La musique cesse, les bombes retentissent
Le bal russe annuel devrait se tenir samedi prochain au Cercle Cité dans un contexte particulier. Cet événement, tout caritatif qu’il est, symbolise (voire caricature) les liens économico-financiers entre la Russie et le Luxembourg. L’un de ses promoteurs, Vladimir Yevtushenkov, est consul honoraire du Grand-Duché en Russie et patron du conglomérat Sistema qui détient la banque East West United. Le président de celle-ci est Jeannot Krecké, ancien ministre socialiste de l’Économie. Son successeur Etienne Schneider (LSAP aussi) siège au conseil d’administration de Sistema. Membres du gouvernement, les deux socialistes s’affichaient au bal russe. Le ministre de l’Économie actuel et membre du même parti, Franz Fayot, prend lui ses distances avec l’événement mondain et avec les grandes fortunes russes (souvent bâties sur une captation des richesses lors de la chute de l’URSS au détriment des populations) sur lesquelles lorgnent la place financière. Certains clients de banques locales, comme Arkadi Rotenberg, ont déjà vu leurs avoirs gelés lors de la crise ukrainienne (celle de 2014) pour leur proximité avec le président Vladimir Poutine, dont on a longtemps feint de penser qu’il était un chef d’État respectable.
Or depuis ce jeudi, l’autocrate russe foule vertement aux pieds le droit international et viole la souveraineté ukrainienne sous un tapis de bombes. Bien sûr, les petites mains du bal russe ne soutiennent pas forcément l’autoritarisme du régime et ne cautionnent pas l’agression sur l’Ukraine, mais une partie de l’assistance, à commencer par l’ambassadeur, présent lors des autres éditions, représente bel et bien le pays. L’intéressé a été convoqué mercredi au ministère des Affaires étrangères où il a été reçu par la directrice politique en l’absence du ministre (en isolement après son infection au Covid-19). Jean Asselborn (LSAP) a néanmoins pu s’exprimer ce jeudi à la Chambre pour partager sa consternation devant l’intervention russe en Ukraine et son soutien à des sanctions européennes.
Hier, les sanctions prononcées par les États-Unis et l’Union européenne épargnaient encore les consuls honoraires du Luxembourg en Russie, des « milliardaires » proches du président russe déjà identifiés par l’Oncle Sam dans l’oligarch list. Dès la matinée la Commission de surveillance du secteur financier a communiqué à ses ouailles la liste des nouvelles entités et personnes (dont des « oligarques » et les 336 membres de la Douma ayant voté pour la reconnaissance de l’indépendance des régions orientales de l’Ukraine) qui, dans le cadre des sanctions existantes (c’est-à-dire qui ont participé aux atteintes à l’intégrité territoriale ukrainienne) auront leurs avoirs gelés. L’accès de la Russie aux marchés financiers internationaux est aussi limité. Le gouvernement se dit en outre favorable à un deuxième train de sanctions. Elles sont discutées à Bruxelles. Les accès aux marchés financiers pourraient être limités à davantage d’entreprises et personnalités russes. Les relations énergétiques avec la Russie, gros pourvoyeur de l’Europe, en pâtiront. Xavier Bettel annonçait ce jeudi vouloir protéger les consommateurs des hausses des prix de l’énergie et rencontrer à cet effet les dirigeants d’Enovos.
L’exposition des banques luxembourgeoises à la Russie est somme toute limitée. L’industrie est, elle, concernée par l’invasion en Ukraine, notamment ArcelorMittal qui y opère des mines à Kryvyi Rih, au sud de Kiev. « Our priority is our people and we had developed plans to help them stay safe should the situation escalate in this way. As far as our plant is concerned, our team is working to slow down production to a technical minimum and production will be stopped at our underground mines », communique le groupe basé au Luxembourg. Travailler dans les mines souterraines, dix pour cent de l’activité sur place, représenterait un trop grand danger pour leur sécurité en cas de bombardement. pso
Here comes the new register
La ministre de la Justice, Sam Tanson (déi Gréng), et le directeur du Luxembourg Business Register, Yves Gonner (photo : minju), ont présenté lundi la vaste réforme du registre des sociétés (RCS) et du registre des bénéficiaires effectifs. L’objectif est de rendre son contenu plus qualitatif et plus à jour en même temps que s’opère la connexion aux autres registres européens, pour une meilleure information sur la vie économique. Les mauvais élèves seront réprimandés par des sanctions financières. Les sociétés qui ne répondront pas aux obligations de publication seront tout simplement rayées du registre et potentiellement mises en liquidation judiciaire. Pour l’heure, la qualité laisse à désirer, selon des chiffres communiqués par le ministère, seuls trois quarts des 150 000 entités enregistrées versent leurs comptes annuels dans l’année consécutive à l’exercice. 1 036 dossiers du RCS ont été dénoncés au parquet Pour ce qui concerne le RBE, 879 dossiers ont été communiqués pour défaut d’inscription. pso
BIL s’affiche en Suisse
Le blog zurichois Inside Paradeplatz relève cette semaine le déménagement de la filiale de la BIL (Banque internationale à Luxembourg) dans la capitale financière helvétique. La banque que « personne ou presque ne connaît dans le pays, qui a peu de clients et qui gère peu d’actifs par rapport aux grands noms du private banking » déménage sur la Banhofstrasse, « une artère bancaire très chère », à proximité de la Paradeplatz où siègent les prestigieuses UBS et Credit Suisse. Au début du mois, pour le nouvel an chinois, le groupe détenu à 90 pour cent par Legend Holding (un conglomérat originaire de Chine) et à dix pour cent par l’État s’était offert la couverture de la Weltwoche, hebdo (jadis) de référence en Suisse. « BIL Suisse wishes you success and happiness in the new year of the tiger », peut-on lire au-dessus d’un tigre entouré du logo de l’établissement et d’un slogan: « Swiss tradition, European roots, Eastern expertise ». Le groupe basé sur la route d’Esch fait preuve d’appétit pour la clientèle internationale depuis son hub suisse où elle dispose de trois bureaux (aussi à Lugano et Genève). Selon certains observateurs, les scandales affectant les grands groupes tels que Credit Suisse ou UBS pourraient profiter aux établissements boutiques. La place bancaire suisse demeure la référence pour les fortunes internationales. La BIL y travaille depuis 1985 tout en regardant vers l’orient. Elle dispose de filiales à Hong Kong et Pékin. Les bureaux de Danemark et Dubaï ont été récemment fermés. pso
Démembrement
Présenté comme une des pièces maitresses pour mobiliser le foncier, le remembrement « ministériel » reste embourbé dans la procédure législative. Ce dispositif doit habiliter le ministre à court-circuiter certains propriétaires afin d’avancer plus vite dans la réalisation d’un plan d’aménagement particulier (PAP). Les « récalcitrants » se verraient ainsi attribuer des lots dont la non-viabilisation ne risquera pas « d’hypothéquer le développement cohérent d’une première phase de réalisation du PAP », lit-on dans le commentaire d’articles. Initialement déposé en mai 2017, puis amendé par le gouvernement en novembre 2020, le projet de loi attendait depuis d’être avisé par le Conseil. Le ministre vert du Logement, Henri Kox, commençait à s’impatienter, au point de lancer, lors d’une conférence de presse en novembre dernier, un appel aux Sages d’avancer sur leurs travaux. Ce mardi, l’avis est enfin tombé. « Compte tenu des multiples facteurs d’insécurité juridique », les Sages formulent une opposition formelle par rapport à certains dispositifs techniques du remembrement ministériel. Selon leur lecture du projet de loi, le ministre serait obligé de procéder à un remembrement « lorsqu’il en est requis par écrit », et ne serait-ce que par un seul des propriétaires, quelle que soit la superficie des terrains que celui-ci détient. « Le projet de loi enlève au ministre le droit d’initiative en ce qui concerne l’élaboration d’un projet de remembrement », s’étonne le Conseil d’État. Cela amènerait à la situation cocasse que le remembrement dit « ministériel » serait « soustrait à l’initiative de celui dont il porte le nom ». bt
From a distance
Sofinasia et Socfinaf, la branche asiatique et africaine de la Société financière des caoutchoucs (Socfin), viennent de publier dans Le Quotidien les invitations pour leurs assemblées générales extraordinaires qui se tiendront le 21 mars. (Le choix du journal francophone, qui a compté parmi les plus critiques de la multinationale luxembourgeoise, peut surprendre, mais sa raison est probablement prosaïque : une demi-page y coûte 1 500 euros, contre 4 400 euros dans le Wort.) Covid oblige, l’AG n’aura pas lieu en présentiel, ce qui permettra incidemment à Socfin (principalement contrôlée par le duo franco-belge Vincent Bolloré et Hubert Fabri) d’éviter les questions embarrassantes des ONG sur les « atteintes subies par les riverains des plantations » (photo : pg). En 2019, sept permanents d’ONG avaient réussi à s’introduire au Parc Hôtel Belair, en achetant chacun une action de la société. Par la suite, Socfin avait déposé plainte contre SOS Faim pour calomnies, injures et violations de la vie privée. Plus de deux ans après la comparution devant le juge d’instruction, la procédure ne serait toujours pas plus avancée, dit Marine Lefebvre, coordinatrice de SOS Faim. bt
Mëllechkou
L’opérateur de satellites luxembourgeois SES a publié ce jeudi ses résultats pour 2021. La firme de Betzdorf continue de voir le segment vidéo s’éroder, et avec lui le cœur de son ancien modèle d’affaires. La télévision par satellite (qui représente encore 59 pour cent de ses revenus) a encaissé un recul de 4,6 pour cent. (Mais ça va encore : En 2020, la chute avait été de huit pour cent). Même si elle voit son Ebdita se réduire comme peau de chagrin (-5,2 pour cent), la firme reste profitable. Elle a engrangé un résultat net de 323 millions d’euros. Pour s’assurer la confiance des actionnaires (dont l’État luxembourgeois qui détient un tiers des parts), SES a distribué 275 millions d’euros de dividendes, « underscoring our commitment to sustained and attractive shareholder returns ». Tout le monde ne partage pas cette vue optimiste. Le 15 novembre, le Financial Times avait estimé qu’à défaut de consolidations et de fusions, de nombreux acteurs historiques du secteur spatial (dont SES) risquaient de finir en « corporate space junk ». bt