Emmanuel Macron veut sortir l’Europe de « la glaciation » et « la rendre au peuple ». Après son allocution d’Athènes, le 7 septembre devant l’Acropole, dans laquelle il avait affiché sa conviction que le meilleur niveau d’exercice de la souveraineté n’était plus seulement national mais européen, le président français a consacré un deuxième grand discours à l’Europe, mardi 26 septembre à la Sorbonne, pour passer cette fois aux propositions pratiques.
Aussi foisonnant que lyrique, le chef de l’État a présenté sa vision de l’UE à dix ans en multipliant les idées, dans à peu près tous les domaines. Qu’on en juge : défense (force commune d’intervention, budget, doctrine partagée), sécurité (académie européenne du renseignement, parquet antiterroriste), migrations (office européen de l’asile, connexion des fichiers, police aux frontières européennes), développement (taxe sur les transactions financières), écologie (taxe carbone aux frontières), numérique (taxation des « Gafa », agence pour l’innovation), commerce (procureur commercial, notamment pour sanctionner « sans délai toute pratique déloyale »). Mais aussi « convergence sociale et fiscale » (nouvelle directive sur le détachement des travailleurs, respect d’une « fourchette de taux pour l’impôt sur les sociétés » sous peine de perdre les fonds de cohésion, salaires minimums dans chaque pays, niveaux de cotisations moins disparates), agriculture (réforme de la PAC), éducation (extension d’Erasmus au-delà du monde étudiant) ou encore institutions (Commission réduite à quinze membres, listes transnationales pour l’élection des eurodéputés : les 73 sièges laissés vacants par le Brexit en 2019, puis la moitié du Parlement en 2024)… Sans oublier un geste envers l’Allemagne : l’invitation à signer un nouveau traité de l’Elysée le 22 janvier prochain, 45 ans après celui entre de Gaulle et Adenauer.
Dans un premier temps, un peu sonnés par ce flot d’idées, les observateurs ont eu tendance à entonner « la France est de retour en Europe », « voici un ambitieux discours de relance de la construction européenne », comme le pays n’en avait plus connu depuis François Mitterrand… Et puis après digestion, réflexion, plusieurs remarques ont émergé. D’abord, ce qu’il n’y avait pas : l’approfondissement de la zone euro. Macron a bien souhaité un « budget plus fort pour la zone euro », alimenté notamment par la taxe numérique, il n’a pas fait mention d’un Parlement de la zone, et encore moins de dettes mutualisées ou de transferts financiers. Quant aux attributions d’un possible ministre des Finances, elles sont restées très vagues.
C’est que les élections allemandes sont passées par là. Dimanche 24 septembre, au cours d’une soirée de grandes contrariétés, le président a non seulement connu un coup d’arrêt pour ses troupes aux élections du Sénat en France, mais la CDU et le SPD ont été sanctionnés en Allemagne par des scores historiquement bas, au profit de l’AfD et des libéraux, dont le leader Christian Lindner déteste les idées françaises sur l’euro. Macron a donc choisi deux jours plus tard de ménager Merkel, qui va devoir bâtir avec le FDP et les Verts une coalition compliquée. Alors que l’économiste Thomas Piketty pensait que Berlin ne pourrait pas éviter d’accepter un débat sur la démocratisation de la zone euro… Paris ne va peut-être même pas le lui demander.
Ensuite, à force de ménager la chèvre et le chou sur les périmètres de l’UE, en « assumant une Europe à plusieurs vitesses » mais sans blâmer les Vingt-Sept pour ne pas se mettre à dos les pays de l’Est, le président a surtout été… très flou. Et on relèvera au passage qu’on peut continuer à se payer de mots sur la « convergence sociale », la réalité est opposée, puisque les salaires entre l’Est et l’Ouest ne convergent plus : depuis 2008, l’écart s’est creusé1.
Le message subliminal serait-il alors celui d’une Europe des frontières ? C’est en tout cas ce que voudrait croire Paul Magnette, l’ex-président PS de Wallonie, en relevant les choix (taxes aux frontières, commerce, sécurité…) d’où pourraient émerger une souveraineté européenne renforcée. Le hic est que non seulement le nord et l’est du continent y sont peu enclins, mais le cœur de l’UE guère plus. Dans son discours sur « l’état de l’Union », le 13 septembre à Strasbourg, Jean-Claude Juncker s’est réjoui d’une relance tous azimuts du libre-échange (avec le Japon, le Mexique, Mercosur, demain avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande…) et il a évoqué un élargissement de l’UE à l’ensemble des Balkans (Albanie, Kosovo, Serbie, Macédoine, Monténégro). Connaissant le FDP et sa politique des années 2009–2013, on peut penser que ces priorités seront aussi celles du prochain gouvernement allemand2.
Que restera-t-il donc du discours à la Sorbonne ? Sans doute la priorité donnée à la défense. Mais nombre d’autres mesures sont bloquées depuis des mois sinon des années (harmonisation fiscale, TTF, règles d’accueil, parquet antiterroriste) et il a finalement reçu un accueil poli des Vingt-Sept. On en saura plus une fois la coalition formée à Berlin.