Ticker du 3 mars 2022

d'Lëtzebuerger Land vom 04.03.2022

SES coupe le faisceau

« Pour justifier et soutenir son agression militaire contre l’Ukraine, la Fédération de Russie a lancé des actions continues et concertées de désinformation et de manipulation de l’information à destination des membres de la société civile dans l’UE et les pays voisins, en faussant et en manipulant gravement les faits », explique mercredi le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, visant notamment Russia Today et Sputnik, des chaînes d’information pilotées par le Kremlin. Décision avait été prise en fin de semaine dernière de leur couper le sifflet. Un règlement publié en milieu de semaine a permis à SES, l’opérateur de satellites basé au Luxembourg (photo : sb), de leur couper le faisceau. « Dans la journée de mercredi, nous avons coupé tous les signaux de ces chaînes. (…) Il y avait plusieurs versions linguistiques. Elles ont toutes été coupées après concertation avec le gouvernement luxembourgeois », explique Ferdinand Kayser, membre du comité exécutif de SES. Pour rappel, RT avait cherché à obtenir une licence de diffusion en Allemagne et au Luxembourg, sans succès. pso

Kaliningrad Cowboys

Les sanctions économiques occidentales et la perspective d’un « decoupling » de l’économie russe n’inquiètent pas seulement la place financière, mais également le milieu agricole (photo : pg). Trois paysans luxembourgeois en particulier risqueront de se retrouver pris au piège : Ils avaient acheté, en 2017, des centaines de hectares de terres agricoles dans l’oblast de Kaliningrad, cette enclave russe coincée entre la Pologne et la Lituanie. Contacté par le Land, un des trois agriculteurs expliquait ce mardi qu’il attendait toujours son « business-visa », et qu’il comptait bientôt se rendre à Kaliningrad (via Gdańsk), pour y superviser les travaux agricoles. Sur 750 hectares achetés et loués dans l’enclave russe (au Luxembourg, la taille moyenne d’une exploitation est de 90 hectares), ce paysan cultive du blé, du colza et du maïs, avec l’aide de trois salariés locaux. Cette production est entièrement écoulée sur le marché russe. En réponse aux sanctions de 2014, le gouvernement russe avait massivement promu la production agricole, augmentant les subventions et incitant les paysans étrangers à s’établir. Non sans succès : la Russie est redevenue une puissance agricole, et atteint désormais l’autosuffisance alimentaire dans les filières céréalières, laitières, porcines et avicoles. Kaliningrad en particulier a tenté de se positionner comme destination attrayante pour les paysans allemands, danois ou néerlandais. Des agences spécialisées font la promotion en ligne de cette « zone économique spéciale » et de ses « erhebliche Reserven an nicht genutzten landwirtschaftlichen Flächen » : « In den letzten Jahren wurden die staatlichen Fördermaßnahmen für die Landwirtschaft wesentlich erhöht ». Les Kaliningrad Cowboys luxembourgeois voyaient dans l’Est la promesse d’une agriculture intensive, sans trop de restrictions environnementales. La polarisation géopolitique les met désormais dans une situation délicate. bt

Le milliardaire Arnault débouté

Le tribunal administratif luxembourgeois déboute la plus grosse fortune française, Bernard Arnault, dans ses recours contre des injonctions de l’Administration des contributions directes (ACD) en matière d’échange de renseignements fiscaux. Dans des jugements publiés cette semaine sur le portail de l’administration judiciaire, les juges considèrent que le fisc belge n’a pas outrepassé ses prérogatives dans ses demandes d’informations à l’ACD. Afin de taxer dûment les sociétés du milliardaire français (notamment PDG du groupe LVMH, détenteur de la marque Louis Vuitton) en Belgique, les autorités fiscales belges vérifient la substance des sociétés liées luxembourgeoises : Westley International, Delcia, Bunt, Escorial Development, Cervinia Europe et Renaissance 1849. Au registre des bénéficiaires économiques, Bernard Arnault, 72 ans (photo : Jérémy Barande), est identifié comme l’unique détenteur des droits de vote des quatre entités encore actives (deux ont été radiées). Celles encore actives sont logées chez un expert-comptable du quartier de la Gare, SFC Fiduciaire. Certaines ne disposent même pas de boîte aux lettres. L’enquête #Openlux publiée en février 2021 a révélé que LVMH opérait 26 filiales au Luxembourg en 2020. « La demanderesse n’est pas admise à remettre en question la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités en mettant en doute la réalité de l’hypothèse émise par les autorités belges, à savoir le doute sur le caractère économiquement réel d’opérations de crédit entre la demanderesse et le contribuable belge, et que celles-ci tentent justement de vérifier à travers les renseignements demandés. La question de savoir si les activités de la demanderesse correspondent à une activité réelle, devra être tranchée par les autorités fiscales compétentes, une fois les renseignements obtenus, mais ne saurait être tranchée par le tribunal dans le cadre du présent recours », écrivent les juges administratifs. Contacté par le Land jeudi midi, l’avocat de ces sociétés n’a pas (encore) indiqué s’il faisait appel de ces décisions. pso

« The riskiest type »

Le basculement de l’Europe dans une nouvelle ère géopolitique met la place financière luxembourgeoise sous pression (lire page 9). Combien d’UBOs (ultimate beneficial owner) et de PEPs (politically exposed person) désormais infréquentables parmi les milliers de HNWIs (high-net-worth individual) que la juridiction grand-ducale accueillait jadis à bras ouverts ? Le ministère de la Justice vient de publier son « évaluation verticale » des risques de blanchiment liés aux SA, Sàrl, OPC et autres « constructions juridiques ». Rédigé dans un anglais indigeste, ce papier doit être lu dans le contexte de la mobilisation générale des régulateurs et superviseurs en amont de la mission d’inspection du Gafi attendue pour novembre 2022. Elle devra durer deux semaines et provoque d’ores et déjà des palpitations au Luxembourg. On redoute de revivre le traumatisme de 2010, lorsque le pays finit sur la « liste grise ». Une réédition de ce scénario risquerait de sérieusement entacher la réputation d’une place financière qui s’affiche transparente et propre. En attendant, des papiers sont pondus par un impressionnant aréopage de technocrates : des représentants de trois ministères, de quatre autorités de surveillance, de cinq corporations autorégulées, sans oublier la Justice, la PJ, le Parquet et les Douanes, tous réunis pour préparer la venue du Gafi. Leur dernier « assessment » en date fait 89 pages et tente de donner une estimation des « residual risks » que présentent différentes formes de sociétés, en procédant à un savant calcul : « inherents risks » moins « mitigating factors ». Au bout de cette analyse, ce sont les fiducies et trusts qui apparaissent comme le maillon faible (« the riskiest type ») de la lutte anti-blanchiment. C’est la seule entité juridique dont le « risque inhérent et résiduel » est estimé comme « très élevé ». Les autorités s’étaient longtemps complus dans une blissfull ignorance au sujet de la prolifération de ces trusts et fiducies. Massivement commercialisées (et chèrement facturées), elles étaient très peu régulées et nulle part répertoriées. Il s’agit d’un instrument patrimonial (et patriarcal), souvent mobilisé pour régler des histoires délicates de succession, que ce soit pour remercier une maîtresse cachée ou punir un fils ingrat. Il a fallu attendre juillet 2020 pour qu’un registre des fiducies et des trusts soit finalement instauré auprès de l’Administration de l’Enregistrement, 19 mois après l’introduction du registre des bénéficiaires économiques. (Contrairement à ce dernier, il n’est pas accessible au public, les données sur les fiduciants étant considérées trop sensibles.) Selon le « vertical assessment », 1 090 fiducies et trusts s’étaient enregistrés au 31 décembre 2021. Le rapport considère qu’étant donné la taille de la place financière, le risque de blanchiment provient surtout de l’étranger : « Domestic exposure to money laundering was considered significantly smaller due to Luxembourg’s low crime rate and limited presence of organised crime ». Comme principal « mitigating factor », le rapport énumère la « transparence » créée par les registres des bénéficiaires effectifs, ainsi que les lourdes obligations anti-blanchiment qui pèsent sur les professionnels, avec une mention spéciale pour les banquiers, décrits comme « very mature gatekeepers ». En septembre 2020, le « national risk assessment » avait peint une image moins flatteuse, évoquant un « paysage fragmenté » : « Treize types d’entités, des banques aux avocats, régulés par huit superviseurs ou corps autorégulés, dont les pouvoirs et pratiques varient significativement ». bt

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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