Le regretté Hubert et son camarade dessinateur Zanzim emmènent le lecteur dans l’Italie de la Renaissance pour un conte moderne qui traite de la question du genre et de la sexualité. C’est Peau d’homme, un album aussi léger que subtil.
Scénariste et coloriste de renom, Hubert (Miss pas touche, Beauté, Les Ogres-dieux…), nous a quittés en février, à l’âge de 49 ans. Non sans laisser Peau d’homme, réalisé avec son compère Zanzim (L’île aux femmes) avec qui il avait déjà publié les diptyques Les Yeux verts et Ma vie posthume.
Peau d’homme sera un one-shot. Mais un sacré one-shot. Comme le précise Zanzim, ce projet mûrit depuis 2013 déjà. Depuis les manifestations, en France, contre le mariage pour tous. « Hubert m’appelle et me dit : ‘Tu voulais faire une BD qui parle de moi ? Eh bien je suis prêt ! Je vais écrire un brûlot ! Cela va s’appeler : Débaptisez-moi !’» explique celui qui connaît Hubert depuis les Beaux-Arts d’Angers. Il poursuit : « Hubert m’envoie ce qu’il a fait mais, du coup, je trouve son brûlot un peu trash (…) Quelques mois plus tard, il revient vers moi et m’annonce qu’il a tout changé et me pitche l’histoire de Peau d’homme. C’est le coup de cœur !» Et on le comprend. Car ce Peau d’homme est un petit bonbon acidulé à la fois sucré et malicieux. Loin du trash de l’idée de départ, il est empli de légèreté, de subtilité tant dans le propos que dans le dessin.
On y découvre Bianca, jeune demoiselle de bonne famille dans une belle cité de l’Italie du Cinquecento. Une « vraie jeune fille », bien comme il faut, dit-on à l’époque ; vierge bien sûr, mais surtout naïve ! De celles qui savent se tenir bien droites et marcher avec finesse. Qui savent aussi se taire quand on ne leur donne pas la parole, faire la révérence et rendre fiers ses nobles parents. Une question d’honneur !
Pas le genre à opposer la moindre résistance quand les parents lui choisissent un mari. D’autant que Giovanni « est jeune et joli garçon ». Mais l’amour n’a rien à voir dans ces épousailles, tout est question d’accords marchands et de relations politiques. Mais voilà, Bianca aimerait mieux connaître son fiancé ; et sa marraine a une solution pour ça. Elle possède une peau d’homme ! Pas un déguisement, une véritable peau, au teint hâlé et aux cheveux bouclés, qu’une jeune femme peut revêtir pour redécouvrir le monde du point de vue masculin. Une possibilité de devenir, pour un moment, un véritable homme, avec tout ce qu’il faut comme corpulence, muscles ou attributs sexuels !
Devenue Lorenzo, Bianca doit réapprendre à occuper l’espace, à marcher les pieds écartés, à garder le menton haut… et à appréhender cette « bosse arrogante » au niveau du pubis, qui la fera s’interroger : « Et on ose dire que les femmes d’habillent de façon impudique ? » C’est donc ainsi « vêtue » que Bianca connaîtra mieux son futur mari. Un homme sympathique et agréable mais surtout… clairement homosexuel !
Pas évident en pleine période de l’Inquisition, et alors que le frère de Bianca, Angelo, jeune prédicateur un brin illuminé, impose peu à peu à la joyeuse cité, des mœurs on ne peut plus strictes. Montrer de la chaire est pour lui indécent, surtout chez les femmes – « tentatrices », « démons en jupon », « corruptrices »… Au point qu’il finit par leur imposer le voile, faire tondre et fouetter les épouses adultères et expulser les putains. Une situation qui mènera Bianca, ainsi que son alter-ego Lorenzo, à se révolter ; ce qui finira par changer non seulement le futur de sa ville, mais surtout, sa vision du monde. Ses relations avec son mari, ses amies, ses parents, sa ville… en seront bouleversées. De fille soumise, Bianca va devenir une femme qui ose !
Toute cette histoire avec ce retour à un religieux liberticide, cette « morale » à géométrie variable selon qu’on soit homme ou femme… font miroir à notre société du XXIe siècle. Et de nombreuses questions sur la liberté des femmes, leur jouissance, sur les droits des gays et de tous ceux dont les pratiques amoureuses ou sexuelles ne semblent pas correspondre à la « normalité » demeurent. Le patriarcat a bien survécu aux cinq siècles qui nous séparent de Bianca !
Un message capital que nous lègue Hubert, sans lourdeur, mais au contraire avec humour, finesse, intelligence. Le tout porté par le dessin de Zanzim à la ligne claire « décomplexée », aux cases parfois évanescentes et aux décors pleins de profondeur. Un album léger et savant à la fois. Une ode à la tolérance !