Dans la mythologie grecque, la déesse Gaïa – Terra chez les Romains –, est la mère ancestrale de toute vie. Dans les années 1970, le Britannique James Lovelock a recouru à cette figure évocatrice pour décrire notre planète comme « système physiologique dynamique qui inclut la biosphère et maintient notre planète depuis plus de trois milliards d’années en harmonie avec la vie ». Même si elle controversée, la thèse selon laquelle notre planète formerait un vaste superorganisme autorégulé, y compris pour ce qui est de la constitution de son atmosphère, fait depuis lors partie intégrante du débat sur le climat terrestre. Une étude publiée récemment par l’historienne des sciences Leah Aronowsky se penche sur le contexte dans lequel est née cette hypothèse. L’éclairage inédit qu’elle apporte démontre qu’elle sent le soufre.
Au moment où il a mis au point son hypothèse Gaïa, James Lovelock, après un passage à la Nasa, était de retour au Royaume-Uni et employé, entre autres, par Shell Research. Or, la compagnie pétrolière a utilisé sa théorie de manière éhontée pour suggérer que notre planète est parfaitement capable d’encaisser les mauvais traitements que lui infligent les humains, notamment en surchargeant son atmosphère de dioxyde de carbone. À cette époque, Lovelock allait jusqu’à affirmer que l’existence de certaines algues émettrices de soufre et d’autres plantes aquatiques excrétant de l’iode suggéraient une sorte de « réponse régulatrice » de la biosphère destinée à neutraliser l’effet du réchauffement – un peu comme si la nature veillait elle-même à ce que le recours massif des humains aux hydrocarbures n’ait pas de conséquences néfastes. Leah Aronowsky démontre que l’approche de Lovelock, même si elle a fait les délices de certains écologistes, notamment d’éco-féministes, s’est aussi avérée utile, en permettant de relativiser le rôle des humains dans la rupture des équilibres climatiques, pour étayer les visions d’un monde « auto-poïétique » (capable de se régénérer quoi qu’il arrive) chères aux tenants du néolibéralisme.
Lovelock, aujourd’hui âgé de 101 ans, est un chercheur et inventeur très doué dont les recherches ont par exemple contribué à comprendre le rôle des chlorofluorocarbones – même s’il a lui-même défendu le moment venu, à l’encontre du consensus de ses pairs, la poursuite de leur production. Par ailleurs, il faut reconnaître qu’il n’a pas nié le rôle des émissions de gaz à effet de serre dues à la combustion d’hydrocarbures dans le réchauffement. Au contraire, il le tenait pour établi. Aronowsky voit dans Gaïa une sorte de post-humanisme avant la lettre, notant que les thèses de Lovelock sont devenues une « mascotte » de cette mouvance. Elle relève que ces dernières décennies, Lovelock a viré sur l’aile pour devenir un catastrophiste pour qui un réchauffement extrême est inéluctable et l’humain une espèce menacée : juste ce qu’il faut pour achever d’assombrir le tableau.