Chroniques de l’urgence

Bonneteau planétaire

d'Lëtzebuerger Land du 19.03.2021

La fascination qu’exercent les bonneteurs sur leurs victimes a beau être un phénomène connu, on n’en est pas moins étonné à chaque occasion par l’efficacité de ces tours de passe-passe à trois cartes, pratiqués en pleine rue et accompagnés d’un bagou hypnotique. À vrai dire, le fait de savoir qu’on se fait arnaquer contribue à nous clouer devant le spectacle et à nous faire complaisamment miser. C’est de la petite truanderie, cousue de fil blanc, à laquelle on consent parce qu’elle est divertissante, même si l’on perd à tous les coups.

Il serait rassurant que la supercherie qui est en train d’être montée à l’échelle planétaire autour des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre prête aussi peu à conséquence que ces parties de bonneteau. On voudrait se laisser prendre au jeu du « zéro net » proposé à qui mieux mieux par les gouvernements, comme on choisirait une des cartes qui vient de virevolter entre les mains du dupeur, pour ensuite espérer pour le mieux. Sauf que c’est de notre survie collective qu’il y a va, pas de menue monnaie.

Bien entendu, que ces gouvernements parviennent enfin à articuler des objectifs d’action climatique, après des décennies de déni et d’inaction, est en soi positif. Sans surprise, la plupart de ces objectifs sont situés dans un futur bien trop éloigné pour que les politiques qui les énoncent se sentent contraints d’agir pour de vrai. Mais même à supposer un engagement sans faille de leur part, la plupart de ces buts affichés de décarbonations pêchent par un recours massif à des mécanismes et technologies hasardeux dans le meilleur des cas, inexistants dans d’autres. Il faut apprendre à se méfier comme de la peste de la formule « zéro net » tant elle offre d’échappatoires.

Dans un article publié récemment par le Guardian, Simon Lewis, enseignant de « global change science » au University College à Londres, n’y va pas par quatre chemins : cette formule « fait de plus en plus appel à une comptabilité carbone hautement problématique ». Selon lui, « il en résulte que la nouvelle politique qui tourbillonne autour d’objectifs zéro net est rapidement en train de devenir un dangereux mélange de pragmatisme, d’aveuglement et de greenwashing de qualité militaire ».

Les feuilles de route dites « zéro net » recourent à des techniques de compensation (investir dans des activités censées mitiger à l’avenir les émissions que l’on entend poursuivre aujourd’hui) et d’« émissions négatives » (capter du gaz carbonique et l’enfouir dans le sous-sol). Des méthodes hautement aléatoires que l’on se prépare à intégrer à tout va dans des marchés carbone de haut vol. De probables marchés de dupes, nous prévient Lewis, qui risquent de devenir la prochaine bulle financière prête à exploser – sauf que « la nature ne propose pas de plans de renflouement ».

Jean Lasar
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