Malheur à ceux qui osent tenir tête aux grands pétroliers, surtout s’ils parviennent à prouver les dommages qu’ils causent et à les contraindre à indemniser leurs victimes. L’avocat Steven Donziger a appris à ses dépens que lorsqu’une de ces multinationales décidées à ébouillanter notre planète est lourdement condamnée, elle est susceptible de déclencher les manœuvres les plus viles pour intimider ses adversaires.
Diplômé de Harvard, spécialiste des droits de l’Homme, Donziger a obtenu en 2013 de la justice équatorienne une amende de 9,5 milliards de dollars contre Chevron pour avoir empoisonné l’environnement des habitants de la région amazonienne de Lago Agrio, au nord-est du pays, dont plusieurs au moins en sont morts – des milliers en réalité selon lui. Chevron avait expressément demandé que le jugement ait lieu en Équateur. Depuis, l’entreprise a vendu ses exploitations dans ce pays, mais doit faire face aux efforts de la justice équatorienne pour obtenir le recouvrement de l’amende dans d’autres pays.
Car, au lieu de payer l’amende et de nettoyer ce qu’elle a souillé, Chevron a préféré viser frontalement le juriste new-yorkais en lâchant contre lui, à partir de 2018, une meute d’avocats qui ont obtenu d’un juge américain acquis à leur cause sa condamnation pour outrage au tribunal et une assignation à résidence qui a duré 19 mois, en plus d’amendes s’élevant à des millions de dollars. Son crime ? Avoir organisé un crowdfunding international au profit de ses clients équatoriens. Selon Donziger, ces attaques contre lui ont coûté de l’ordre de deux milliards de dollars à Chevron.
Jeudi 4 mars, Steven Donziger a enregistré un succès remarquable devant une Cour d’appel de New York, qui a annulé l’argument central utilisé pour le condamner pour outrage, à savoir que la levée de fonds qu’il avait organisée, qui servait aussi à payer ses honoraires, était illégale. L’avocat de Donziger, Martin Garbus, ancien défenseur de Nelson Mandela, s’en est réjoui, estimant que c’est aussi une « victoire pour les peuples indigènes du monde entier contre les pollueurs industriels » et qualifiant les procédures pour outrage lancées contre son client de « brutales ».
Dans cette affaire, l’asymétrie entre les deux parties est saisissante. Les victimes des actes de pollution de Texaco, acquise depuis par Chevron, font partie des populations les plus démunies de la planète, et la condamnation du pétrolier n’a été possible que parce que leur avocat s’est battu inlassablement pour monter un réseau d’aide et démontrer sans l’ombre d’un doute la réalité de la pollution. En face, un des pires pollueurs de la planète, aux ressources financières pratiquement illimitées, prêt à incriminer abusivement un avocat, à le ruiner, à le faire rayer du barreau et à limiter sa liberté de mouvement. Une asymétrie qui est en soi un vibrant plaidoyer en faveur de l’institution d’un crime d’écocide.