« Gerard Lopez doit disparaître de notre cher Sud-Ouest. » L’ancienne gloire française des Girondins de Bordeaux (puis du Bayern München), Bixente Lizarazu, s’est emporté en fin de semaine dernière de manière inhabituelle. Sur Instagram, le champion du monde en 1998 a accusé l’entrepreneur luxembourgeois d’avoir géré de manière « désastreuse » l’équipe de foot de Bordeaux depuis qu’il en a pris la présidence en 2021. Le club fondé en 1881 évoluait alors en première division. Ce jeudi, les instances fédérales l’envoient en troisième division, en national 1. Et surtout, face à un mur de dettes et de déficit, les Girondins de Bordeaux ont été contraints de déposer le bilan et, du même coup, d’abandonner leur statut professionnel… qu’ils avaient acquis en 1937. « Des gamins jetés à la rue fin juillet sans perspective. Impardonnable », s’est offusqué le banquier d’affaires et observateur des Girondins, David Gluzman sur X (ex-Twitter), en référence aux pensionnaires du centre de formation qui, du jour au lendemain, se confrontent au risque que leur rêve de devenir joueur de foot professionnel ne s’effondre.
Ce mardi, le club a évité le pire : la liquidation. Le tribunal de commerce de Bordeaux a accepté le redressement judiciaire. Le club gagne un sursis avec un gel des dettes et la possibilité de repartir en national 1. Cette décision devait être confirmée jeudi par la direction nationale de contrôle de gestion des clubs (DNCG). De quoi (légèrement) rassurer les supporters. L’émoi est grand dans la ville et la région. La presse feuilletonne. Mercredi, le quotidien régional Sud Ouest rapporte que Gerard Lopez ne s’est pas présenté place de la Bourse (où se trouve le tribunal de commerce), car le Luxembourgeois a reçu des menaces de mort. 300 supporters se sont donné rendez-vous pour manifester leur mécontentement et « dégager Gerard Lopez ». La semaine dernière, le groupe Ultramarines 1987, jusque-là favorable au Luxembourgeois (grâce à une habile communication de ce dernier), avait retourné sa veste : « Il enterre le club vivant. Le futur doit s’écrire sans lui », a tweeté le principal groupe de supporters. Symbolique posthume : L’Équipe raconte qu’ils ont déposé devant le tribunal de commerce des écharpes aux couleurs des clubs de foot qui appartiennent ou ont appartenu à Gerard Lopez : Mouscron, Boavista, Bordeaux et Lille.
Gerard Lopez dirigeait auparavant le club du Nord de la France. Sous sa présidence, l’équipe du Losc avait connu une saison très délicate au début puis avait progressé. L’homme d’affaires avait quitté le club en décembre 2020, en pleine saison, mais le Losc avait fini champion. Bien pour la dimension sportive. Mais la gestion a été vivement critiquée. En juin, devant une commission du Sénat français dédiée à la financiarisation du football, le nouvel actionnaire du club de Lille avait vertement critiqué l’action de son prédécesseur luxembourgeois (sans le citer nommément). « Le club aurait pu et peut-être dû mourir en décembre 2020, car il était en situation de banqueroute, pour un certain nombre de raisons, celles qu’on peut citer étant une mauvaise gestion financière, de mauvaises décisions économiques et un certain nombre d’autres choses, comme le Covid-19 ou le retrait de Mediapro » (un manque à gagner en droits télé), avait commenté Maarten Petermann, patron du fonds Merlyn Partners.
Un semestre plus tard, Gerard Lopez a réapparu dans le Sud-Ouest de la France, cette fois non plus comme un fossoyeur, mais comme un sauveur. En juillet 2021, il a signé « un deal inédit », comme David Gluzman l’explique au Land. Une procédure était déjà ouverte devant le tribunal de commerce bordelais. Les propriétaires des Girondins de Bordeaux, le fonds d’investissement King Street, avait perdu 150 millions d’euros en trois ans, et ne souhaitait pas remettre au pot pour financer la prochaine saison d’un club devenu structurellement déficitaire depuis le départ de l’actionnaire M6 (chaîne française détenue par RTL Group), en 2018. Gerard Lopez a réalisé « un coup de maître », commente Gluzman, en achetant les Girondins de Bordeaux pour vingt millions d’euros tout en sécurisant un emprunt auprès des deux fonds américains, King Street et Fortress. Un club de ligue 1 de bonne réputation vaut entre 100 et 150 millions d’euros, selon le spécialiste. « Vous n’aurez rien sans moi. Avec moi, vous pourrez éventuellement regagner une partie de votre argent », ventriloque Gluzman à la place de Lopez. Comme à Lille, l’homme d’affaires espère rembourser ses emprunts en générant des plus-values sur les transferts de joueurs, notamment grâce à une équipe de scouts, des guetteurs de joueurs prometteurs. Puis en fin de parcours, revendre l’actif en générant un bénéfice.
Mais patatras. L’équipe a réalisé une saison 2021-2022 catastrophique et a été reléguée en deuxième division. Les conséquences financières sont lourdes le cas échéant : chute prévisible des revenus de sponsoring, de billetterie, de valeur marchande des joueurs et de droits TV. Pour franchir l’obstacle de la DNCG, qui ne laisse concourir que des clubs à même d’honorer leurs coûts de fonctionnement, Gerard Lopez a contraint ses créanciers américains de tirer un trait sur une bonne partie de la dette. Deuxième tour de force. « C’est brillant ce qu’il a réussi », juge Gluzman, mais au lieu d’assainir la structure de coûts, notamment la masse salariale, Gerard Lopez « est resté dans la démesure ». Elle est taillée pour l’élite du football français. Les salaires représentaient 130 pour cent du chiffre d’affaires, selon les données 2022-2023 de la DNCG. Cette année-là, le club a raté la marche de la première division à l’avant-dernière journée. L’actionnaire a dû repartir pour une année de pain noir. Pour cela, il a fallu à Gerard Lopez apporter quarante millions d’euros. Ce qu’il a accompli par un prêt d’actionnaire. Mais, cette année, le club a encore une fois échoué à l’accession au seul championnat permettant aux Girondins de financer leur train de vie. Ils affrontent aujourd’hui un mur de 90 millions d’euros de dette et 42 de déficit, « un montant trop important pour les moyens du club et de son actionnaire », a commenté Laurent Cotret, l’avocat des Girondins, mardi. Contacté par téléphone ce jeudi, un communiquant lié à Gerard Lopez parle, lui, de trente millions d’euros d’endettement (en sont exclus les vingt millions de loyers impayés du stade et le prêt actionnaire de l’année dernière).
Cette semaine, l’entrepreneur luxembourgeois aurait apporté quatre millions d’euros de garantie nécessaires au sursis du club en national. Mais l’avenir du Luxembourgeois à Bordeaux s’écrit en pointillés. S’il était initialement catégorique sur sa présence au chevet du malade girondin, l’arrivée d’un nouvel investisseur se profile. L’on reparle du groupe américain Fenway Sports en négociation pendant quelques temps avant de faire volte-face au dernier moment, la semaine passée. Les potentiels invetisseurs ont été refroidis par l’impossibilité pour la Métropole de Bordeaux de tirer un trait immédiatement sur les arriérés de paiement du stade construit pour les Girondins voilà une dizaine d’années (même pas). Depuis quelques jours, des entrepreneurs locaux pointent le bout de leur nez. Ce qui surprendrait Lopez, lui qui a toujours dit que le capital était ouvert à toute personne intéressée, souffle son entourage.
Pour les Bordelais, le Luxembourgeois est responsable de la descente aux enfers de leur club. Ironie du sort, un autre Luxembourgeois, Camille Libar, avait permis aux Girondins de remporter son premier titre en première division. C’était en 1950. Contacté par le Land, l’économiste du sport, Mickael Terrien, relativise la responsabilité de Gerard Lopez. « Peu de monde arrive à rendre l’exploitation d’un club profitable. Souvent, l’actionnaire attend un retour d’investissement par ailleurs, par exemple s’il opère dans un secteur proche des décideurs politiques », comme l’ancien président du club de football de Montpellier, Louis Nicollin, propriétaire de la société responsable de la collecte des déchets dans la préfecture héraultaise. Selon le dernier rapport annuel de la DNCG, le résultat net des clubs de Ligue 1 est négatif (- 273 millions d’euros) pour la septième saison consécutive. Seuls huit des 18 clubs de Ligue 2 dégagent des bénéfices (contre douze la saison précédente), de maigres bénéfices. Car ils ne sont supérieurs à un million d’euros que pour un seul club.
Selon notre expert de l’économie du sport (et supporter des Girondins), Gerard Lopez a vu les clubs comme un portefeuille de joueurs, notamment après l’interdiction du third party ownership consistant à titriser les joueurs (des fonds détenant une part de leur valeur marchande), secteur dans lequel il avait des ambitions. Mais Mickael Terrien rajoute qu’avec qu’une telle masse salariale et devant un loyer de stade si élevé, « c’était inéluctable » pour les Girondins. Les multiples recours déposés et obtenus ces dernières années devant les différentes instances de la fédération et du sport n’ont que retardé l’échéance. Les clubs sont considérés « too big to fail par leur poids sociétal » et sont politisés, explique Terrien. « Les partenaires économiques, institutionnels, associatifs et sportifs locaux, et moi-même, espérons que notre club historique sera sauvé et reviendra dans l’élite du football français », avait par exemple déclaré le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic (écologiste) en 2022. Il avait alors soutenu Gerard Lopez dans son appel contre la décision de rétrogradation administrative des Girondins en national 1. « Les choix de gestion hasardeux ont amené en trois saisons notre club qui évoluait dans l’élite de la L1 au niveau amateur », a tancé le même Pierre Hurmic la semaine passée en direction de Gerard Lopez. Flotte l’odeur de la disgrâce.