Chroniques de l’urgence

40%

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2022

Célébrons, avec l’auteur et activiste américain Bill McKibben, ce chiffre à la fois contre-intuitif et euphorisant qu’il a glané en ligne, dont il a vérifié l’exactitude et dont il a fait état sur son blog The Crucial Years sous le titre « The happiest number I’ve heard in ages » : Quarante pour cent de l’ensemble des volumes transportés par voie maritime à l’échelle de la planète sont des carburants fossiles, charbon, pétrole, gaz liquéfié et pellets.

Ce chiffre a été calculé par la Commission des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui rappelle à cette occasion un autre pourcentage : Cent pour cent des transports maritimes servant à acheminer des carburants fossiles sont mus eux-mêmes aux énergies fossiles.

Contre-intuitif, ce chiffre de quarante pour cent l’est assurément, tant les énergies fossiles nous ont historiquement été vendues comme un vecteur d’énergie efficace. Le charbon, le pétrole et le gaz peuvent être présentés comme capables d’abattre considérablement plus de travail que la main d’œuvre humaine ou animale tout en occupant un volume limité. Il n’en reste pas moins que l’efficacité qui leur est attribuée néglige presque systématiquement l’énergie qu’il a fallu déployer pour les amener à pied d’œuvre. Ainsi, le concept « well-to-wheels », qui permet de prendre en compte toutes les émissions de gaz à effet de serre occasionnées par les activités requises en amont du plein d’essence (extraction, raffinage, transport…), n’est que très rarement appliqué pour calculer l’empreinte carbone d’une voiture.

Euphorisant, ce pourcentage l’est aussi, et ce malgré les volumes de gaz à effet de serre et la pollution marine astronomiques auquel il renvoie, en ce qu’il illustre avec éloquence les bénéfices conséquents que l’on est en droit d’espérer d’une décarbonation volontariste. Cesser de brûler des carburants fossiles pour se déplacer, se chauffer ou produire de l’électricité à terre permettrait de retrancher près de quatre dixièmes du trafic maritime mondial, y compris, à même proportion, émissions de CO2, fumées toxiques issues de la combustion du gazole marine, dégazages sauvages et pollution sonore si néfaste pour la vie marine.

McKibben fait remarquer que l’on peut transposer ce raisonnement au domaine de la distribution terrestre des hydrocarbures. Les oléoducs et gazoducs qui sillonnent les continents pour alimenter les raffineries et dépôts de carburants, aux effluents nocifs et fuites ou explosions catastrophiques, les flottes de camions citernes vrombissants qui alimentent les stations-service : autant de sources significatives de pollution globale et locale dues à notre recours persistant aux hydrocarbures.

La complexité et la multiplicité des problèmes que l’humanité est censée résoudre simultanément a de quoi décourager et déclenche même, à l’occasion, de stériles disputes sur les ordres de priorité. Il est dès lors rafraîchissant de garder à l’esprit, chiffres à l’appui, les immenses avantages collatéraux qu’aurait mécaniquement un sevrage rapide des énergies fossiles.

Jean Lasar
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