La crise couvait depuis l’été, elle a éclaté au début de l’automne. Florian Philippot, le numéro deux du Front national et surtout l’artisan de ce que certains commentateurs ont appelé un peu vite sa « dédiabolisation », a quitté le parti d’extrême droite. Ou plutôt il a été poussé dehors par Marine Le Pen, qui lui a retiré la stratégie et la communication de la formation frontiste, ce qui ne laissait plus à Philippot, 35 ans, qu’une vice-présidence synonyme de coquille vide.
Diplômé de l’école de commerce HEC puis de l’ENA, haut fonctionnaire un temps proche du socialiste souverainiste Jean-Pierre Chevènement, Florian Philippot avait adhéré au FN en octobre 2011, quelques mois seulement après que Marine Le Pen eut succédé à son père à la tête du parti. Avec elle, il a symbolisé le nouveau discours dit « social » du FN et le rôle accordé à « l’autorité de l’État », alors que l’idéologie de Jean-Marie Le Pen était surtout anti-immigrés et volontiers libérale. Pour affermir sa position, le trentenaire est surtout devenu en quelques années l’incontestable figure médiatique du parti, omniprésent à la télévision.
Mais la base du FN, identitaire et anti-islam plus qu’anti-euro, ne l’a jamais vraiment accepté, lui préférant Marion Maréchal-Le Pen, la nièce de la présidente. Fragilisée par sa défaite à l’élection présidentielle et surtout son débat télévisé calamiteux de l’entre-deux-tours, Marine Le Pen a donc dû trancher (d’autant plus facilement sans doute que Florian Philippot a échoué pour la deuxième fois à être élu député de Forbach, en Moselle). Et le FN a payé ses divisions.
Après son record historique de 10,6 millions de voix recueillis au second tour de l’élection présidentielle, le FN connaît en effet des déconvenues à répétition depuis le printemps. Avec huit députés, les résultats des législatives ont été bien en-deçà de ses espérances. Fatiguée et sans groupe parlementaire, Marine Le Pen a quasiment disparu pendant l’été. Le FN a été totalement absent de la contestation contre la loi travail, à laquelle il est pourtant officiellement opposé. Tant et si bien que l’opposant numéro un à Emmanuel Macron est devenu, en quelques semaines, Jean-Luc Mélenchon.
Privé de Florian Philippot, qui reste à la tête de son association Les Patriotes où l’ont suivi quelques ex-frontistes dont l’eurodéputée Sophie Montel, le FN va-t-il pouvoir continuer à être ce parti attrape-tout qui a réussi à agréger des électorats différents1, ou bien va-t-il se recroqueviller sur ses origines identitaires radicales ? Le congrès du parti en mars 2018 à Lille, où devraient être débattues l’organisation, les idées et la stratégie, apportera sans doute un début de réponse, mais d’ores et déjà on peut relever les difficultés auxquelles devraient faire face Marine Le Pen.
La présidente du FN a finalement lâché celui qu’elle avait défendu pendant plusieurs années face à la majorité du parti. Celui qui symbolisait sa propre stratégie, qui avait fait naître en quelque sorte un FN du nord dit « social » et un FN du sud plus « identitaire ». Mais l’implantation locale de Marine Le Pen elle-même reste bien dans les Hauts-de-France, une région de souffrances sociales dont les bassins miniers du Nord et du Pas-de-Calais ont envoyé en juin dernier à l’Assemblée nationale cinq des huit députés FN. Or les élections sénatoriales du 24 septembre viennent de porter un coup d’arrêt à cette expansion : les deux seuls sénateurs Front national restent ceux du sud (Marseille et Fréjus), le parti n’ayant finalement décroché aucun siège dans le Pas-de-Calais.
Quant aux autres partis, ils comptent bien ravir au FN une partie de son électorat. Laurent Wauquiez, qui devrait sauf surprise être élu en décembre à la tête de LR, mise sur une droite populaire et rurale pour défendre les « territoires délaissés », en opposition à la droite bourgeoise et financière des grandes métropoles qui aurait rallié Macron… Quant à La France insoumise, elle se donne ouvertement l’ambition de « sortir Marine Le Pen du jeu , parce que c’est à nous qu’elle coûte cher, c’est le peuple qu’elle divise, pas les riches et les banquiers », selon les mots de Jean-Luc Mélenchon. Et c’est justement dans le nord du pays que les succès remportés en juin contre des candidats Front national par les nouveaux députés Caroline Fiat (Lorraine) ou François Ruffin (Picardie) symbolisent concrètement cette volonté de reconquête par la gauche d’un électorat ouvrier abstentionniste ou tenté par le vote frontiste.