D’un bout à l’autre du Rollingergrund, deux nouveaux quartiers prévoient la création de 1 700 logements. Les plans d’aménagement sont en discussion

De l’étoile à la porcelaine

d'Lëtzebuerger Land vom 21.01.2022

Vœu pieux C’est une sorte de monstre du Loch Ness : des années qu’on en parle, mais personne n’en voit le bout. L’aménagement de la Place de l’Étoile figurait déjà à l’agenda d’une jeune Bourgmestre nommée Lydie Polfer en 1989. À l’époque, elle espérait (déjà) que les plans pourraient être mis en œuvre « le plus tôt possible ». Deux autres bourgmestres et trois plans plus tard, elle a réitéré ce vœu pieux mardi soir au Tramsschap lors de la présentation publique du nouveau-nouveau-nouveau projet de Plan d’aménagement particulier (PAP). En trois décennies, les presque trois hectares de terrains ont changé plusieurs fois de mains, avec des fortunes diverses pour ceux qui les avaient acquis (lire notamment d’Land du 18.09.2020). L’entrée ouest de la capitale est devenue un symbole des dérives du marché immobilier spéculatif et un objet de litige qui a donné des sueurs froides aux édiles successifs.

Votées par le Conseil communal le 17 décembre dernier, trois modifications* du Plan d’aménagement général (PAG) sont soumises à l’appréciation des citoyens qui ont un mois (jusqu’au 10 février) pour introduire leurs réclamations. La présentation publique des projets est un exercice imposé par la loi quand le PAG est concerné. Un exercice auquel Lydie Polfer est rodée (elle a fait la tournée des quartiers pour la présentation du PAG en 2017) et où elle sait qu’elle est attendue. « On pouvait bien s’imaginer qui serait dans la salle et avec quelles questions », souffle un collaborateur. Parmi la cinquantaine de personnes, quelques riverains se succèdent derrière un micro chevrotant pour dire leurs inquiétudes voire leurs exaspérations. Dans un réflexe assez nimbyen, la hauteur des bâtiments, la densité de logement et le stationnement des bus sont les principales contestations entendues. Si le prix des futurs logements n’est pas encore connu, le risque de ne trouver que « des appartements de luxe » est aussi pointé. La même raison a poussé les deux conseillers communaux Déi Lénk à s’abstenir lors du vote. La bourgmestre dégaine un argument à la Ponce Pilate : « ce sont des terrains privés, on ne peut pas obliger le propriétaire à faire plus que ce qu’exige la loi : Dix pour cent des surfaces construites sont réservées au logement abordable ». Elle termine avec un avertissement : « Si les objections ne peuvent pas être prises en compte, le dossier finira devant le tribunal, avec un risque d’appel. Cela pourrait signifier un retard de deux ans ou deux ans et demi avant que la construction commence. »

Dix pour cent Les apparences sont peut-être trompeuses : les illustrations présentées par les promoteurs (par la voix d’Olivier Zirnheld de Schroeder&Associés, Marc Giorgetti est resté assis discrètement, aux cotés des architectes de architecture + aménagement) donnent à voir à des immeubles, plutôt clinquants et luxueux : terrasses et penthouses, toits végétaux, grandes baies vitrées, parallélépipèdes superposés... Ces images de synthèse sont destinées à attirer les investisseurs, pas à rassurer ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder au marché ordinaire. Rien ne dit d’ailleurs si le maître d’ouvrage, Silver Etoile C 2007 (via Abu Dhabi Investment Authority), va vendre ou louer ses espaces. Le projet actuel suit la tendance du marché en inversant la proportion de logements et de commerce par rapport au plan Chapman-Taylor de 2010. Cela nécessite une modification ponctuelle du PAG pour augmenter le pourcentage de surfaces constructibles à affecter obligatoirement au logement. Le projet prévoit un maximum de cinquante pour cent de logements (douze pour cent dans le plan précédent), 37 pour cent de bureaux (31 pour cent) et treize pour cent de commerces (57 pour cent). Entre 730 et 935 logements seront ainsi réalisés sur les quatre parcelles. La typologie des logements n’est pas encore précisée, mais l’obligation légale de réserver dix pour cent des surfaces au logement abordable sera respectée à travers les quatre îlots qui s’organisent de part et d’autre de la route d’Arlon. Pour éviter l’effet massif redouté et critiqué, les constructions sont montées comme une pyramide : les immeubles construits en limite de rue, afficheront des hauteurs basses alors que des hauteurs plus hautes seront attribuées aux immeubles situés au centre du projet. Les immeubles compteront entre quatre et quinze niveaux.

Le nouveau quartier est organisé autour d’une place qui deviendra une zone réservée aux piétons, cyclistes (on annonce une connexion aux pistes cyclables existantes et un marquage au sol spécifique) et au tram. Une deuxième ligne de tram devrait voir le jour avec un trajet vers Strassen pour desservir notamment le nouveau quartier Stade et le CHL. Une gare pour les bus sera créée en sous-sol. Cette fermeture au trafic routier de la fin de la route d’Arlon implique une déviation à partir du carrefour rue de Rollingergrund / Square de New-York pour rejoindre le Boulevard Grande-Duchesse Charlotte (et vice versa). Les plans prévoient une « tranchée couverte » (que certains appellent déjà tunnel), construite en surface, au niveau du rez-de-chaussée et qui passera par endroits en-dessous des bâtiments à vocation résidentielle. « Afin d’assurer une intégration des entrées et sorties du tunnel dans son environnement et d’assurer une qualité de vie optimale pour les résidents installés dans les immeubles situés au-dessus du tunnel, tant d’un point de vue sonore qu’olfactif, un aménagement technique et paysager devra être réalisé », rassure le texte justificatif.

Ancienne usine Quelques kilomètres plus bas, en descendant le Rollingergrund, avant d’arriver à la place D’Argent, le site du PAP « Faïencerie » est aussi à l’état de friche. C’est une moins longue histoire urbanistique qui prévaut au projet actuel, mais il a quand même fallu passer par des instrumentalisations politiques qui ont fait grincer quelques dents. Pendant 175 ans, Villeroy et Boch a produit de la porcelaine, ce jusqu’en 2007. L’usine est progressivement démantelée depuis 2010. La reconversion du site a imposé un changement radical d’affectation sur le PAG pour reclasser la zone industrielle en zone mixte où le logement est possible. La Ville de Luxembourg a également acheté une partie des terrains à Villeroy&Boch, offrant ainsi à l’ancien industriel les moyens de dépolluer le site. Aujourd’hui, la volonté de densifier l’habitat entraîne, ici aussi, une modification du PAG pour passer de 65 à 95 logements par hectare et donc une utilisation plus rationnelle du sol. On arrive ainsi à 810 logements contre les de 554 prévus initialement à sur les 8,5 hectares du site.

Si un seul PAP englobe tout le nouveau quartier, trois propriétaires sont concernés. La Ville de Luxembourg est propriétaire de 3,1 hectares, Villeroy&Boch a gardé 1,5 hectare autour du château et un consortium de promoteurs (ICN, Tralux et Besix Red) possède les 3,6 hectares restant. La planification urbaine du site a été élaborée par les bureaux Fabeck Architectes et KSP Jürgen Engel Architekten avec la volonté de créer un quartier ouvert et diversifié. « Avant le démantèlement de l’usine, tout le long de la route était comme un mur, une façade fermée », relate l’architecte. En créant divers îlots d’immeubles, elle entend rendre le site « perméable ». L’idée maîtresse de ce PAP est de confier la réalisation de ces bâtiments à différents architectes (les promoteurs privés ont déjà choisi trois bureaux en plus des deux précités, Moreno, Stdm et Jaspers-Eyers) pour donner une impression de ville « cohérente et diversifiée à la fois », avec des hauteurs variant entre trois et huit niveaux, de la circulation et des espaces verts entre eux.

80 pour cent des surfaces seront consacrées au logement, avec toujours les fameux dix pour cent abordables. La Ville de Luxembourg entend créer des typologies variées non seulement en termes de surfaces mais aussi de populations avec de la location, de la vente en emphythéose ou encore de l’habitat participatif. Treize pour cent seront destinés à des bureaux et sept pour cent à des commerces, y compris de la restauration. C’est notamment autour d’une nouvelle place centrale, que l’offre de commerce et de services (crèche, sport) devrait être développée. La jonction avec la partie historique du site se fait à travers le « Carré » : un bâtiment ouvert sur une vaste cour intérieure où des logements et bureaux occuperont les étages tandis que le rez-de-chaussée sera destiné au commerce, dont le magasin d’usine de Villeroy&Boch, toujours en activité.

Le château, ses écuries et l’annexe (Kutscherhaus), sont conservés. Les bâtiments de l’architecte Jean-Baptiste Fresez construits à la fin du 18e siècle accueilleront le campus de la Luxembourg School of Business (LSB). Avant que les cours puissent s’y tenir, une phase de rénovation et de mise aux normes de sécurité et d’accès doit être menée, avec le soutien et la supervision du Service des sites et monuments nationaux.

Le site sera connecté à la ville par deux accès pour les piétons et les vélos et trois entrées pour les voitures qui se termineront par des parkings souterrains, l’ensemble de la zone étant interdite à la circulation automobile. Au sein du quartier, la mobilité douce sera privilégiée, ce qui n’empêche pas de se poser des questions sur l’accès à l’ensemble. Les rues Mühlenbach et Rollingergrund sont déjà très denses en circulation et peu accueillantes pour les cyclistes. « Le réaménagement et l’élargissement du Rollingergrund pour l’ajout d’une piste cyclable est à l’étude, en concertation avec les Ponts et Chaussée », indiquait Lydie Polfer lors de la présentation. Elle évoque aussi la possibilité de construire un ascenseur pour relier le quartier au Limpertsberg qui le domine. Des études de faisabilité pourraient être lancées prochainement.

Avant le gong Ni les promoteurs, ni les autorités communales ne veulent (ne peuvent ?) communiquer de dates quant au début des travaux et encore moins pour la livraison. La procédure d’analyse et d’appréciation des PAP prendra entre six et neuf mois, selon les plus optimistes, pendant lesquels les conventions d’exécution vont être rédigées. Les projets architecturaux précis pourront alors faire l’objet de demandes d’autorisation à bâtir. On est encore loin de la pose de la première pierre, ce qui n’empêche pas les démarches commerciales pour trouver des acquéreurs...

Avec ces deux projets, le nord-ouest de la capitale, coincé entre le front vert du Bambësch et le dénivelé du Limpertsberg, et marqué par la forte présence des axes routiers, va connaître une nouvelle attractivité. Ensemble, ils comptabilisent ensemble environ 1 700 logements. Selon la clé habituellement utilisée de 2,3 habitants par logement, cela donne pas loin de 4 000 habitants, un potentiel considérable où réserver dix pour cent de logements abordables semble peu ambitieux. La Ville de Luxembourg serait bien inspirée de montrer l’exemple en allant au-delà de ce seuil imposé par la loi. À quelques mois près d’ailleurs, les promoteurs auraient été obligés d’augmenter cette part. En effet, le Pacte logement a introduit une modification de la loi sur l’aménagement communal et le développement urbain qui obligera à réserver non plus dix, mais quinze pour cent de logements abordables dans les nouveaux PAP de plus de 25 logements. « Faïencerie » et « Place de l’Étoile » échappent à cette nouvelle règle s’ils entrent en procédure avant le 18 février 2022. On comprend mieux l’empressement à faire adopter les modifications de PAG.

* La troisième modification concerne les terrains situés entre la rue d’Orchimont et le Rangwee dans le quartier Bonnevoie-Sud et vise à reclasser la « zone d’activités économiques communale type 1 » en « zone spéciale d’activités économiques tertiaire », ce qui permet l’implantation d’artisans ou de commerces de petites tailles.

France Clarinval
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