Entre 600 et 700 églises et chapelles à travers le pays sont concernées par le transfert de propriété prévu dans la convention entre l’État et l’Église catholique

L’autre parc immobilier

d'Lëtzebuerger Land vom 30.01.2015

« Par moi-même, il ne me viendrait pas à l’idée de fermer une seule église ! » lance Martin Molitor, curé-doyen régional de la communauté pastorale de Wiltz. Sa responsabilité s’étend sur quatre communes civiles (régions de Wiltz et de Kiischpelt) concernant en tout quinze paroisses catholiques différentes avec 21 églises. Il y œuvre désormais avec un autre curé et un vicaire alors que, dans les années 1950, « il y avait une bonne trentaine de curés pour la même région » se souvient-il. Déjà aujourd’hui, le quotidien de Martin Molitor est fait de longs trajets, parfois vingt minutes, pour relier deux offices. Les messes du week-end se tiennent de manière fixe dans deux églises de la région, auxquels s’ajoutent des services tournants afin que chaque village ait une messe une fois par mois. Le doyen observe, stoïque, le mouvement de concentration national opéré par l’Église catholique, qui réduit le nombre de paroisses à 32 (alors qu’il y actuellement encore 106 communes) et fait remarquer que pour lui, il est important que les petites églises subsistent, que même s’il y a moins de messes le dimanche, les églises jouent un rôle important pour beaucoup de croyants de la communauté, qui s’y retrouvent pour une prière, un moment de recueillement ou pour brûler un cierge. Dans les villages de sa région, il peut s’appuyer sur un réseau d’assistants laïcs qui s’occupent de les ouvrir le matin et de les fermer le soir, de les nettoyer et de les décorer. « Moi, je n’ai rien à voir avec les finances de ces édifices, dit-il. C’est la fabrique d’église qui s’en occupe. Je vais certes aux réunions, mais ce n’est pas moi qui passe les commandes ou qui dois m’occuper du suivi des factures. »

Dans la convention entre l’État et les communautés religieuses, solennellement signé lundi 26 janvier, l’article 20 essaie de régler les questions de propriété des églises, chapelles et autres édifices religieux, questions souvent des plus obscures, « parfois, on ne retrouve même pas les titres de propriété » avait dit le ministre de l’Intérieur Dan Kersch (LSAP) lors de la présentation de la convention. Les plus souvent, se sont les communes qui financèrent leur construction, plus rarement, elles appartiennent aux fabriques d’églises, associations dont les statuts juridiques sont peu clairs. Par la convention, ces associations seront abolies, les communes expropriées (d’Land du 23 janvier) et les édifices tomberont automatiquement dans un Fonds à créer par voie légale, qui sera désormais responsable de leur gestion et du financement de leur entretien et des frais courants (là où ce sont actuellement en règle générale les communes qui assurent ces dépenses). Un cofinancement du Fonds par les communes est exclu. L’Église a jusqu’au 1er janvier 2017 pour définir quels bâtiments elle tient à garder et qui tomberont dans le Fonds et desquels elle se séparera, probablement surtout pour raisons financières. Ces derniers seront alors revendus pour un euro symbolique à la commune ou à l’État, qui ont un droit de préemption. Les églises pourront, après avoir été désacralisées, être réaffectées. Dans un entretien au Luxemburger Wort (du 24 janvier), l’archevêque Jean-Claude Hollerich a annoncé que l’Église envisage de créer un « fonds d’avenir » pour collecter des dons privés de croyants, qui pourront ainsi participer à l’entretien des églises et aux salaires des employés de l’institution, une sorte de crowd-funding.

Il y a actuellement entre 600 et 700 édifices religieux à travers le pays, estime Patrick Sanavia, le directeur du Service des sites et monuments nationaux, qui va réaliser dans les prochains mois un inventaire exact de ce patrimoine. Parmi ces églises et chapelles, 85 sont classées monuments nationaux et pour 32 autres, la procédure de classement est en cours. Le SSMN accompagne 120 rénovations de bâtiments religieux, une part importante de ses moyens financiers et humains. « Ce serait bien que le ministère de la Culture respectivement nos services soient associés à la discussion sur la réaffectation des bâtiments », s’avance le directeur, pour qui la valeur patrimoniale des églises dépasse la seule qualité architecturale. Il s’agit aussi de prendre en compte la volumétrie ou le rôle social et urbanistique joué par les églises. Qui restent, dans beaucoup de villages, un des rares points de rencontre des habitants, après la disparition des commerces de proximités et des cafés. Il serait essentiel de trouver une mission comparable à ces édifices, s’ils ne servent plus à l’Église, dit-il.

Mais, bien que Patrick Sanavia cite des exemples de reconversions réussies à l’étranger (hôtels, restaurants, marchés couverts…) ou au Luxembourg (la bibliothèque de l’Université du Luxembourg à Limpertsberg, une salle de billard à Beringen ou pour manifestations culturelles à Roodt/Syre), il est très prudent dans ses visions d’avenir, le choc de Differdange étant encore très présent. C’était en décembre 2012, l’administration communale de Differdange voulait trouver une nouvelle affectation à l’église Notre-Dame des douleurs, vieille d’une soixantaine d’années et qui ne servait plus, les croyants se retrouvant dans les quatre autres églises de la commune. La Ville était prête à investir 1,3 million à sa stabilisation, le SSMN la même somme dans sa rénovation et un investisseur privé encore une fois 1,3 million pour y installer un marché couvert. Or, l’archevêque, venu s’ériger en rempart contre les « marchands du temple » lors d’une réunion tumultueuse à Differdange, où il parla d’un Kulturkampf en vue, s’y opposa virulemment et ne voulait désacraliser l’édifice que pour sa démolition. Ce qui fut fait. Aujourd’hui, on peut garer sa voiture sur le vide resté après qu’elle ait été rasée.

Vu sous cette lumière, toutes les discussions sur les possibles réaffectations du patrimoine religieux sont donc à prendre au conditionnel. D’ailleurs, la version publiée de la convention n’est pas très claire sur plusieurs points concernant le patrimoine, notamment le volet de la désacralisation : « Le culte catholique s’engage à désacraliser [les] édifices [repris par les communes] à la demande du conseil communal » y lit-on. « J’attends de recevoir la version signée de la convention », répond Emile Eicher (CSV), le président du Syvicol (Syndicat des villes et communes), qui se réunira mercredi prochain pour discuter une première fois des implications de la convention pour les communes. « Il y avait beaucoup d’imprécisions et de contradictions dans la version distribuée la semaine dernière aux députés, dit-il. Ce qui est sûr, c’est que les discussions ne commencent que maintenant. Je crois que les négociations concrètes entre les communes et les fabriques d’églises seront ‘sportives’ ! » Dans un communiqué de presse virulent, les conseillers communaux CSV s’offusquent des charges financières supplémentaires imposées aux communes qui devront reprendre la gestion des églises dont voudra se séparer le futur Fonds.

Un exemple. À Dudelange, commune comptant de nombreuses églises sur son territoire, il y a un petit bijou architectural moderniste et méconnu : la chapelle Saint-Eloi dans la quartier Schmelz fut construite en 1962-64 par l’architecte Nobert Mangen, peu après la célèbre chapelle Notre-Dame du Haut de Le Corbusier à Ronchamp, dont l’influence est évidente : utilisation du béton, vitraux colorés lumineux, minimalisme des décorations et cohérence du mobilier. La cloche a été financée en 1988 par les habitants du quartier, très attachés à leur église. Elle fut classée monument national en 2004, mais ne sert plus aux offices catholiques. Depuis mai 2013, l’église protestante l’utilise pour ses messes, mais le bâtiment est en piètre état, comme l’ont constaté Stéphanie Laruade et Sophie Langevin, qui ont fait une recherche approfondie sur le bâtiment pour le pavillon luxembourgeois à la biennale d’architecture de Venise 2014, Modernity – Loved, hated or ignored (qui sera montré à la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie cet été). « Il y a des infiltrations d’eau, le béton se dégrade, il y a des problèmes d’étanchéités ou des moisissures dans les tubes lumineux… », constate, inquiète, l’architecte Stéphanie Laruade. Il faudrait la réhabiliter maintenant, le SSMN serait prêt à payer ses cinquante pour cent des travaux comme le lui permettent les règlements en cas de rénovation d’un monument national. Mais la fabrique d’église devrait alors trouver les autres cinquante pour cent. Or, tous les membres de la fabrique d’église locale n’ont pas le même enthousiasme pour son architecture que les chercheurs. Puis il y a la question de quoi y mettre ? Des idées de la commune d’y installer une maison-relais ont été refusées par la hiérarchie de l’Église. Le presbytère accueille des activités des loisirs et des clubs, mais au-delà ?

Dans toute la discussion, il ne faut pas perdre de vue que derrière les considérations symboliques ou esthétiques, les édifices religieux et les terrains sur lesquels ils sont construits, constituent aussi un patrimoine foncier et immobilier d’une grande valeur. Une ressource financière importante pour l’Église au moment où les financements publics sont considérablement réduits (de 25 millions d’euros annuels à 6,7 millions d’ici vingt ans). Car l’archevêque a beau prêcher la modestie et l’humilité, estimant qu’être un peu plus pauvre ne fera pas de mal à l’Église et que lui-même pourrait tout aussi bien vivre dans une maison plus petite que le palais épiscopal actuel. Toujours est-il que l’archevêché lui-même possède plusieurs trésors fonciers, notamment les bâtiments qui longent l’avenue Marie-Thérèse à Luxembourg-Ville. La société immobilière de l’archevêché, Maria Rheins-heim S.A. y a un grand projet de construction qui remplacerait l’actuel centre Convict et pour lequel elle détruirait aussi la chapelle du site, occupée par l’église anglicane et que la Ville de Luxembourg et le SSMN jugent digne de protection. L’ancienne ministre de la Culture Octavie Modert (CSV) toutefois n’avait pas voulu classer l’édifice ; depuis lors, le projet est un peu tombé dans l’oubli.

Dans son rapport annuel 2012 intitulé Faits et chiffres, l’Archevêché écrit, dans le chapitre consacré à sa gestion patrimoniale, que, pour parer aux « déficits importants » des derniers années, « des réflexions ont [...] été lancées pour assurer une gestion plus entrepreneuriale entre autre liée à une gestion plus active du patrimoine immobilier ». Tout indique que l’Église entre dans l’ère du capitalisme.

josée hansen
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