Le changement de nom d’un parti, surtout s’il s’agit du Front national (FN), n’est pas un acte anodin. Mais la stratégie qui découle de la proposition faite par Marine Le Pen, au congrès de Lille le 11 mars, de rebaptiser la formation d’extrême droite Rassemblement national (RN), reste très floue et incertaine, et paraît surtout à ce stade destinée à relancer… Marine Le Pen elle-même.
C’est peu dire en effet que la présidente du FN a traversé depuis le printemps dernier un « trou d’air » politique. Il y a eu d’abord son débat totalement raté de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle face à Emmanuel Macron, au cours duquel elle s’est montrée trop agressive et incompréhensible sur l’euro, deux raisons qui expliquent qu’elle n’ait obtenu que 33,9 pour cent des voix au second tour le 7 mai 2017. Il y eut ensuite l’échec retentissant des élections législatives, dans lesquelles le FN plaçait de grandes espérances et qui n’ont envoyé que huit députés frontistes à l’Assemblée nationale. Dans le même temps, la jeune députée Marion Maréchal-Le Pen, 28 ans, très populaire chez les sympathisants du parti, a choisi de se mettre en retrait de la vie politique. Enfin le symbole de la « dédiabolisation » du FN, sur une ligne plus sociale-souverainiste qu’identitaire, Florian Philippot, a été rendu responsable des défaites et poussé au départ, avant de fonder à l’automne son propre mouvement politique, Les Patriotes. Au final, force est de constater que, malgré son accession au second tour de la présidentielle, ce n’est pas Marine Le Pen qui mène l’opposition au macronisme, mais bien davantage Les Républicains (droite) et La France insoumise (gauche).
Pour redorer son image abîmée par la campagne de 2017, elle a donc misé sur une « refondation » du FN lors du congrès des 10 et 11 mars. Seule candidate, elle a été facilement réélue à la présidence. Elle s’est aussi entourée de ses proches dans les instances de direction. Et de nouveaux statuts, adoptés à 79,77 pour cent par les adhérents, ont supprimé la fonction de président d’honneur, à laquelle s’accrochait jusqu’alors son père et fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen.
Surtout, Marine Le Pen a tenu ce qu’elle avait annoncé au soir de sa défaite du 7 mai 2017 : proposer un changement de nom. En toute fin de congrès, elle a dévoilé celui ayant sa préférence : le Rassemblement national. Contrairement au « front », qui symbolise le fait d’être contre, le « rassemblement » est supposé permettre de sortir de l’isolement et trouver des alliances, afin d’accéder un jour au pouvoir. Des alliances entre la droite et l’extrême-droite qui se concrétisent en Europe, à l’instar de l’Autriche où le FPÖ est entré au gouvernement avec les chrétiens-démocrates, ou bien de l’Italie, où l’alliance électorale de la Ligue et de Forza Italia est arrivée en tête aux législatives du 4 mars.
Mais le problème pour Mme Le Pen est que la base frontiste, elle, n’a pas changé. Et donc n’est pas très enthousiaste. En réponse à un questionnaire envoyé aux adhérents avant le congrès, seulement 52 pour cent se sont dits favorables à un changement de nom… Or les militants doivent maintenant voter pour ou contre le « RN », et le résultat, qui pourrait n’être connu que dans plusieurs semaines, est incertain. La présidente du parti a donc dû donner des gages. Le symbole de la flamme tricolore est maintenu, et le « rassemblement national » n’est pas si nouveau que cela, puisqu’il avait été utilisé pour la campagne des législatives de 1986, quand Jean-Marie Le Pen avait réussi à faire entrer 35 députés à l’Assemblée nationale, lors d’un scrutin avec une dose de proportionnelle.
Surtout, et c’est paradoxal avec l’idée de rassembler, Marine Le Pen est largement revenue lors de son discours aux fondamentaux du parti. Et même à une ligne dure : exit l’Europe et surtout la sortie de l’euro, qui avait été placée au cœur du programme par Florian Philippot ; retour au discours identitaire, sécuritaire et surtout anti-immigration. Opposant les « nomades » aux « sédentaires », madame Le Pen a répété que « l’immigration légale et illégale n’est plus tenable ». À aucun moment de son discours fleuve de Lille, elle ne s’est d’ailleurs adressée à des alliés possibles ou à des électeurs nouveaux. Le parti se rétrécit plus qu’il ne s’ouvre. À droite, seul Thierry Mariani, ex-ministre des Transports de Sarkozy, a d’ailleurs fait une offre de rapprochement. « On comprend mal qui, sinon lui-même, le Rassemblement national prétend rassembler à l’avenir », a écrit l’éditorialiste du Monde Gérard Courtois.
Deux événements ont du reste dissipé l’illusion du changement. Le conseiller déchu de Donald Trump, Steve Bannon, a fait une apparition très remarquée au congrès. Le chantre de la droite identitaire américaine y a déclaré : « Vous vous battez pour votre liberté ? Ils vous traitent de xénophobes. Vous vous battez pour votre pays ? Ils vous traitent de racistes. Mais les temps de ces paroles dégueulasses sont finis (…) Laissez-vous traiter de racistes, xénophobes… Portez-le comme un badge d’honneur. Parce que, chaque jour, nous devenons plus forts et eux s’affaiblissent ». Un peu plus tôt, à la sortie d’un bar lillois, le numéro deux du Front national de la jeunesse (FNJ), Davy Rodriguez, avait traité un vigile de « nègre de merde »… mais la scène avait été filmée. Il a été poussé à la démission.
En définitive, le possible changement de nom du parti est surtout une « opération marketing », selon plusieurs politologues dont Jérôme Fourquet de l’Ifop. Et un nom ne change pas, c’est celui des Le Pen. Après Jean-Marie, c’est toujours Marine. Et peut-être dans quelques années Marion ?