Chronique de l’urgence

Atténuation ou adaptation, le faux choix

d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2019

Les ressources disponibles pour lutter contre le dérèglement climatique et s’y adapter étant limitées, ne vaudrait-il pas mieux renoncer à un combat perdu d’avance et tout faire pour mieux se prémunir contre ses inévitables impacts ? Construire des digues, améliorer les prévisions météo, et plus généralement organiser la résilience ? Jonathan Franzen a publié récemment dans le New Yorker un texte remarqué sous le titre « What if we stopped pretending ? ». « L’apocalypse climatique se prépare. Pour nous y préparer, nous devons admettre que nous ne pouvons pas l’empêcher », argumente l’auteur du roman de critique sociale The Corrections paru en 2001. Critiquant « l’espoir irréaliste » de ceux qui appellent tous les jours à « se retrousser les manches » et à « sauver la planète », il assène : « chaque milliard dépensé sur des trains à grande vitesse (...) est un milliard non investi dans la prévention des catastrophes, la réparation de pays inondés, ou de futurs efforts humanitaires ».

Disons-le d’emblée : Jonathan Franzen a tout faux. En matière climatique, opposer atténuation et adaptation est la fausse bonne idée par excellence. Fiona Harvey a démonté l’argumentaire de Franzen dans le Guardian avec une redoutable efficacité. « Les murs ne vont pas fonctionner avec la crise climatique, même si la tentation d’exclure les conséquences, plutôt que de s’attaquer aux causes, est plus forte que jamais », écrit-elle. « L’opinion selon laquelle s’adapter au changement climatique inévitable devrait être notre priorité, de préférence à des tentatives futiles et ruineusement chères de réduire les émissions, a été propagée par ceux qui veulent continuer d’émettre du CO2 », prévient-elle. « Les entreprises de combustibles fossiles ont vu l’adaptation, accompagnée de l’idée que nous pourrions nous en sortir à l’aide de géo-ingénierie, comme un moyen de continuer de vendre du pétrole tout en faisant semblant d’endosser la science climatique », ajoute-t-elle, avant de trancher : « la vérité, c’est que faire face à la crise climatique nécessite une approche transversale, pour la simple raison que toutes nos ressources – économiques, physiques, sociales – sont menacées. Si nous ne mettons pas en œuvre tout ce que nous pouvons pour résoudre le problème, il ne restera pas grand-chose de toute façon ».

Non que les efforts d’adaptation soient inutiles : Fiona Harvey signale que dépenser 2 000 milliards de dollars dans l’adaptation d’ici 2030 aurait pour conséquence d’éviter de l’ordre de 7 000 milliards de dommages par la suite. Mais se concentrer sur l’adaptation sans s’attaquer à la source du problème est une « illusion » : autant, face à un lavabo qui déborde, passer la serpillère alors que les robinets continuent de couler.

Jean Lasar
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