En 2017 JeanLouis Tripp surprenait ses lecteurs avec Extases, un album magnifique, réalisé en solo où l’auteur explore, sans la moindre censure et da manière autobiographique, la découverte de l’amour, du désir, de la sexualité. Un voyage dans l’ultime intimité qu’il poursuit désormais avec un tome 2 tout aussi excitant.
Sa première planche est publiée en 1977 dans Métal Hurlant, son premier album Le Bœuf, l’année suivante. JeanLouis Tripp a donc déjà une quarantaine d’années de carrière, une trentaine d’albums à son actif (Une aventure de Jacques Gallard, Le Nouveau Jean-Claude, Magasin général…) et une belle réputation dans le monde des phylactères quand il publie le premier tome de son roman graphique de l’intime Extases. Un album de 272 pages sous-titré « Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x… » dans lequel le scénariste, dessinateur, peintre et sculpteur français raconte, depuis la CM1 (l’équivalent du cycle 3.2 au Luxembourg), autrement dit, dès l’âge de neuf ans, sa découverte du sentiment amoureux d’abord, du désir érotique ensuite, puis de la sexualité. Une découverte assez précoce – pour ce garçon élevé dans une famille communiste, « pas gênée avec le corps » – qui donnera, ensuite, une sexualité très active – au point de pratiquer le plaisir onaniste jusqu’à douze fois dans une journée ou tester toutes les positions du Kamasutra avec son amoureuse du lycée –, diverse – son hétérosexualité ne l’a pas empêché de sucer son ami Jacquot, puis se faire sucer par lui en retour par esprit révolutionnaire contre les « classifications petit bourgeoises » – et varié, qui lui feront essayer le sexe à plusieurs – d’abord le triolisme avec ce qu’il peut comporter de coït anal, puis carrément la partouze entre amis.
C’est là, au milieu de la vingtaine, qu’on l’avait quitté en 2017. L’album aurait pu se résumer à un one-shot tellement il se suffit à lui-même – le récit est tellement passionnant, drôle, vivant, honnête, savant… qu’il a été adapté au théâtre dans un seul en scène fabuleux avec Franck Jazèdé, mis en scène par Nathalie Martinez au Théâtre Traversière à Paris, puis repris dans le Off d’Avignon – mais le fait qu’il soit annoncé comme un « tome 1 » laissait espérer une suite.
Ce sera Les Montagnes russes, paru en mars de cette année. Un album, avec ses 368 pages, encore plus épais que le précédent et réalisé avec la même honnêteté. JeanLouis Tripp ne cache rien à ses lecteurs. Rien de ses désirs sexuels, rien de ses pratiques amoureuses, rien non plus de ses doutes, de ses lâchetés, de ses tromperies, de ses drames, de ses opinions.
Certes l’étonnement du premier tome n’est plus au rendez-vous, mais la passion qui déborde du récit demeure. D’autant que, si tout au long des deux tomes le propos est cru – mais toujours respectueux de tout un chacun dans ses croyances, ses pratiques, ses choix… – et le dessin on ne peut plus explicite – avec tout ce qu’il faut d’appareils génitaux en gros plan et de pénétrations diverses –, Extases n’a rien d’une BD pornographique.
Le sexe est traité ici en tant que composante de la vie. L’activité sexuelle, comme une composante de l’individu. Dès la première phrase de sa préface l’auteur nous l’envoie en pleine poire : « Extases n’est pas une histoire de cul ! ». Puis il poursuit : « De tout temps, l’exercice du pouvoir est passé par le contrôle des corps », que ce soit avec la violence, des interdits ou de manière plus subtile, des tabous note encore JeanLouis Tripp, qui, à ce niveau-là, met dans le même panier, religions diverses, communisme et tout régime autoritaire. « Extases ne raconte pas autre chose qu’un parcours d’émancipation » ajoute-t-il. « C’est un acte politique ». Du coup chaque détail, aussi trivial soit-il devient un étendard de liberté. « Les combats d’émancipation commencent tous par la récupération de la souveraineté sur son propre corps ».
Et cela vaut même en démocratie. « Moi-même, j’ai mis longtemps à sortir de (…) quelque chose qui est dans l’image et le paraître, dans le : « je dois être conforme à ce que c’est, un gars », sortir du carcan social, avoue celui qui mettra plusieurs décennies à trouver « sa » tribu, celle des bonobos. Une société hédoniste où l’on fait l’amour, oui, mais parfois on se contente aussi de baiser simplement pour résoudre un conflit, dissiper des tensions, s’amuser… Après tout, tant que ça se passe entre adultes désirants – expression que l’auteur préfère à celle d’adultes consentants !
Du coup, malgré son côté ouvertement sexuel, Extases est avant tout un témoignage sincère, drôle et plein de tendresse de Tripp par Tripp, mais aussi de notre société occidentale. Il y est question de physiologique, de métaphysique, de littérature… l’auteur y évoque le sida, les MST, la paternité, le deuil, la dépression… ce qui ne l’empêchera pas finir dans une boîte libertine.