Chroniques de l’urgence

Infernales antichambres

d'Lëtzebuerger Land du 25.11.2022

Si l’on est invité à une conférence durant laquelle on peut espérer faire des affaires, pourquoi se priver ? C’est ce qu’ont dû se dire les représentants de compagnies pétrolières et gazières qui se sont pressés ce mois-ci à la COP27 à Charm-El-Cheikh, en Égypte. Le Guardian a ainsi indiqué qu’en marge de cette rencontre diplomatique censée mettre le monde sur les rails d’une action contre le changement climatique à la hauteur des enjeux, douze contrats d’importance relatifs à l’exploitation d’hydrocarbures ont été signés, dont un accord entre la Tanzanie et Shell pour créer un terminal d’exportation de gaz liquéfié, un autre qui permettra à Total de réaliser des forages au Liban, et un partenariat d’extraction pétrolière et gazière conclu entre l’Arabie Saoudite et l’Indonésie. Un accord promu par les États-Unis prévoit des investissements dans l’énergie renouvelable en Égypte… en échange d’exportations de gaz vers l’Europe.

Non contents de mettre leurs talents de persuasion au service du blocage des négociations climatiques, ce qui leur a manifestement réussi, les 600 lobbyistes de compagnies d’énergie fossile présents à la COP – un record – ont ainsi montré qu’il ne saurait être question pour elles de réduire leurs activités.

D’ailleurs, pour des pétrocraties comme l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis ou la Russie, impossible de distinguer entre lobbyistes et représentants politiques. On sait que les piètres résultats de la COP27 s’expliquent aussi par le fait que la présidence égyptienne de la conférence a docilement répercuté les exigences de son puissant voisin wahhabite.

Les Émirats, qui, rappelons-le, ont l’insigne (et incompréhensible) honneur d’accueillir la COP28, ont redoublé d’efforts pour se peindre en champion de l’action climatique, envoyant un millier de délégués à Charm-El-Cheikh, soit le double de la deuxième délégation en nombre. L’aide généreuse que les EAU accordent au maréchal Sissi a très certainement aussi servi de levier pour convaincre celui-ci de diluer la déclaration finale.

Au mépris des sanctions internationales déclarées à la suite de l’invasion de l’Ukraine, des lobbyistes russes représentant notamment le gazier Gazprom et les pétroliers Lukoil et Taftnet ont hanté les couloirs de la conférence. Mais des entreprises minières et agrochimiques russes sanctionnées étaient également à l’affût, espérant profiter du bouleversement des chaînes d’approvisionnement causé par la guerre pour avancer leurs pions.

Au nom de l’accès de la société civile aux négociations internationales sur le climat – un terme qui recouvre à la fois les activistes climatiques et les lobbyistes –, on a voulu créer l’impression que chacun y était à sa place. En Égypte, cette fiction a explosé. Les premiers ont été soigneusement écartés et muselés, les seconds ont dansé sur la table. Mettre sur un même plan ceux qui tentent d’intervenir pour sauver ce qui peut encore l’être et ceux qui viennent mettre du sable dans les rouages tout en concluant de nouveaux contrats de forage est une funeste erreur.

Jean Lasar
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