Repeat

Encore

d'Lëtzebuerger Land vom 21.05.2005

Dimanche dernier. Je devais encore écrire cette critique de la dernière pièce de Claudine Muno. Encore elle. Bon, une fois n'est pas coutume, ce coup-ci ça se passe dans le cadre d'un projet nouvellement mis en place, le groupe Artifact. D'ailleurs elle a co-écrit la pièce avec la troupe. Quelques jeunes, qui veulent faire du théâtre autrement. Ça s'appelle Repeat et dans le concept du «autrement» rentre probablement le fait que la pièce n'est pas produite sur la scène d'un théâtre, mais dans un Bar, le 216 au Grund. «Autrement», ça veut aussi dire «sans faire compliqué». Le tout preuve à l'appui, malgré le ausverkaaft (intriguant) trônant derrière la présentation de la pièce dans l'agenda du Woxx, hebdo dans lequel d'ailleurs la même Claudine détaille semaine après semaine l'actualité culturelle du moment, on me dit, renseignement pris une demie-heure avant le début du spectacle, que je peux néanmoins assister à cette avant-dernière représentation. Le mystère du «ausverkaaft» est levé immédiatement après mon arrivée au lieu-dit. L'endroit est minuscule. Tout au plus six tables dans un café exigu et… pas de scène. Mais un comptoir. À l'entrée une jeune femme s'affaire, tablier autour de la taille. C'est Seja-Katharina Rockel, l'actrice-metteuse en scène. Elle m'indique le haut-siège sur lequel je suis condamnée à passer la soirée, faute de réservation en temps utile, et continue tranquillement à servir les clients. Mais au moins de là-haut, on a une bonne vue et les quelques instants d'attente sont parfaits pour essayer de distinguer qui fait quoi. Acteurs/parents d'acteurs/spectateur/employés du bar… Je distingue, programme à la main, en pleine devinette dominicale, Joao/ Yann Ketter, la chemise déboutonnée jusqu'au nombril, une sorte de jogging-pyjama aux fesses, accosté – très relax – au comptoir et Claire/Sneja donc qui sert toujours – pour de vrai – les clients. Entre alors un couple de jeunes. Là, pas de doute, même sans programme, ces deux-là sont deux des acteurs de la pièce (Eva/Jeanne Werner et Germain/Joé Weber). Ils sont clairement overdressed, ils jouent à entrer dans le café et ils jouent à être un couple en crise. C'est le danger du théâtre posé en pleine réalité, le jeu d'acteur devient par trop visible. Donc Repeat, pour cette matière itérative par excellence: la vie en couple. Ou plutôt en l'occurrence la fin de la vie en couple avec en parallèle le début d'une nouvelle relation. Ou plus précisément, la fin de la vie en couple de trois couples et leur début respectif dans de nouvelles relations. Là ça se complique un peu. Entre alors Yves/Fränk Drews. Et le spectacle peut - vraiment - commencer. Une petite tirade sur le suicide, sur comment il pourrait se suicider, sur pourquoi il devrait se suicider et la petite troupe est lancée. Claire en jeune femme modèle, s'insurge contre les filles qui à l'époque Kurt Cobain se laissaient aller à la fascination morbide, Yves dit que tous les grands, Hemingway, Cobain et… le chanteur de Milli Vanilli se sont donnés la mort. On est en plein délire pubertaire. S'ensuivent une heure et quelque de discussions de comptoir relationnelles. On est ni dans le réel, pour ça, les personnages ne sont pas assez fouillés, voire trop incohérents par moments (on apprend que Eva et Germain sont mariés et qu'elle attend un enfant; ou encore Vanessa/Maria Mathieu qui raconte à Yves sa relation avec le père d'une amie sans que celui-ci ne semble sourciller) ni dans l'absurde complet, pour ça les références à la vie de tous les jours sont trop fréquentes, les tentatives d'analyse avortées des relations, récurrentes. En voulant montrer trop de choses, trois relations qui se cassent, trois autres qui éventuellement se créent, le suicide, la famille, le boulot même, le message devient brouillé, superficiel. Quant à la forme, Repeat pour les phrases à répétition, dites là par un couple, là par le prochain. L'idée est bonne, mais comme pour tout joujou formaliste, utilisé à tort et à travers, il se retourne contre la mise en scène et devient pesant. Mais Repeat aussi, pour les métaphores qui fusent sans cesse et qui finissent par lasser. Pas une scène sans un «et ass wéi...», aboutissant à d'improbables allégories de croisement, de jongleur ou de mécanique, ce qui donne au tout une image scolaire un peu regrettable. C'est dommage, j'aurai bien aimé bien aimer Repeat. L'idée est bonne. L'endroit est bien choisi – mise à part la chaleur. La mise en scène est réussie. Certains des acteurs jouent très bien, notamment Yann Ketter qui convainc – malgré ses fringues. La voix douce de la touche-à-tout Claudine Muno qui prend pendant la pièce de temps en temps sa guitare pour jouer quelques bijoux, comme The Blower's Daughter de Damien Rice, est comme à son habitude envoûtante. Mais le texte en soi laisse sur la faim. Même si, Artifact va sûrement nous faire un Repeat pour ça aussi, en mieux cette fois.

Repeat; une pièce écrite par Claudine Muno, avec le groupe Artifact; mise en scène : Seja-Katharina Rockel; avec : Fränk Drews, Yann Ketter, Maria Mathieu, Seja Rockel, Joé Weber, Jeanne Werner. Une reprise est éventuellement prévue pour septembre.

 

 

Sam Tanson
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