C’est un peu comme le service militaire obligatoire, supprimé par Jacques Chirac en 1997. Pour une génération de jeunes Français, il y aura certainement un « avant » et un « après » 2021. À cette date, le baccalauréat, « monument national » créé par Napoléon en 1808 et devenu au fil des années une sorte de rite de passage républicain, resté dans bien des mémoires adolescentes, devrait avoir profondément changé. Avec un grand oral et davantage de contrôle continu, il va se rapprocher des diplômes de fin d’études secondaires des autres pays européens.
Après la remise d’un rapport le 24 janvier par l’universitaire Pierre Mathiot, ex-directeur de Sciences Po Lille et plutôt classé à gauche, cette réforme du bac, la plus importante depuis 1962, a été présentée mercredi 14 février par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, en Conseil des ministres. En résumé, il ne devrait plus y avoir que quatre épreuves terminales la dernière année du lycée : un grand oral interdisciplinaire de trente minutes nouvellement créé et la philosophie en juin, ainsi que les deux disciplines « majeures » de chaque élève en avril, contre en moyenne une dizaine d’épreuves actuellement au mois de juin. Grande nouveauté, les autres matières seraient dès lors évaluées par le contrôle continu (notamment des partiels semestriels les deux dernières années du lycée), qui représenterait quarante pour cent de note globale.
Si le conditionnel est de rigueur, c’est que le sujet est sensible en France, où il a déjà poussé des milliers de lycéens dans la rue par le passé. Cette fois, le processus paraît cependant bien enclenché et M. Blanquer pourrait parvenir à ses fins là où plusieurs de ses prédécesseurs se sont cassé les dents, notamment en 2005 François Fillon ou encore en 2008 Xavier Darcos, professeur de latin et de littérature venu à la politique. À ce stade, le projet n’a rencontré qu’une faible opposition politique et syndicale (même si certains enseignants sont inquiets pour le futur poids de leur discipline), ce qui tient autant à la perception des Français d’un système à bout de souffle qu’à l’habileté du nouveau ministre de l’Éducation nationale.
Fin connaisseur de cette administration très particulière (premier employeur du pays avec ses 850 000 enseignants), dont il a occupé plusieurs postes stratégiques, Jean-Michel Blanquer, 53 ans, a charmé depuis neuf mois la droite et le centre avec sa volonté de revenir aux fondamentaux, tout en échappant aux critiques de la gauche, qui n’a pu qu’applaudir le dédoublement des classes de CP (six ans, l’âge de l’apprentissage de la lecture) dans les écoles des quartiers très défavorisés. Avec son savoir-faire indéniable, le ministre assure que la société est aujourd’hui « mûre » pour une réforme du bac maintes fois repoussée, ce qui est vraisemblable.
Avec ses nombreux devoirs sur table du mois de juin, le bac a demandé l’an dernier 2 900 sujets, quatre millions de copies à corriger et mobilisé 170 000 correcteurs et examinateurs. Il est difficilement contestable qu’il est devenu lourd, coûteux et chronophage. Il faut dire que les trois baccalauréats cumulés (le général, le technologique, sur lesquels porte la réforme, et le professionnel) ont été passés l’an dernier par près de 720 000 élèves, contre 80 000 en 1960 ou 200 000 en 1970. Cette année-là, vingt pour cent d’une génération décrochait un diplôme qui a connu ensuite un succès exponentiel : les trente pour cent ont été dépassés en 1986, la moitié d’une génération en 1992, soixante pour cent dès 1995, 70 pour cent en 2011 et aujourd’hui le pays compte 80 pour cent de bacheliers dans une génération, soit le fameux objectif assigné par les socialistes lors de leur arrivée au pouvoir en 1981.
Pour autant, les résultats des élèves français sont peu flatteurs dans les comparaisons internationales et la « massification » de l’éducation n’a pas été synonyme de « démocratisation », les inégalités scolaires restant très fortes. En outre ce baccalauréat plus ou moins inchangé depuis des décennies prépare mal à l’enseignement supérieur ; le taux d’échec en licence universitaire restant un des grands maux français.
D’où la volonté à la fois d’alléger et de simplifier l’examen, et de le rapprocher des diplômes des pays voisins. Avec l’Irlande, la France était le dernier pays européen à n’évaluer les élèves que sur des épreuves terminales ou presque. À l’opposé du spectre, il y a la Suède où seul le contrôle continu est pris en compte (les notes des deux dernières années de lycée), mais entre les deux pratiquement tous les pays ont choisi de mixer les formules, avec à la fois des épreuves terminales et du contrôle continu. C’est le cas par exemple de l’Allemagne, du Danemark, de la Norvège ou encore de l’Italie, où l’équivalent du bac est appelé la « maturità ». Dans ce pays, le grand oral est depuis longtemps au cœur de l’examen, représentant trente pour cent de la note globale, même si la réforme en cours dans la péninsule devrait faire un peu diminuer son poids. En France, ce grand oral devrait peser quinze pour cent de la note finale.
Signe que l’Italie est bien source d’inspiration, le nouvel oral français pourrait s’appeler « l’oral de maturité ». Quant à la classe de terminale du lycée, dont Jean-Michel Blanquer souhaiterait changer le nom pour mieux établir un lien avec l’enseignement supérieur, certains pensent déjà à « la classe de maturité ».