Connaissez-vous Grégory Doucet, Michèle Rubirola, Jeanne Barseghian et Pierre Hurmic ? C’est peu probable, et ce n’est pas étonnant. Inconnus du paysage politique national français, ils n’étaient pas non plus des figures locales de premier plan, sauf peut-être Monsieur Hurmic, jusqu’à la constitution des listes pour les élections municipales, il y a six mois.
Pourtant, ces écologistes viennent d’être élus à la tête de certaines des plus grandes villes de France : Lyon, Marseille1, Bordeaux et Strasbourg. Mieux, ils incarnent la vague verte du second tour du scrutin, dimanche 28 juin, dans les métropoles du pays : les verts en dirigent désormais cinq sur les vingt premières, alors qu’ils n’en avaient jusqu’alors qu’une seule de plus de 100 000 habitants, Grenoble, conquise en 2014 par Éric Piolle. Ce dernier a d’ailleurs été réélu, et l’on peut encore ajouter aux prises écologistes des villes moyennes comme Besançon, Tours, Poitiers ou Annecy.
Sans compter qu’à Paris, Nantes, Rennes, Le Mans, Rouen, Montpellier, Clermont-Ferrand ou encore Nancy (reprise à la droite), les verts étaient dans les alliances de gauche à géométrie variable (avec les communistes et/ou les Insoumis) qui ont permis à des maires socialistes d’être élus, en plaçant l’écologie à côté de la solidarité comme priorités de leurs mandats. Huit des dix plus grandes villes françaises, et 18 sur les trente premières, sont à gauche. Un triomphe écologiste donc, mais un triomphe de gauche. Et qui plus est féministe, cinq des dix plus grandes villes étant désormais dirigées par des femmes.
Là où les verts pouvaient aussi l’emporter, il n’y a guère que Toulouse, Lille ou Metz qui leur ont échappé. La droite Les Républicains (LR) a gardé de justesse la « ville rose ». Dans le Nord, la socialiste Martine Aubry, qui n’avait finalement pas fait liste commune avec les écologistes, l’a emporté face à eux d’un écart encore plus serré.
Avec une nouvelle abstention record sous la Vème République (58,4 pour cent), « le peuple français en grève civique » selon la formule de Jean-Luc Mélenchon, on peut bien sûr relativiser ce succès. Il n’en reste pas moins une préoccupation croissante des Français. Pollutions urbaines, réchauffement climatique ou crise du coronavirus révèlent qu’il faut mieux traiter la nature, pour ne plus vivre si mal. Après les marches pour le climat, après le bon score des écolos au dernier scrutin européen, les épisodes caniculaires de fin juin et fin juillet 2019 avaient encore marqué les esprits dans les métropoles denses et bitumées. Singulièrement à Paris, où les 42,6 degrés Celsius du 25 juillet ont établi un record absolu.
Si la droite LR a perdu Bordeaux la bourgeoise, au grand étonnement du pays, elle retrouve Metz (de quelques voix face au candidat écologiste), garde Nice, Toulouse ou Limoges, et surtout un fort ancrage local dans les villes de plus de 9 000 habitants. Quant au Rassemblement national (RN), il gagne Perpignan mais perd sa mairie de secteur de Marseille, et au final recule au niveau national par rapport à 2014, y compris dans le nord et l’est du pays.
Manque à cette liste une force politique majeure : la macronie. Car même si le parti est jeune, il subit un désaveu massif. Alors que tout le monde pensait il y a un an que La République en marche (LREM) pourrait conquérir Paris, sa candidate Agnès Buzyn n’est même pas élue au Conseil de la capitale. Au Havre, élection très scrutée, le Premier ministre Édouard Philippe, qui venait de la droite LR, l’emporte finalement largement face à son concurrent communiste, mais c’est donc un peu l’arbre qui cache la forêt.
Emmanuel Macron a bien cherché à allumer des contre-feux dès le lendemain de l’élection, en recevant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, et en annonçant reprendre la quasi-totalité de leurs 149 propositions. Il devait aussi procéder dans la semaine à un large remaniement du gouvernement, pour tenter de donner un nouvel élan à son quinquennat.
Mais le président de la République aura toutefois bien du mal à masquer cette défaite retentissante, et surtout une recomposition du paysage politique sous la forme d’un retour du clivage droite-gauche. Totalement à rebours de ce qu’il avait fait après sa victoire à la présidentielle de 2017 (un regroupement de personnalités de droite LR, de gauche PS et d’écolos comme Nicolas Hulot), les municipales ont en effet poussé LREM à droite, les écolos à gauche, et acté le divorce entre macronistes et écologistes, dont la démission de Hulot du gouvernement en 2018 avait donc été la première étape.
Les alliances électorales LR-LREM pour tenter en vain de « sauver » Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Clermont ou Tours ont profondément choqué dans les rangs écologistes. Rallié de la première heure à Macron en 2016, Daniel Cohn-Bendit a dénoncé « une folie anti-écolo ». Nicolas Hulot y a vu « une faute politique ». Et Yannick Jadot « un front anti-climat ». Plus que jamais, l’écologie à la française va être un pilier des gauches dans l’optique des prochaines échéances électorales, notamment la présidentielle de 2022.