Une nouvelle jurisprudence pose la question de la responsabilité pénale des maires

Opgepasst ! E Kräiz ass séier gemach !

d'Lëtzebuerger Land vom 23.02.2018

C’est un arrêt qui devrait faire frémir les maires à travers le pays. Le 31 janvier, Guy Lorent (DP), bourgmestre de la commune de Contern entre 2013 et 2015, a été condamné au Tribunal de police pour avoir signé – probablement par mégarde, on le verra – une autorisation de construire pour un abri de jardin. Il a été personnellement condamné à une amende de 2 000 euros et à 1 500 euros en dommages et intérêts pour « avoir omis d’examiner la conformité de la demande d’octroi d’une autorisation de construire » et pour « avoir accordé une autorisation de construire alors que la construction projetée n’était pas conforme aux prescriptions. » L’ancien maire a désormais un casier judiciaire.

C’est la première fois qu’un bourgmestre se fait condamner au Pénal dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. (Face au Land, Guy Lorent dit qu’il ira en appel.) Cette nouvelle jurisprudence, d’ores et déjà citée dans une affaire similaire impliquant la commune de Differdange, pourrait avoir des conséquences lourdes pour les maires. Car, à l’inverse des parlementaires, ils ne bénéficient pas de l’immunité ; or, leur signature les engage personnellement. Risquant de se retrouver devant le Pénal pour avoir signé un PAP ou une autorisation de construire, ils doivent aujourd’hui réévaluer le poids de leur responsabilité pénale. Car s’il s’était agi d’une résidence et non d’un abri de jardin, les amendes auraient facilement atteint les centaines de milliers d’euros. (Le maître d’ouvrage fut d’ailleurs acquitté. La juge se réfère une jurisprudence selon laquelle « on ne peut exiger d’un propriétaire de contrôler lui-même si l’autorisation de bâtir accordée par le bourgmestre […] est compatible en tous les points avec le règlement communal. »)

L’avocate de Guy Lorent avait argumenté que le Tribunal de police devrait se déclarer incompétent ; ce serait au Tribunal administratif de trancher la question et d’annuler l’acte. La juge voyait les choses différemment et se déclara compétente en matière de règlements communaux. Il lui aura fallu pas moins de sept audiences pour faire défiler l’ensemble des témoins. L’arrêt, qui découvre les vicissitudes et acrimonies de la vie politique locale, rappelle le roman burlesque Clochemerle.

Tout commence en automne 2014 à Moutfort par une dispute entre deux voisins, un retraité et un architecte. Un jour, le premier remarque que le second vient d’entamer des travaux pour la construction d’une cabane en bois accolée à son étable à lui. Le retraité veut confronter l’architecte (par ailleurs également membre de la commission des bâtisses à Contern), il sera froidement reçu par la femme de celui-ci. Elle lui aurait dit (du moins, c’est ce que déclarera le retraité) : « Dir sidd limite, da baue mir och limite », avant d’exhiber une autorisation de construire dûment signée par le maire.

Or, au service technique de la commune, où le retraité se rend ensuite, les fonctionnaires ne retrouveront pas de trace de l’autorisation originale, ni de sa copie, ni des plans de construction. Une disparition de documents qui restera inexpliquée. Tout comme personne ne se souviendra avoir remis au maître d’ouvrage l’autorisation qui, pourtant, avait bel et bien atterri dans la boîte-aux-lettres de celui-ci.

Le maire concédera avoir signé l’autorisation. Mais, expliquera-t-il, s’étant aperçu que les plans n’étaient pas annexés au dossier, il aurait demandé au technicien de garder le dossier « en suspens » jusqu’au moment où tous les documents seront réunis. Le technicien, de son côté, déclarera que le dossier qu’il avait remis au maire contenait tous les éléments – ce ne serait pas dans ses habitudes de remettre des dossiers incomplets au bourgmestre. Il ne se souvenait pas avoir reçu l’ordre de mettre le dossier en suspens.

Chacun tente de refiler la patate chaude au suivant. L’ancien maire blâme ainsi le technicien que lui, ainsi que son successeur, Fernand Schiltz (LSAP), décrivent comme « collaborateur désordonné et peu rigoureux ». Le Parquet poursuivrait la mauvaise personne, estimait Lorent, ce serait le technicien qui aurait dû se retrouver sur le banc des accusés. (À la barre des témoins, le technicien déclarait qu’il « pouvait être considéré comme quelqu’un de chaotique […], mais que de là à perdre carrément des documents, il y a une différence. ») Lorent se plaignait d’un « manque d’implication et d’engagement général des fonctionnaires du service technique », lit-on dans l’arrêt. « Du coup, tout reposerait sur ses épaules et la moindre petite erreur qu’il pourrait commettre se payerait immédiatement très cher ; il ne pourrait compter sur personne pour rattraper un faux pas qu’il pourrait commettre. »

Dans leur procès-verbal, les policiers du commissariat de Moutfort s’essaient à un profil psychologique de l’ancien maire. Certains intervenants, relatent-ils, l’auraient décrit comme « personnalité dominante et imbue de pouvoir ». Puis tombent des adjectifs comme « patriarcal » et « hautain » (cités dans l’arrêt). Lorent n’aurait pas été « dans un état d’esprit d’apaisement », estiment les policiers, et aurait fait preuve d’un « certain acharnement à l’égard du technicien ». Il aurait même été « obsédé » par l’idée de poursuivre celui-ci en justice.

Devant la juge, Lorent critiquera les policiers. Non seulement ceux-ci auraient mené l’enquête exclusivement à charge et « inventé » des faits (une affirmation que la juge désignera de « hâtive » et de « hautement vexatoire »), en plus, ils auraient exprimé « leur opinion personnelle » à travers les conclusions de l’enquête. En fait, depuis un différend concernant le déménagement du commissariat de proximité à Niederanven, les relations entre le maire et les policiers étaient glaciales. (Les policiers évoquent pudiquement une « ambiance particulière dans laquelle s’est déroulée l’affaire ».)

Certains employés de la commune avaient décrit l’ancien maire comme « maniaque et pointilleux en matière d’autorisation de construire ». Ironiquement, c’est ce profilage pseudo-psychologique qui incitera la juge à conclure à la faute de Lorent : « On peut se demander comment un homme aussi pointilleux que Guy Lorent a pu avoir l’idée de confier à un technicien dont il avait une piètre opinion une autorisation signée avec la mission de la conserver en attendant de retrouver les plans qui étaient joints à la demande d’autorisation de bâtir. » Le maire, estime la juge, aurait mieux fait « de simplement déchirer le document signé en attendant que le dossier soit complété ».

Bernard Thomas
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