Star Wars, Episode XXII
À deux kilomètres du futur quartier Faïencerie (lire ci-dessous), le projet de la Place de l’Étoile provoque la colère des riverains. « Nous ne sommes ni Manhattan, ni Mille et Une nuits à Abou Dhabi », lit-on dans l’opposition au PAP qu’ont signée 99 habitants, et qui a été remise le 9 février au collège échevinal. Ces Belairer voient leur « modeste quartier » menacé. Le ton est apocalyptique, l’image infernale : Les constructions « coincent et étouffent tous les résidents définitivement et irrémédiablement dans l’ombre ». Ce n’est pas seulement la hauteur des bâtiments (jusqu’à quinze étages par endroit) qui dérange, mais encore et toujours le trafic. Le but « non avoué mais réel » du projet serait de dévier les voitures vers le Val Sainte-Croix et l’Allée Leopold Goebel : « C’est donc la condamnation définitive de quartiers entiers et paisibles […] voués à devenir la nouvelle route d’Arlon ». La perspective d’un « tunnel en surface » débouchant « au pas de porte » des résidents du Boulevard Grande-Duchesse Charlotte et de la rue Jean-Pierre Brasseur n’est pas faite pour rassurer. Or, pour qui a connu la Place de l’Étoile d’antan, avec ses trois stations d’essence, ses hangars et ses immeubles condamnés desquels se dégageaient une odeur fétide, on voit mal comment l’endroit pourrait être pire que ce qu’il a été par le passé. Par moments, le ton alarmiste fait place aux sous-entendus, comme lorsque les riverains évoquent des « accords ou arrangements publics-privés » qui auraient pris en compte « tous les intérêts » du ministère de la Mobilité et des promoteurs. Ces derniers auraient d’ailleurs le privilège de s’être vus accorder « en exclusivité » les plus hauts taux de densité dans toute la Ville pour leurs deux projets Royal Hamilius et Place de l’Étoile. Quant à la zone piétonne prévue, il s’agirait d’un « concept urbanistique bien étrange » : « Un morceau de pseudo Grand-Rue ‘bis’ de cinquante mètres, coincé en plein milieu de l’intense trafic actuel ». Or, les riverains ne semblent pas s’inquiéter du caractère asocial d’un projet qui mise quasi exclusivement sur des appartements de luxe (probablement destinés à la location). Pas un mot non plus sur le fait que seulement dix pour cent des surfaces seront réservées aux logements abordables. (Il y a trente ans, on pensait un moment construire des logements sociaux sur la Place de l’Étoile – dont une large partie appartenait alors à l’État et à la commune.) Les réclamations rappellent que les grandes visions métropolitaines ont du mal à passer auprès des habitants établis. Peut-être encore moins lorsqu’elles génèrent des plus-values pour des investisseurs internationaux. (photo: La Stäereplaz en 2015, Patrick Galbats) bt
Oh, c’est haut !
Le Mouvement écologique vient d’envoyer à la Ville de Luxembourg son opposition au nouveau PAP « Faïencerie », et on ressent comme un léger déphasage. Alors que l’explosion des prix évince les classes populaires et moyennes de la capitale, le Mouvement se prononce « catégoriquement » contre une densification du projet sur les friches de Villeroy & Boch (« derart hohe Verdichtung ») : « Es gilt ein Gleichgewicht zu halten zwischen Wohnungsdichte, Freiräumen und Grünflächen », écrit l’asbl, et épingle une distance entre les immeubles qu’elle juge trop réduite. Cette critique de la densité en milieu urbain fait largement abstraction de la crise du logement. Et surprend d’autant plus que les futurs habitants n’auront qu’une route à traverser pour respirer l’air du Bambësch. Le rehaussement de la densité, qui avait trouvé l’accord du conseil communal, permettra de passer de 542 à 809 logements.
L’objection soumise à titre personnel par Jean-Paul Ruppert (par ailleurs un ancien permanent du Mouvement écologique) est plus nuancée. L’ancien échevin vert de Sandweiler, aujourd’hui résident du Limpertsberg, ne remet pas en cause le « bien-fondé » de l’augmentation du nombre de logements, mais demande pourquoi cet énorme cadeau fait aux promoteurs privés (un consortium belgo-luxembourgeois) n’a pas été utilisé comme political leverage : « Par une simple décision politique, les maîtres d’ouvrage bénéficient ainsi d’une plus-value certaine par rapport au projet initial. Quelle est leur contrepartie ? » La Ville, estime Ruppert, aurait au moins dû imposer le futur quota des quinze pour cent de logements abordables pour les 250 logements supplémentaires autorisés par le PAP. Elle aurait également pu s’assurer une servitude de passage pour l’espace privé entourant le château de Septfontaines et ses dépendances.
Là où les deux objections se rejoignent, c’est dans leur critique du peu d’infrastructures prévues pour la mobilité douce. Emprunter l’étroite et encombrée rue du Rollingergrund à vélo s’apparente à une opération suicide. L’idée d’un ascenseur reliant le Limpertsberg à l’ancien site Villeroy & Boch (photo : sb) trouve son origine dans une proposition du Lampertsbierger Syndicat, à laquelle le collège échevinal s’était a priori montré favorable. Mais le PAP n’avance rien de concret, au contraire : « La présence de la falaise rend impossible la réalisation de tels cheminements doux perpendiculairement à la pente de la falaise », lit-on dans le rapport justificatif. Le 17 janvier, la maire libérale Lydie Polfer expliquait au conseil communal qu’un tel ascenseur serait « doudsécher eng gutt Saach », mais nécessiterait encore « des discussions et des études ». Or, pour ne pas retarder l’ensemble du PAP d’une ou de deux années, elle aurait préféré présenter le projet sans l’option de l’ascenseur, quitte à éventuellement creuser l’idée à l’avenir.
La vision initiale du Lampertsbierger Syndicat avait été autrement plus hardie : la construction d’une « passerelle-ascenseur » piétonne et cyclable reliant non seulement le Limpertsberg au Rollingergrund, mais également au Bambësch (à la hauteur du tennis Spora). Le syndicat local avait commandé une étude de faisabilité technique, selon laquelle un tel pont (de 350 mètres de long) coûterait « 6,125 millions d’euros, ascenseur compris ». Une estimation qui semble bien basse, l’ascenseur du Pfaffenthal ayant coûté 10,5 millions d’euros. bt
Homo homini lupus
Dans un avis commun publié ce mercredi, la Chambre de commerce et la Chambre des métiers s’insurgent contre le nouveau projet de loi sur le harcèlement moral, dont ils demandent carrément « le retrait de la procédure législative ». Leur critique tient d’abord à la forme : Les partenaires sociaux n’auraient été ni consultés ni même informés du projet de loi. (Un reproche que formule également la Chambre des salariés dans son avis.) Ce court-circuitage des instances tripartites leur paraît d’autant plus inexplicable que, sur des dossiers comme le télétravail et le droit à la déconnexion, les partenaires sociaux ont récemment réussi à conclure des accords interprofessionnels. Ce furent également les organisations patronales et syndicales qui, dès 2009, avaient comblé le vide juridique existant en matière de mobbing en signant une « Convention contre le harcèlement et la violence au travail ». Or, comme l’avait noté le juriste et juge Jean-Luc Putz dès 2010 : « Das Abkommen von 2009 geht jedoch unter vielen Gesichtspunkten nicht über eine Absichtserklärung hinaus und enthält nur begrenzt präzise und verplflichtende Regeln für Arbeitgeber und Arbeitnehmer. »
Cela fait vingt ans que la politique tente de se rattraper et de légiférer en la matière, mais les propositions de loi (écrite par le député socialiste Lucien Lux, reprise par sa camarade de parti Taina Bofferding) et le projet de loi (déposé par le ministre CSV François Biltgen) se sont enlisés dans les sables mouvants des institutions. Le ministre du Travail socialiste Dan Kersch (photo : Jess Theis) avait relancé la machine et déposé, en juillet dernier, un nouveau projet de loi sur le harcèlement moral. Celui-ci s’applique non seulement aux employeurs et aux salariés mais également aux clients, et s’inspire largement de la législation luxembourgeoise sur le harcèlement sexuel. Un salariés victime de harcèlement moral pourra ainsi démissionner tout en recevant des allocations de chômage, quitte à devoir tout rembourser s’il perd son procès. (La Chambre des salariés estime que « peu de salariés seront prêts à prendre ce risque ».) Quant au salarié licencié qui réussit à prouver qu’il a été victime d’harcèlement moral, il pourra demander sa réintégration dans l’entreprise, et ceci endéans quatorze jours. (Les Chambres patronales y voient la porte ouverte « aux salariés malintentionnés [qui pourront] contester tout licenciement pour faute grave en prétendant que la cause sous-jacente serait un harcèlement moral ».)
Le projet de loi détaille également la procédure devant l’Inspection du travail et des mines (ITM) ; et fixe un délai de 45 jours à celle-ci pour remettre un rapport contenant des recommandations à l’employeur. Vu le degré de débordement de l’ITM, ce délai paraît bien optimiste. Dan Kersch s’était exprimé sur ce point fin septembre devant la commission parlementaire du Travail. (Commission dont il a repris la présidence de Georges Engel en janvier, après que celui-ci lui ait succédé au ministère du Rousegäertchen, un roque socialiste qui semble très peu dans l’esprit de Montesquieu.) Kersch estimait alors que pour assumer sa nouvelle mission l’ITM devra embaucher « dix à douze personnes supplémentaires » puis proposait de recruter les collaborateurs de Mobbing Asbl, une structure qui se serait distingué par son « travail de qualité » et qu’il serait « temps d’intégrer dans les structures de l’État ». En cas de non-respect de ses injonctions, l’ITM peut décréter une amende administrative pouvant aller jusqu’à 25 000 euros contre l’entreprise, un montant que la CSL juge « trop faible pour être dissuasif, en particulier pour les grands employeurs ».
Sur un point crucial, le ministre Kersch n’a pas voulu suivre les syndicats, celui du renversement de la charge de la preuve. Si ce principe existe dans le cas du harcèlement sexuel, il devrait rester « une exception », disait-il, en septembre dernier. Sur cette question il y aurait « des arguments en faveur et en défaveur », et il serait « particulièrement curieux de voir les positionnements y relatifs qui seront exprimés dans les différents avis ». Les chambres patronales semblent satisfaites du statu quo puisqu’elles ne s’attardent pas sur ce point, tandis que la CSL « regrette » que le renversement de la charge de la preuve ne soit pas retenu, rappelant que la proposition de loi de 2002 (remontant à Lucien Lux) l’avait inclus, et ceci sans que le Conseil d’État ne s’en soit offusqué à l’époque. bt