La Veronal est aujourd’hui une des compagnies les plus prisées des programmations des salles européennes. Devant Sonoma, vu au Grand Théâtre de Luxembourg, pas de doute possible : La compagnie espagnole est bien une des plus incroyables du moment. À la différence d’autres créations chorégraphiques contemporaines, La Veronal allie des influences éparses passant par le théâtre, le cinéma, la danse, les arts plastiques et la littérature, pour composer des spectacles uniques. Sonoma ne fait pas exception, et d’un tableau à l’autre convainc que sa magnificence. C’est par « interdisciplinaire » qu’on décrit La Veronal. La compagnie hispanique fondée en 2005 par Marcos Morau déploie en effet toutes les possibilités scéniques en leur main pour construire ses spectacles. Récompensée de certaines des plus grandes distinctions du spectacle vivant, La Veronal fait flirter théâtralité et chorégraphie dans ses orchestrations spectaculaires où les images se construisent de dialogues corporels, textuels et sonores. De l’esprit de son directeur artistique dessinant des mondes déconstruisant le nôtre, l’équipe artistique montre des œuvres oniriques aux liens ténus avec les grandes thématiques de notre société.
Pourtant si La Veronal brille, ses propositions scéniques sont assez sombres. On y trouve l’ambivalence de l’âme humaine, découpée en métaphores chorégraphiques, où le corps se rompt, s’ouvre, se meut, au grès d’un processus de recherche collectif, décidant comment la scène doit parler. Car bien que les écritures dramaturgiques et chorégraphiques soient signées de la main du maître Morau, les pièces de La Veronal sont des succès collectifs. Et plus que jamais Sonoma montre cette symbiose entre tous les postes associés à la création. Tous s’imbriquent dans le grand tout. Et c’est sûrement la grande force de la compagnie que de trouver à travailler dans cette dimension si précieuse pour le spectateur.
C’est la communion des nombreux héritages que transporte la troupe qu’on nous donne à voir. Entre abstraction, classicisme, surréalisme, modernité, Sonoma renvoie au banc de touche l’idée d’un genre à part entière, pour transformer ce patrimoine de scène en une personnalité marquée, celle de La Veronal. On y croise une danse désarticulée, couplée à des mouvements faisant tournoyer les robes des danseuses, une corporalité totale, amenant les corps à répondre aux sons, définition même de Sonoma, terme inventé et créé de soma, « corps » en grec et sonum, « son » en latin. Tout s’explique.
Danses, lignes de textes en prose, percussions des lumières, vibrations des sons… C’est un ballet hétérogène qui frappe l’œil, tout en s’agençant autour d’une dramaturgie puissante. Au fil de chaque tableau, la représentation de mondes, de temporalités, d’épreuves, ou d’époques, sans qu’on ait trop à s’en soucier finalement. L’impressionnant ne vient en effet pas du récit en tant que tel, qu’on perd finalement, happé par la beauté sidérante de ce qu’on voit : une association millimétrée de corps, d’ambiances et de musiques, qui jubile d’énergie de bout en bout et d’une technicité hors norme. Sonoma est un moment d’exaltation total du côté de la salle, comme en scène.
On sait le travail en amont autour des voix, l’intonation ou le texte – dit en français s’il vous plait –, pour propulser le cadre de compréhension au plus limpide. On sent l’acharnement dans l’interprétation, pour teinter chaque image de multitudes de contrastes. On est éblouis devant le travail immense de synchronisation, amenant à une attention ultime. C’est tout bonnement un spectacle exemplaire en tout point.
Ainsi, en voyageant à travers la danse, le théâtre et la musique, La Veronal décline dans son Sonoma un univers sombre dans le fond et onirique dans la forme, usant des différents langages attachés aux arts vivants pour réussir à toucher au cœur, comme le souhaitait Marcos Morau. Ce dernier, sous le prisme de la religion – forte de traditionalisme – écrit là une nouvelle mythologie biblique, s’amusant de la modernité pour la décrier. Sonoma est assurément l’un des coups de cœur de la saison, tant il questionne les paradoxes d’une ère où le corps se tord, s’agite, s’empresse, dans un monde où plus encore nous ressentons profondément le besoin d’exister. Entendez résonner les tambours, tabassés par les neuf danseuses à la toute fin, c’est un cri, celui d’artistes réclamant leur liberté.