Chroniques de l’urgence

Le despote de l’infox et du déni

d'Lëtzebuerger Land du 10.07.2020

Avec ses 2,6 milliards d’utilisateurs réguliers, sa gouvernance autocratique et ses choix presque systématiquement contraires à l’intérêt du public, l’empire Facebook (qui comprend Instagram et WhatsApp) est devenu une menace existentielle pour l’humanité. Cette affirmation peut sembler exagérée pour qui y consulte distraitement des clips de chatons ou coordonne son prochain rendez-vous d’un message tapoté sur son téléphone. Pourtant, la menace est sérieuse, l’alarme de mise.

« Si la puissance combinée de marques comme Unilever et Coca-Cola ne fait pas peur à Mark Zuckerberg, qui peut demander des comptes à la plateforme de réseaux sociaux ? », s’interroge dans le Guardian Carole Cadwalladr, la journaliste qui a révélé le scandale Cambridge Analytica. Pour protester contre le refus de Zuckerberg d’endiguer les propos haineux, ces marques, et d’autres de premier plan, se sont récemment ralliées à la campagne #StopHateForProfit et ont annoncé un moratoire de leurs publicités sur la plateforme. Ce à quoi son patron a réagi d’un haussement d’épaules : « Je suppose que tous ces annonceurs finiront par revenir sur la plateforme », a-t-il confié à ses employés.

Signe de son engagement désormais sans faille aux côtés du status quo fossile, Facebook a récemment créé dans son programme de vérification des faits, censé filtrer les infox, une exception de taille qui permet aux affirmations niant la réalité de la menace climatique de continuer de circuler sur les fils d’actualité de ses utilisateurs. Ce programme permet à un panel d’universitaires affiliés à l’organisation Science Feedback d’évaluer l’exactitude de contenus viraux. Après qu’un article climato-sceptique publié par le Washington Examiner et relayé sur Facebook eut été signalé par ce panel comme faux, un tour de passe-passe consistant à l’étiqueter comme article « d’opinion », opéré par un employé conservateur du réseau social, lui a permis de passer entre les mailles du filet. Dans la foulée, le groupe proche de la Maison Blanche à son origine, CO2 Coalition, a été à réautorisé à acheter de l’espace publicitaire et à diffuser sa propagande pernicieuse sur le réseau social. Celle-ci attaque notamment, sans le moindre argument valable, la pertinence des modèles climatiques. À l’inverse, des contenus diffusés par Katharine Hayhoe, scientifique émérite et communicante infatigable de l’urgence climatique, ont été qualifiés de « politiques » et censurés.

Facebook, qui reconnaît ouvertement s’épanouir dans la controverse, se sent donc désormais assez fort pour faire la nique à quelques-uns de ses annonceurs les plus puissants, s’aligner avec Donald Trump et sa coalition néofasciste et, cerise sur le gâteau, laisser circuler sans encombres de l’intox climato-sceptique. « Trump et Zuckerberg ont formé une alliance stratégique tacite, et presque certainement non formalisée », résume Cadwalladr, qui veut croire qu’il n’est malgré tout pas trop tard pour « tailler les ailes » de Facebook.

Jean Lasar
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