ailleurs que le leader du Likoud était brusquement entré dans la pièce où l’attendait la délégation luxembourgeoise en claquant la porte au visage du caméraman de RTL.) Le lendemain, les Luxembourgeois étaient attendus par le président Arafat dans les territoires palestiniens. Dans une conférence de presse filmée par Associated Press (encore en accès libre sur Youtube), Yasser Arafat remercie chaudement son interlocuteur luxembourgeois pour son implication dans le processus de paix au nom de l’Union européenne. « We are committed to this peace process. There is no alternative. We are in need of your help », a martelé trois fois le leader palestinien. Jacques Poos a déposé sur la table à cette occasion un code de conduite à l’attention des Palestiniens et des Israéliens pour garantir la sécurité, « une pièce dans la mosaïque de dispositifs » mise en place par la communauté internationale. Le ministre socialiste a reçu en guise de reconnaissance une crèche de Noël en marbre blanc des mains du prix Nobel de la paix. Le socialiste s’est ensuite rendu sur la tombe de l’autre récipiendaire dudit prix de 1994 pour la signature des accords d’Oslo, Yitzhak Rabin (assassiné par un extrémiste israélien en 1995). Quelques mois plus tard, un attentat du Hamas à Jérusalem a de nouveau fait basculer la zone dans la spirale de la violence.

Lydie Polfer a repris le dossier en 1999 à son accession au poste de Vice-Premier et ministre des Affaires étrangères. À l’instar de ses collègues européens inquiets de l’embrasement régional, la libérale s’est rendue au Proche-Orient après la deuxième Intifada (qui a fait un millier de morts) et les attentats du 11 septembre 2001. À la veille de son arrivée, le Jerusalem Post avait prêté à Lydie Polfer des préjugés favorables à Israël, « contrairement à son prédécesseur Jacques Poos » avait remarqué la presse luxembourgeoise de l’époque. Sur place, Lydie Polfer a simplement mais fermement rappelé la nécessité pour les parties de reprendre les discussions de paix. « L’Union européenne s’est déclarée depuis longtemps pour le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, droit qui devra déboucher sur la constitution d’un État palestinien souverain, (…) la meilleure garantie pour la sécurité d’Israël et pour son acceptation en tant que partenaire égal dans la région », avait affirmé la numéro deux du gouvernement depuis Ramallah aux côtés de Yasser Arafat dont la stature commençait à s’effriter. Il était accusé de ne pas respecter ses engagements de lutte contre le terrorisme. La ministre Polfer a joué le jeu de la diplomatie de l’Union au Proche-Orient, peu appréciée de Benyamin Netanyahou puis Ariel Sharon, dans la continuité de Jacques Poos. Le passage de la libérale aux Affaires étrangères s’est révélée un tiret entre les deux chefs de la diplomatie socialiste.

Jean Asselborn s'est installé au MAE le 31 juillet 2004. Le nouveau Vice-Premier a débarqué dès le mois d’octobre en Égypte et dans les territoires palestiniens. Le Luxembourg prenait la présidence du conseil de l’Union européenne en janvier 2005 et la feuille de route prévoyait l’instauration d’un État palestinien viable cette année-là. Jean Asselborn avait fait du dossier isréalo-palestinien l’une de ses priorités pour ce semestre de présidence qui érigeait le chef de la diplomatie luxembourgeoise en patron de la politique étrangère de l’Union. Celle-ci était alors encore invitée dans le concert des négociations en tant que membre du quartet, avec les États-Unis, la Russie et les Nations unies. Jean Asselborn a raté de peu Yasser Arafat. À la veille du rendez-vous, ses services ont informé la diplomatie luxembourgeoise que l’entrevue ne serait pas maintenue. « Et schéngt mir schonn eppes ganz eeschtes ze sinn, sou wéi se eis dat explizéieren. Mä bon, ech mengen, ech sinn net Dokter, et ass do schwéier ze jugéieren », avait confié le ministre au micro de RTL.

« Une reprise de la coopération et des négociations directes représente le seul moyen d’arriver à une paix durable dans la région », avait affirmé le ministre Asselborn, avant d’ajouter que la question de la sécurité dans les Territoires palestiniens restait primordiale. Le ministre avait également appelé les autorités palestiniennes à investir tous leurs efforts pour assurer la stabilité dans la bande de Gaza après le retrait des forces israéliennes, qui venait d’être approuvé par la Knesset. Yasser Arafat est décédé deux semaines plus tard, le 11 novembre 2004. À cette occasion, le Premier ministre luxembourgeois avait rappelé l’impératif de reprise des discussions : « Les Israéliens doivent le faire parce qu’ils savent pertinemment qu’il n’y aura jamais de paix et de sécurité dans cette région sans un État palestinien. Les Palestiniens doivent le faire dans l’intime conviction que les efforts pour la paix constituent le prolongement de la partie noble de la biographie de Yasser Arafat », avait analysé Jean-Claude Juncker (CSV) depuis la Chine.

À la conférence diplomatique d’Annapolis en 2007, « on était très près d’une solution », analyse Jean Asselborn aujourd’hui face au Land, relatant les plans d’échanges de territoires, très concrets, qu’il a eu entre les mains. « Mais on a loupé le coche », constate-t-il, fataliste. Durant quasiment vingt années, Jean Asselborn a travaillé pour la paix au Proche-Orient, se rendant une dizaine de fois sur place (y compris à Gaza) avec pour volonté de « donner les meilleures chances de départ à un État palestinien, pour qu’il soit reconnu par un maximum d’États ». En 2012, Jean Asselborn a œuvré pour que la Palestine soit reconnue par l’Assemblée générale comme État observateur. Le 17 décembre 2014, par une résolution, le Parlement européen a assuré son accord de principe à la reconnaissance de l’État palestinien et à la solution fondée sur deux États. Le même jour, la Chambre des députés a adopté une motion demandant au gouvernement de reconnaître « formellement l’État de Palestine dans les frontières de 1967 (…) au moment qui sera jugé le plus opportun ». Deux mois plus tard, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne s’arrêtait au Luxembourg, alors que le Grand-Duché occupait un siège de membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et la présidence de l’UE. Les deux hommes s’étaient aussi brièvement rencontrés au Caire, en octobre 2014, lors d’une conférence pour la reconstruction de Gaza. Dans le film Foreign Affairs de Pasha Rafiy, Jean Asselborn joue le second violon dans le concert diplomatique, derrière les États-Unis. « On saura quoi faire » en Europe, dit-il. Si l’Oncle Sam le permet, les États membres, dont le Luxembourg, reconnaitront l’État palestinien. En septembre 2015, à New York, Jean Asselborn avait assisté à la levée officielle à l’Onu du drapeau de la Palestine, étape sur la voie de la pleine reconnaissance.

Jean Asselborn a déjà partagé sa détermination à reconnaitre la souveraineté de la Palestine si une résolution n’était pas votée et si le calendrier n’était pas respecté. « Le gouvernement luxembourgeois devra prendre ses responsabilités et reconnaître par conséquent formellement la Palestine en tant qu’État souverain et démocratique, d’un seul tenant et viable, sur la base des frontières de 1967, uniquement modifiées moyennant accord des deux parties et avec Jérusalem-Est comme capitale », a-t-il affirmé à la Chambre, attendant « le moment opportun ». Il n’a jamais été trouvé. Au contraire. Il semble s’éloigner. « La viabilité de la solution à deux États est érodée par la colonisation, les démolitions, les confiscations et les déplacements forcés, tous illégaux au regard du droit international », a développé Jean Asselborn à un symposium du Comité pour une paix juste au Proche-Orient. Depuis Oslo, le nombre de colons en Cisjordanie et Jérusalem-Est a triplé pour atteindre 650 000 personnes, soit la population du Grand-Duché. Dans sa déclaration de politique étrangère prononcée devant les députés en juillet dernier, Jean Asselborn a partagé son désarroi face à l’exacerbation des tensions l’année passée. « La solution à deux États est devenue de facto quasiment impossible », s’est-il désespéré.

Les signaux envoyés par le Luxembourg ces dernières années ont été quelques peu ambigus. Xavier Bettel s’est rendu à Jérusalem en septembre 2016 et a ainsi signé la première visite d’un chef de gouvernement luxembourgeois. Celle-ci est intervenue durant le premier mandat du libéral. Dans la vidéo du point presse à l’issue de l’entrevue, le Premier ministre luxembourgeois se dit « ami d’Israël » et mentionne du bout des lèvres la nécessité de discuter avec toutes les parties. Sur la vidéo, Benjamin Nétanyahou reprend la main et raconte franco que Xavier Bettel l’a invité au Grand-Duché, pour éventuellement discuter avec les Palestiniens. « Que ce soit à Moscou ou à Luxembourg, nous sommes prêts à mener des négociations si elles n’ont pas de conditions préalables », a ainsi balancé le national-conservateur, aujourd’hui coalisé avec des ministres d’extrême droite. Le communiqué de presse du gouvernement luxembourgeois fait dire à Xavier Bettel qu’il a soutenu toute initiative susceptible de conduire à un accord de paix entre les deux parties et mener à « une solution à deux États, (…) seule constellation envisageable et acceptable ». Une position limitative ignorant plusieurs préconisations de l’UE (comme les frontières de 1967, l’arrêt de la colonisation et Jérusalem comme capitale des deux États). Et Xavier Bettel d’apparaître comme le frein à la reconnaissance de l’État palestinien.

Les récents événements ont encore éloigné les camps. Sur place, la violence est poussée à l’extrême de part et d’autre. Les clivages politiques se cristallisent dans les démocraties occidentales. Les partis de gauche sont soupçonnés de postures inconditionnellement favorables aux Palestiniens et sont rapidement taxés d’antisémitisme. Les libéraux sont vus comme inconditionnellement liés par principe aux Israéliens, leur passant plus facilement les atteintes au droit international (qu’ils ont d’ailleurs multipliées durant des décennies). C’est dans ce contexte que Xavier Bettel se positionne pour reprendre les rênes diplomatiques, avec sans doute davantage de considérations économiques dans son aaproche du conflit israélo-palestinien. « C’est une leçon qu’il faut retenir. Il ne faut pas laisser pourrir les choses comme on les a laissées pourrir », confie Jean Asselborn avant de quitter la scène européenne la semaine prochaine. L’impasse au Proche-Orient est, dit-il, l’un de ses « plus gros regrets ».

Pierre Sorlut
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