6 août 1945. 8h15 heure locale. La bombe nucléaire « Little Boy » détruit la ville japonaise d’Hiroshima et tue quelque 70 000 personnes sur le coup. Quelque 200 000 en tout, dans les mois qui en suivirent à cause des radiations. Voilà le résultat de près de trois ans d’un travail réalisé dans le plus grand secret aux États-Unis par les quelque 130 000 employés du Projet Manhattan. C’est cette histoire, cet incroyable processus qui amènera à la création de la plus effroyable arme jamais créée que raconte La Bombe.
Il aura fallu trois ans de dur labeur aux scientifiques du projet Manhattan pour mettre au point la Bomba A. Il en aura fallu tout autant aux scénaristes Alcante (Rani, Pandora Box, Ars Magna…) et Laurent-Frédéric Bollée (Apocalypse mania, L’Ultime chimère, Terra Australis…) ainsi qu’au dessinateur Denis Rodier (Superman, L’Ordre des dragons, Arale…) pour venir à bout des quelque 500 pages de leur nouvelle graphique.
Un sacré pavé, dense, intense, rempli d’informations scientifiques, de personnages historiques, de faits. Un de ces pavés pour lesquels on prévoit un marque-page pour permettre au lecteur de faire des pauses, de poser le livre, de le reprendre à sa guise. C’est qu’il faut laisser décanter le récit ; les auteurs ont le souci du détail. Mais, bien que didactique et d’une grande précision historique, cette Bombe n’a rien d’ennuyeux ! Bien au contraire : l’album marie merveilleusement la grande et la petite histoire, le tout en restant constamment à hauteur d’homme.
Et des hommes, il y en a tout au long de cet incroyable récit. Ceux qui joueront les rôles principaux, comme les scientifiques Leo Szilard, Enrico Fermi, Robert Oppenheimer, les politiciens tels que Roosevelt ou Truman, les militaires à l’instar du général Groves… mais aussi des personnages secondaires célèbres, d’Einstein à Staline en passant par Mussolini, Hitler ou encore l’empereur Hiroito. Un sacré Who’s who de cette moitié du XXe siècle. Sans oublier les nombreux anonymes qui ont joué un rôle, bien souvent à leur insu, dans cette histoire explosive en pleine Seconde Guerre mondiale.
Mais le narrateur, discret et invisible, n’a rien à voir avec l’espèce humaine. Il était déjà là bien avant les premiers hommes. Bien avant les dinosaures aussi. Il était là depuis le tout début, quand il n’y « avait rien », mais que dans « ce rien, il y avait déjà tout ». Il y a quatre millions d’années, il n’était « qu’une roche en fusion parmi d’autres ». Pourtant, nous apprend-il d’entrée, « je sentais confusément qu’un grand dessein m’attendait (…) Qu’une sombre et gigantesque énergie sommeillait en moi ! » Oui, le narrateur de La Bombe, n’est autre que l’uranium, cet élément chimique de la famille des actinides, ce métal lourd radioactif très présent dans la croute terrestre, dont 64 kilos se trouvaient à l’intérieur de « Little Boy ».
Belle idée que lui donner la parole. Lui, ni victime, ni bourreau. Ni vainqueur, ni vaincu. Simple élément au potentiel tout aussi destructeur que bâtisseur d’espoir. Une manière, pour les auteurs d’éviter à la fois tout angélisme et tout manichéisme. Pas question pour eux de faire passer les Américains pour des salauds et les Japonais pour d’innocentes victimes. Pas question de les dédouaner non plus. Ni les uns, ni les autres. Les auteurs tenaient à rester neutres et raconter les différentes étapes qui mèneront à ce 6 août 45 de la manière la plus objective possible, bien qu’ils aient dû imaginer certains dialogues ou inventer quelques personnages – au Japon surtout. Difficile de faire autrement.
Quoi qu’il en soit, cette Bombe est aussi magistrale par sa taille que par sa qualité. Narrative, mais également graphique. À ce niveau, le noir et blanc du Canadien Denis Rodier est remarquable. Le découpage est rythmé, le cadrage surprenant, chaque case incroyablement parlante, expressive, aussi bien au niveau des personnages, des visages, de leurs mouvements… qu’au niveau des villes, des bâtiments de guerre, des labos scientifiques, des champs de bataille… Chaque pièce apporte sa pierre à l’édifice.
Un projet extraordinaire, entre le roman graphique, le comic et la BD européenne, complété par une postface de chacun des auteurs, une imposante biographie, ainsi que par un contenu multimédia – trailer, making of, interviews vidéo… pour une durée totale d’une vingtaine de minutes – , à découvrir à travers un QR code présent dans le livre. Absolument passionnant !