On est encore dans la page de garde de cette Thérapie de groupe qu’une vignette se présente au lecteur. On y voit deux types en costume-cravate. « Et vous faites quoi pour les vacances ? », demande l’un. « On a prévu d’assassiner les enfants », lui répond l’autre. D’entrée le lecteur est plongé dans l’ambiance décalée, absurde, noire mais toujours drôle du nouvel album de Manu Larcenet.
La page de titre passé, le récit de cette Thérapie de groupe peut commencer. Pendant une nuit d’orage, dans une maison isolée à la campagne, une lumière reste allumée. Dedans un auteur de BD s’énerve devant sa planche à dessin. « Je suis un peu tendu, en ce moment…, dit une voix-off. C’est parce que je suis un artiste fini ». « Attention, je n’ai pas toujours été un artiste fini ! (…) Vous m’auriez vu il y a à peine quelques années… » On tourne la page. On y découvre sur une planche entière des extraits de journaux à la gloire de Jean-Eudes Cageot-Goujon, connu sous le pseudonyme populaire de Manu Larcenet. Joli contrepied pour cette autofiction drolatique.
« Expo Larcenet – Caravage, pas trop tôt » peut-on lire dans la titraille d’un article. « Les 5 plus grandes fortunes de France – Manu Larcenet explose Bettencourt », « Larcenet – « Je continuerai de payer mes impôts en France » Le pays respire ! », « Larcenet – Prix Nobel de Littérature » ou encore « Larcenet/Bouba è Le Clash ». Du beau gros ego-trip à la sauce Larcenet, sans une once de sérieux, comme l’auteur l’avait déjà fait dans Le Retour à la terre, en collaboration avec Jean-Yves Ferri.
Pour cette Thérapie de groupe, l’auteur du Combat ordinaire ou du Rapport de Brodeck, a tout fait tout seul, et si l’humour reste caustique, un sent là une plus grande profondeur que dans sa série cosignée avec Ferri. Larssinet – le nom de son alter-ego dans Le Retour à la terre –, laisse ici sa place à Jean-Eudes, et le frêle personnage d’alors est remplacé par un homme à la corpulence proche de celle de Polza Mancini, le personnage principal de sa série Blast. Gros nez typique de la BD humoristique franco-belge en plus !
Jean-Eudes a bien du mal à répondre honnêtement à la question : « d’où vous viennent toutes ces idées ? ». « C’est stupide (…) les idées ne me « viennent » pas ! (…) ce serait trop facile ! En vrai, les idées, il faut que j’aille les chercher loin en moi ! » Et là, tout ce qu’il trouve en lui est, certes « conceptuel », « hors des codes du récit traditionnel », décalé, mais indigne de son niveau. Et si certains pourraient se contenter des Aventures au bureau de Jean-Jacques & Bruno, les deux gars en costume-cravate de la page de garde et en faire un coup marketing, lui, il refuse catégoriquement ! Du coup, tout ce qu’il dessine, finit invariablement en pluie de minuscules confettis. « Le vrai problème, c’est ma finitude, note l’artiste. Plus de désir, plus d’exaltation, plus d’envie, plus d’espoir (…) Ne reste que le tourbillon terrifiant de la sécheresse intellectuelle ».
Oui, Larcenet fait rire, aime la vanne, mais il possède aussi une sacrée belle plume ! Et il l’utilise à bon escient tout au long des voyages initiatiques que son alter-ego de fiction va faire, « encore ! », note son fils Pepito-Wolfgang, avec une nonchalance due à l’habitude. Exemple d’autodérision et d’humour grinçant, cette Thérapie de groupe est en même temps un album d’une rare érudition. L’auteur en appelant à Nietzsche – que l’auteur avoue mal connaître car il est « nul el maths », mais semble désormais décidé à lire « ses bédés » –, Raphaël – et sa célèbre Madonne au Piou-piou –, Léonard de Vinci ou encore Cézanne.
Le récit est alambiqué comme peut l’être la raison humaine, mais l’auteur ne perd jamais le fil, preuve d’une grande maîtrise de la narration. Et le niveau graphique est du même acabit. Entre le récit de Jean-Eudes, celui de Jean-Jacques & Bruno, froid aux aplats de couleurs ; celui de Raphaël aux muses évanescentes, celui de Léonard « aux accords chromatiques (qui) ne sont pas sans rappeler la fameuse « tonalité ardente » des peintres hollandais du XVIIe siècle » – comme le fait remarquer la fille de la famille Cageot-Goujon, Lilith-Glooarasatan –, sans oublier quelques cases manga ou comics… Larcenet joue avec les styles graphiques avec génie. Du coup, avec son récit profond, ses textes de qualité, son style visuel changeant et de l’humour à foison, ce premier tome de Thérapie de groupe, L’étoile qui danse, offre un grand plaisir de lecture.