Comme chaque été, Constellations invite à arpenter, de jour comme de nuit, le moindre recoin de la ville de Metz. Fréquenté l’année dernière par plus d’un million de visiteurs, le festival est devenu la grande fierté des édiles locaux. Il fait aujourd’hui consensus entre la gauche, qui a impulsé sa création sous le mandat socialiste de Dominique Gros, et la droite, qui en poursuit l’héritage mais aussi les ambitions, comme l’atteste l’adjectif « international » qui a été récemment ajouté. Constellations étend cette année sa toile à 46 lieux, de nature historique principalement afin de valoriser la singularité du patrimoine local. Deux nouveaux sites y ont fait leur apparition : la chapelle sainte Blandine ainsi que la basilique saint Vincent, où un oiseau prend poétiquement son envol dans la nef centrale (Un oiseau de passage, installation ornithologique de Benjamin Nesme et Marc Sicard).
Architecte, artiste et fondateur du studio AV Extended et du Centre d’art numérique « Château de Beaugency », Jérémie Bellot est le curateur du parcours nocturne, « Pierres Numériques ». En seize installations mêlant patrimoine et nouvelles technologies est proposé un voyage dans les plis du monde : exploration cosmique, écologie, conflits internationaux en sont les grandes lignes. Ainsi la guerre en Ukraine s’invite dès l’entrée du parcours au Jardin d’amour qui enceint le Temple neuf. Installation plastique et sonore que l’on doit à deux artistes ukrainiens contraints à quitter Kiev, Masha représente une matriochka géante. Elle est étendue au sol, sur les flancs, offerte à l’œil et au toucher du public, de façon à renverser le symbole russe qu’est devenue la poupée en bois. Autre intrusion du monde tel qu’il va (mal), For Peace !, la composition sonore de NIID, duo de compositeurs messins qui accompagne les créations lumineuses de l’artiste slovaque Sedemminut devant l’hôtel du Département. La foulée d’un homme y est décomposée en différents tableaux lumineux. Paisible à ses débuts, la marche se termine en une course effrénée, à la vitesse de la lumière. Si l’œuvre fait écho à la tenue des Jeux Olympiques, elle offre des interprétations moins complaisantes en faisant allusion au post-humanisme, aux injonctions au dépassement de soi et à la croissance infinie, à l’accélération des échanges, le tout sur un fond néolibéral qui vient précipiter à l’excès cette tendance.
On se demande alors si l’obscurité nécessaire à la plupart des œuvres ce parcours ne constitue pas une métaphore des temps sombres actuels. Toujours est-il que la lumière, ou toute lueur fragile, y prend par contraste une importance particulière. L’adoration du soleil en serait peut-être la solution radicale, comme nous y invite Guillaume Marmin avec Oh Lord ! à l’église des Trinitaires. Recourant aussi bien à des outils d’observation solaire qu’à des images enregistrées par la Nasa, l’artiste compile des matériaux hétérogènes puis les retranscrit en vue de produire un aperçu d’une révolution astrale qui nous met sens dessus dessous. Le spectateur est tour à tour plongé dans l’obscurité, ébloui, irradié ou hypnotisé, incité à se rapprocher et à toucher la lumière solaire avec ses mains, comme s’il emportait le feu de Prométhée. L’installation donne à voir une puissante source d’énergie que l’on ne peut observer à l’œil nu, et qui représente une alternative aux énergies fossiles. Dans une même veine cosmique, le public pourra assister à la projection immersive Black Out in Variations du collectif 804, une création totale qui envisage de renouveler l’approche théâtrale (avec chanteurs, comédiens, danse), ou encore Éther, projection de l’artiste messin Grégory Wagenheim à l’hôtel de Région. Il investit la découverte de la matière noire et renvoie à la part méconnue de notre existence, qu’elle soit humaine ou spatiale. Les eaux de la Moselle offrent également une surface pertinente pour accueillir des installations numériques. Près du Pont Saint Georges qui borde le campus du Saulcy, Constellation déploie une architecte de lumière en mouvement. Le clou du spectacle reste cependant la cathédrale Saint-Etienne de Metz, dont la façade principale sert de support à deux projections mapping : l’un confié à l’Espagnol Filip Roca (Glass Box), le second, intitulé Mind Fields, du collectif Antaless Visual Design fondé par Alessio Cassaro. Deux spectacles qui ont le mérite de réunir aux terrasses jouxtant la cathédrale les passionnés d’histoire et les férus d’art contemporain.
Les deux autres parcours explorent des facettes complémentaires de la ville. De la Porte des Allemands investie chromatiquement par Julien Colombier à la Maison de l’éclusier sur le port de plaisance, le parcours diurne « Arts & Jardins » offre une déambulation agréable au sein de la cité lorraine, conviant mapping, jardins éphémères et sculptures flottantes intégrées aux berges de la Seille et de la Moselle. Dédié de son côté aux cultures urbaines, le troisième parcours (« Art urbain ») dessiné par la programmatrice Myriama Idir propose, en partenariat avec la galerie Octave Cowbell, une expo photo de Laurence Piaget-Dubuis à la gare de Metz qui se confronte aux conséquences du dérèglement climatique (Slowdown). D’autres sites accueillent les affiches de Joséphine Kaeppelin (Billboards posters, 2015), qui prennent la forme d’un collage d’images et de citations prélevées dans des textes existants (livres, conférences, conversations). Poétiques sont aussi les Empreintes bleues dispersées dans la ville et conçues par le collectif des K.releuses pour combler les brèches de l’espace public. On terminera ce parcours avec l’installation inclusive qui s’empare du mode d’écriture du braille en vue de le faire connaître au plus grand nombre (Regardez-vous avant de brailler).
On comprend le succès et le statut quo politique de la manifestation. La gratuité, le plein-air et la période des festivités étendue à tout l’été, sont bien des choix politiques. S’il s’agit bien entendu d’attirer les touristes de passage, l’autre enjeu, symétriquement important, est de proposer une animation publique à la population locale qui n’a pas les moyens financiers de partir en vacances. En offrant une programmation culturelle à destination des familles, les festivités contribuent à resserrer les liens intergénérationnels tout en répondant aux enjeux démocratiques qu’on est en droit d’attendre des politiques culturelles.