Après un été difficile, sinon raté, sur la scène politique intérieure, la rentrée de septembre paraissait indéniablement sous tension pour Emmanuel Macron. Manifestations prévues contre la loi travail, courroux multiples contre la baisse des emplois aidés et de l’aide au logement, problèmes universitaires récurrents, colères d’élus locaux et de fonctionnaires contre les annonces estivales… La cote de popularité du jeune président en avait pâti, plus basse fin août que celles de Chirac, Sarkozy et Hollande à la même période de leurs mandats. C’était alors l’heure de vérité pour le nouveau pouvoir.
Trois mois plus tard, dans un premier bilan, le moins que l’on puisse écrire est que l’exécutif a passé ces obstacles avec succès. Principal symbole, les ordonnances réformant le code du travail, applicables depuis fin septembre, viennent d’être votées le 28 novembre à l’Assemblée nationale (en première lecture), afin d’avoir force de loi. En ne sciant pas outre mesure le pouvoir des branches par rapport aux entreprises, le gouvernement a effectivement réussi à diviser les syndicats, si bien que les manifestants se sont retrouvés de moins en moins nombreux dans la rue et n’ont en définitive pas réussi à peser contre des mesures pourtant défavorables aux salariés.
Cet indéniable recul social, le chef de file de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a bien dû le constater fin octobre : « Il se passe quelque chose hors du commun en France. Nous étions le dernier pays, de toute l’Europe, qui avait un mécanisme de résistance sociale tel que le dur de la réforme libérale qui est passée sur l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et même le Portugal, l’Italie n’avait pas atteint la France », a-t-il déclaré, avant de reconnaître la fin de cette exception : « pour l’instant, c’est [Macron] qui a le point. Faut pas chercher à le cacher ». De la même façon, le budget 2018 a été adopté le 21 novembre en première lecture par les députés, avec la baisse par étapes de la taxe d’habitation, mais aussi la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en une taxation uniquement immobilière, une mesure majoritairement impopulaire qui vaut désormais à Emmanuel Macron d’être perçu comme « le président des riches ».
Ces obstacles ont pu être franchis grâce à une communication d’annonces quasiment quotidiennes, des contre-feux médiatiques habiles et un plan pour les universités plutôt bien ficelé, éteignant toute contestation étudiante. De même, les élus locaux dont l’opposition au pouvoir central paraissait grandissante (hausse des économies réclamées aux communes, baisse des contrats aidés, doutes sur le remboursement par l’État de la baisse de la taxe d’habitation…) n’ont finalement guère bousculé Emmanuel Macron lors du 100e congrès des maires de France, le président de la République se payant même le luxe de suggérer à terme la disparition totale de la taxe d’habitation. Il est vrai que le député PS de l’Ardèche et président de l’Association des petites villes de France, Olivier Dussopt, entrait au même moment au gouvernement. Moins d’une semaine après avoir voté contre le budget 2018 à l’Assemblée, il a donc défendu ce même budget devant le Sénat, comme secrétaire d’État à la Fonction publique. Vous avez dit opportunisme ? Il a en tout cas été exclu du PS.
Pour autant, toute opposition n’a pas disparu. Alors que les négociations des primes (treizième mois, frais de déplacement…) sont passées par la loi travail des branches aux entreprises, les routiers ont réussi par des mobilisations à sanctuariser les leurs, et des syndicats du bâtiment, de la métallurgie, de la chimie ou encore de l’agroalimentaire tentent de les imiter. Reste que le chômage se maintient à près de dix pour cent de la population active, et les plans de licenciements collectifs se multiplient : Nokia (repreneur d’Alcatel), Nestlé (le laboratoire Galderma), Engie (l’ex-GDF-Suez), Kingfisher (Castorama et Brico Dépôt), General Electric (qui avait absorbé Alstom Energie)… Résultat, les fractures sociales et territoriales sont toujours là, et 65 pour cent des Français sondés se disent « perdants » des réformes Macron.
D’où le positionnement du parti de droite Les Républicains (LR), dont Laurent Wauquiez va prendre la tête en décembre. Il compte en faire le porte-voix des territoires délaissés, cette France « périphérique » au sens large, avec ses zones rurales désertées, ses usines à l’abandon et ses classes populaires abstentionnistes ou tentées par le FN qu’il souhaiterait récupérer. LR vient en tout cas d’obtenir une commission d’enquête parlementaire sur le rôle de l’État dans les rachats d’Alstom par GE puis Siemens, et des chantiers navals de Saint-Nazaire par l’Italien Fincantieri. Cette orientation de LR a vocation à être extrêmement critique vis-à-vis du fonctionnement actuel de l’UE, et pour le comprendre, il faut avoir en tête l’ouvrage écrit en 2014 par le jeune loup de la droite décomplexée, Europe : il faut tout changer (Odile Jacob). En résumé, s’il entend garder l’euro, Wauquiez dit vouloir sortir de Schengen et réduire le noyau dur de l’UE à cinq des six pays fondateurs plus l’Espagne… mais sans le Luxembourg.
Il va donc surfer sur les limites du slogan macroniste de « l’Europe qui protège » : le compromis trouvé sur le travail détaché en a laissé plus d’un sceptique, moults projets fiscaux sont toujours bloqués, notamment par l’Irlande, le Luxembourg ou les Pays-Bas, les renforcements de l’antidumping ou du contrôle des investissements étrangers n’avancent pas, quant au « Buy European Act » promis par Macron, il est bloqué au Conseil… Mais n’est pas Donald Trump qui veut, et si Wauquiez entend suivre son exemple, une des différences majeures avec les États-Unis est qu’il y a encore en France une dose de protection sociale pour les « sacrifiés » de la mondialisation. Et au pays de Voltaire et de Hugo, du moins jusqu’à présent, la présidentielle se gagne sur des sujets socio-économiques, pas ethnico-religieux. Le néo-positionnement de LR est cependant si voyant qu’il a déjà rebattu les cartes : avec les élections européennes de mai 2019 en ligne de mire, Alain Juppé (toujours LR) s’est ostensiblement rapproché d’Emmanuel Macron, dont il a apprécié le discours de la Sorbonne sur l’Europe, suggérant « un grand mouvement central » dans deux ans… En France comme en Allemagne, le clivage majeur est plus que jamais devenu le fonctionnement de l’UE.