À Metz, la galerie Octave Cowbell propose l’exposition De gestes et de paroles. Initié par sa directrice, Vanessa Gandar, le projet prend la forme d’un dialogue entre deux artistes qui ne s’étaient jusque-là jamais rencontrées : Christelle Enault et Claire Hannicq, artiste vosgienne et co-fondatrice de l’Atelier Faires que la galerie Cowbell avait invitée sur son stand lors de la précédente édition de la Luxembourg Art Week. Soit deux artistes touche-à-tout au statut incertain, que le fascicule remis à l’entrée de l’exposition présente comme des « semeuses », des « gardiennes » ou encore des « alchimistes ». Arboristes de formation, toutes deux exhument des pratiques ancestrales et artisanales, telles que la broderie, la marqueterie, le verre, le vitrail, le dessin ou le chant. L’exposition se veut une façon de donner une équivalence entre l’art et l’artisanat, sans hiérarchie de valeurs entre ces deux de production, tout en poursuivant auprès du public un travail de sensibilisation aux diverses formes d’éco-esthétique ayant émergé en réponse à l’urgence climatique. De gestes et de paroles est une immense célébration païenne qui embrasse les mythologies, les pratiques chamaniques, les cosmogonies, et où l’expérience esthétique s’accompagne de vertus médicinales, spirituelles ou psychologiques.
Durant leur collaboration, Christelle Enault et Claire Hannicq ont découvert qu’elles pratiquaient toutes les deux le tir à l’arc, point commun qui convoque d’emblée une diversité d’éléments naturels comme l’air, le souffle du vent ou encore la respiration humaine. Lors de l’inauguration de l’exposition, les deux archères ont pu s’exercer au sein même de la galerie. Pendant que Claire Hannicq dardait ses flèches en direction des cibles confectionnées en paille, la seconde entonnait un chant dans une nouvelle langue, inédite, puisqu’entièrement inventée par l’artiste, qui renoue avec la pratique du chant chamanique. Plusieurs pièces de l’exposition viennent à la fois témoigner et prolonger cette performance. Certaines cibles sont restées telles qu’elles, toutes criblées. Des flèches d’amour sont exposées (Semeuse, 2023), qui ont la particularité de posséder des pointes en bronze à l’effigie de différents arbres (hêtre, érable, pin, oseille, etc.), ce qui leur confère un aspect poétique, voire magique. Hannicq s’empare ici de la symbolique de l’archer, dont les flèches font apparaître « lumière et connaissance à chaque impact sur la cible », indique l’artiste sur son site internet. À chaque flèche décochée, une graine est semée, faisant de l’artiste une « guerrière-semeuse ».
Au centre de la grande salle, la scénographie ménage un espace de recueillement où l’on peut écouter, au casque, les chants d’Enault, qui ont aussi été édités sur vinyle par Octave Cowbell (intitulé Sawé Ta Lulwa. La geste des sèves, le vinyle tiré à 200 exemplaires est en vente à la galerie). Ces chants lancinants sont associés aux dessins virtuoses de la jeune femme, réalisés d’après des modèles préexistants, qui s’emparent de légendes et de pratiques folkloriques. On y perçoit le dessin d’une archère accolé au mot « Breathing » (Bourrache, 2019), mais aussi un visage de vieille femme (Berce, 2021) un homme revêtu d’une peau d’ours (Cannelle, 2020), le tout réalisé au crayon de couleur. L’œil est un motif symbolique et métaphysique récurrent dans ses dessins ; sa forme circulaire rebondit partout, résonne avec d’autres motifs, tels celui de la lune (Alchémille, 2020), qui le relie au céleste, ou celui de la perle, qui le relie au milieu aquatique. On le retrouve jusque dans Les Larmes Culturelles de Claire Hannicq, un verre ancien qui renferme un œil et les multiples bulles de verre qui se sont formées à sa surface. L’oculus y acquiert, en tant que motif, une autonomie organique et formelle qui évoque les étrangetés figuratives du mouvement surréaliste, avec lequel les dessins d’Enault partagent une appétence pour l’inconscient, le rêve, et les métamorphoses entre espèces, telles qu’André Masson les a par exemple retranscrites dans ses toiles.
Dans la dernière partie de la manifestation, on lit un poème de Christelle Enault brodé sur un linge blanc, véritable ode sensuelle et lyrique dédié au sureau. Trois tables ponctuent la progression du parcours, nous menant de la parole aux souvenirs, de la surface des feuilles aux racines, fruits d’un savoir-faire artisanal qui s’est raréfié avec l’industrialisation. Elles font magnifiquement échos au panneau rassemblant des papiers obtenus à partir de différentes essences de plantes compressées, et dont les textures offrent au regard leurs nuances, leurs tonalités. On songe, devant cette mosaïque végétale, au travail de Herman De Vries.
Puis vient enfin le soleil, son écriture : « héliographie ». Une grande toile de coton accueille un immense rideau qui s’est imprimé à l’issue d’une longue phase d’exposition au soleil. L’empreinte de la lumière confine à la magie et tient du procédé alchimique. C’est en quelque sorte une sainte face de Véronique dans une version païenne, sans qu’il y ait contact humain durant le processus de fabrication – ce que l’on appelle une image dite « acheiropoïète ».