Les maires sont-ils les seigneurs du Nimby ou les garants de la démocratie ?
Interview avec Frank Goeders, le « Monsieur PAG » au ministère de l’Intérieur,
sur la défiance des riverains, les peurs des bourgmestres et le pouvoir des promoteurs

Les Petits-Duchés de Luxembourg

d'Lëtzebuerger Land vom 13.08.2021

Chacun des 102 plans d’aménagement général (PAG) aura fini, tôt ou tard, par atterrir sur son bureau. (Soixante communes ont fini la procédure officielle, 35 y sont toujours engagées et sept ne l’ont même pas encore initiée, dont Troisvierges, Vianden et Sandweiler.) Frank Goeders, haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, préside la commission d’aménagement qui avise les PAG. Ces avis, rédigés par un aéropage de hauts fonctionnaires, sont très détaillés et volumineux, cumulant en moyenne une quarantaine de pages. Après un bref passage par un bureau d’études privé, Frank Goeders a fait son entrée au ministère de l’Intérieur en 2008. Dix ans plus tard, l’architecte-urbaniste y est promu chef de service de la direction de l’aménagement communal et du développement urbain.

d’Land : Au sein du ministère de l’Intérieur, vous présidez la commission d’aménagement. Ces dernières années, vous avez avisé 80 plans d’aménagement général (PAG). Les communes dont vous souhaitiez la croissance démographique ont-elles défini les densités adéquates ?

Frank Goeders : La grille fondamentale sur laquelle nous nous basons pour aviser les PAG, c’est le programme directeur de l’aménagement du territoire, ainsi que les objectifs du développement durable. On regarde s’il s’agit plutôt d’un espace rural, qui est supposé moins se développer, ou d’un espace urbain appelé à accueillir plus de logements. On constate que les PAG qui viennent de rentrer sont plutôt raisonnables en ce qui concerne les extensions du périmètre. Les discussions que nous avons connues ces derniers temps semblent avoir eu un effet.

Que voulez-vous dire par là ?

Je veux dire que, de manière générale, les communes rurales ont prévu significativement moins d’extensions de leur périmètre que les communes plus urbaines, plus denses. En gros, ça va donc dans la bonne direction. Mais il reste certaines Altlasten [héritages encombrants] du passé. Beaucoup de PAG datent des années 1980-1990 : Les nouvelles versions coltinent des terrains qui avaient été définies par le passé comme zones constructibles, sans vraiment s’y prêter. Si on fait le bilan, on constate que de nombreuses communes ont préféré garder ces terrains dans leur périmètre, alors que des constructions impacteraient fortement la topographie et le paysage, ou se développeraient de manière tentaculaire le long de routes. On ne classerait plus ces terrains aujourd’hui, mais cela a été fait dans le passé. Ce n’est pas comme si on pouvait redémarrer à zéro…

Pourquoi pas ? Pour ne pas trahir une promesse de plus-value faite à l’un ou l’autre propriétaire ?

Dans ce domaine, la jurisprudence est relativement dure. Une fois des superficies classées comme constructibles, il est très difficile pour les communes ou pour l’État de les reclasser en zone verte. Un tel reclassement n’est envisageable que si on peut justifier de fortes contraintes juridiques ou techniques.

Dans certaines communes rurales, les densités retenues par les PAG sont très faibles. On en arrive à des maisons unifamiliales de plus de 300 mètres carrés. C’est-à-dire que, par endroits, on continuera à construire de manière totalement surdimensionnée…

… et pas assez densifiée, oui. Pour tous les nouveaux quartiers, le ministère de l’Intérieur analyse systématiquement si les densités sont adaptées. Or, nous constatons que celles-ci sont souvent relativement faibles. Dans certaines zones rurales, c’est en partie une réaction aux résidences nouvelles qui ne s’intégraient pas dans le village. Les communes sont devenues plus prudentes. Il n’est pas rare que la commission d’aménagement recommande de construire plus densément, même en milieu rural, pour garantir une utilisation rationnelle du sol mais aussi une meilleure qualité urbanistique.

Les communes suivent-elles vos recommandations ? Après tout, le ministère de l’Intérieur ne formule qu’un avis…

Ce ne sont que des recommandations, l’avis en soi n’est pas contraignant. La commune fait ce qu’elle estime juste, mais elle doit respecter les limites légales. Si une commune urbaine fixait des densités plus faibles qu’une commune rurale, elle se mettrait en-dehors de la loi qui l’oblige à utiliser le sol de manière rationnelle. La ministre de l’Intérieur pourrait dès lors rejeter le PAG.

Des géographes du Liser et de l’Uni.lu viennent de publier un article sur la concentration du foncier et les stratégies de « land banking ». Ils y soupçonnent les décideurs communaux de ne voir aucun problème à créer peu de logements ; au contraire, « they may welcome increasing house prices and the social upscaling this brings ».

Je ne l’affirmerais pas de manière tellement pauschal [généralisée]… Nous nous voyons plutôt confrontés à des communes où beaucoup trop de petits logements sont créés. En termes de mixité et de cohésion sociale, cela pose un problème. Ce que nous critiquons dans ces projets, mais là plutôt au niveau des PAP [plans d’aménagement particulier], c’est que la mixité des typologies de logements n’est plus assurée. En plus, si vous construisez des petits logements, les habitants auront tendance à n’y rester que peu de temps.

Dans ses avis, la commission d’aménagement insiste régulièrement sur cette « sédentarité ». Dans la Ville de Luxembourg, la durée moyenne de résidence est passée de seize à six ans sur les dix dernières années.

Cette tendance, nous la constatons dans la capitale et ses alentours. Nous essayons de la contrecarrer en imposant également des logements plus grands. Mais le marché pousse clairement vers des petits logements, plus rentables par mètre carré. C’est que de nombreuses firmes internationales cherchent des studios pour leurs employés célibataires. Au bout de quelques années, ceux-ci repartent. Ils ne quittent pas forcément le pays, mais la Ville. Ce qui est vraiment dommage. Car pour fédérer des relations de voisinage, il faut que les habitants y vivent un certain temps. Si je sais par contre que je ne vais y rester que deux ans maximum, et que ce sera pareil pour mes voisins, je ne vais pas m’impliquer dans la vie sociale de mon quartier. Celui-ci ne fonctionnera plus comme entité sociale. C’est pourquoi nous poussons beaucoup vers plus de mixité, aussi à petite échelle, dans une rue par exemple.

On entend souvent parler des craintes des bourgmestres. Ils auraient peur de leurs électeurs Nimby, peur du trafic, peur de devoir bâtir des crèches et des écoles, peur enfin que les finances communales n’y suffisent pas. Vous avez beaucoup à faire avec les maires. Expliquez-nous les pressions auxquelles ils sont exposés.

Nous constatons qu’il y a beaucoup de réclamations contre les PAG. C’est un sujet qui est entré dans le conscient collectif. Les gens ont peur de la croissance. Ils ne veulent pas se retrouver dans les embouteillages, ils ne veulent pas qu’un grand quartier soit développé derrière leur jardin. Naturellement, les politiciens ressentent ces pressions, et celles-ci ne sont pas évidentes à gérer. Et puis on a beau dire qu’il faut plus de logements, mais encore faudra-t-il prévoir, en amont, les infrastructures correspondantes : des canalisations, des crèches, des écoles, des stations d’épuration. Et avant de les construire, la commune doit réunir le foncier. Les peurs que vous évoquez sont donc en partie fondées. Elles poussent les maires à se dire : « Pour de nouveaux logements, on va y aller doucement ».

Les communes cèdent donc à leurs électeurs actuels, pas à ceux qui deviendront, un jour peut-être, résidents et donc électeurs.

Vous abordez le volet Nimby. On sort ici des arguments rationnels et pragmatiques. Très souvent, les citoyens sont contre les grands projets, parce qu’ils craignent que leur village change trop, qu’il y ait trop de nouveaux résidents. L’urbanisme joue ici un rôle essentiel. Quand un nouveau projet est élaboré, on doit être très attentif à ce qu’il ne crée pas exclusivement une bonne qualité de vie pour les futurs résidents, mais qu’il profite également à l’ensemble du village ou du quartier. Les nouveaux quartiers doivent être dotés d’un espace public de bonne qualité.

Prenons l’exemple des six logements que l’Agence immobilière sociale veut construire dans la commune de Bech. Ce petit projet a créé la panique, soulevé des peurs primaires, provoqué des effluves racistes. Les échevins se retrouvaient devant des citoyens totalement affolés…

Il est très difficile de désamorcer de telles peurs irrationnelles par des arguments. Les gens se font une certaine idée du logement social qu’ils associent à des problèmes sociaux. Nous voulons réunir beaucoup plus de terrains dans la main publique pour construire du logement abordable. Nous espérons accumuler dans la durée une telle quantité de logements publics qu’on sera capable d’aider jusqu’au milieu de la classe moyenne. C’est l’objectif principal du nouvel article 29bis prévu par le pacte logement 2.0. Cela aura l’avantage de viser une mixité sociale plus équilibrée au sein de ces projets. Si on y arrive, ces peurs vont disparaître.

Les maires doivent prendre une myriade de décisions immobilières et urbanistiques, souvent sans disposer d’un véritable appareil administratif. La pression doit être énorme, d’autant plus que leur responsabilité civile est engagée. Y en a-t-il qui vous disent : « Je n’en veux plus de cette responsabilité » ?

Non, cela ne m’est pas encore arrivé. Le PAG reste l’instrument principal pour diriger le développement d’une commune. Même si, effectivement, c’est un dossier pas évident du tout à traiter… Par la technicité à maîtriser, par les pressions auxquelles on est exposé. Mais je ne peux pas m’imaginer que les PAG passeraient un jour sous la compétence de l’État. Les élus communaux sont ceux qui connaissent le mieux le terrain, qui connaissent le mieux les propriétaires…

… Est-ce là vraiment une bonne chose ?

Je pense que oui. Je ne crois pas que dans les nouveaux PAG les terrains soient classés ou ne soient pas classés, selon que le maire connaît un tel ou un tel. J’en mettrais quasiment ma main au feu.

Par leurs décisions, de très petites administrations communales ont le pouvoir de créer d’énormes plus-values. Le risque de corruption est quasiment intégré dans le système, non ?

Des sommes énormes sont en jeu. Rien que pour cela, un certain risque est donné. Mais je continue à croire qu’en matière urbanistique, les décideurs doivent être très proches du terrain. Déjà pour savoir si les projets peuvent fonctionner dans la pratique, si telle canalisation supportera un nouveau lotissement, si tel propriétaire a besoin des terrains pour faire paître ses vaches... Ce niveau de détail et d’expertise, on n’en dispose ni au niveau national ni même au niveau régional. D’un autre côté, il faut un acteur comme l’État pour surveiller le tout et maintenir, à travers l’ensemble du pays, une ligne cohérente. Finalement, cela aide beaucoup les maires, aussi comme argument vis-à-vis de leurs électeurs. Au ministère de l’Intérieur, nous nous voyons comme un partenaire des élus locaux.

Vous parlez de l’État, mais en fait l’État n’existe pas en tant que tel. Il y a différentes administrations réparties entre différents ministères : à l’Intérieur, à l’Aménagement du Territoire, à l’Environnement, au Logement et à la Culture (pour la protection du patrimoine). Pourquoi ne pas plus les réunir ?

La commission d’aménagement doit un peu jouer ce rôle de coordinateur. Cela n’est pas toujours évident. Chacun a ses domaines de compétences. Ces finalités ne conduisent pas toujours au même résultat. Il faut peser au cas par cas les différents intérêts : logement, environnement, patrimoine. Nous commençons par des contributions écrites pour identifier les points de collusion, puis nous en discutons autour d’une table pour trouver des équilibres. Pour le PAG d’une commune de taille moyenne, ces discussions peuvent durer quatre heures, voire plus.

Avez-vous l’ambition d’imposer une forme d’urbanisme d’État, plus centralisé ?

Pour les PAG, nous aidons à définir les bonnes densités aux bons endroits. Quant aux PAP, nous tentons de promouvoir un urbanisme plus contemporain, plus innovant. Notre grande ambition est de promouvoir un espace public qui favorise la qualité de vie dans les nouveaux quartiers. Nous voulons mettre les gens, et non plus les automobilistes, au centre de la planification. Par le passé, on dessinait une route, puis on planifiait à gauche et à droite. Aujourd’hui, nous essayons de créer des voisinages, de la cohésion sociale. Nous en avons absolument besoin, surtout au Luxembourg avec sa croissance démographique fulgurante.

Parlons d’un de ces nouveaux quartiers : le Ban de Gasperich. On y a donné carte blanche aux Ponts et Chaussées qui ont construit un gigantesque axe routier. C’était le début et la fin des ambitions urbanistiques. La question se pose comment, dans les années 2000-2010, un tel urbanisme rétrograde a été possible ?

La principale critique qu’on peut formuler à l’égard du Ban de Gasperich, ce sont effectivement ces grands axes routiers. Ce quartier manque d’espaces publics pour les piétons, capables de générer une bonne qualité de séjour. Mais n’oubliez pas que les planifications urbanistiques d’aujourd’hui ne se réaliseront que sur les quinze prochaines années. Dans les grands projets où l’État est actuellement impliqué, nous traitons la voiture de manière différente. Elle occupe une position plutôt secondaire. D’ailleurs les Ponts et Chaussées participent quasi systématiquement aux réunions de la cellule d’évaluation, où nous discutons des PAP. On le fait de manière controverse, mais on finit par trouver des solutions qui sont beaucoup meilleures que dans le temps. Aujourd’hui, les nouveaux axes sont ainsi généralement conçus pour contourner – ou « frôler » – les quartiers résidentiels ou mixtes. Ainsi, ces quartiers seront quasiment libérés des voitures.

Le Luxembourg a la spécificité que les PAP sont développés directement par les promoteurs. Est-ce une expression du pragmatisme et du consensualisme luxembourgeois ?

Cela présente l’avantage qu’on évite de planifier à côté du marché. Ainsi, le projet correspond à ce que le propriétaire veut et peut effectivement réaliser. Mais je tiens à rappeler que les promoteurs n’ont qu’un droit d’initiative, donc le droit d’élaborer un projet et de le faire entrer dans la procédure. C’est finalement le conseil communal qui est souverain de l’accepter ou de le refuser. Reste que, dès sa conception, le projet immobilier est ainsi d’office poussé dans une certaine direction par le promoteur. C’est la raison pour laquelle nous avons mis sur pieds une plateforme de concertation au ministère de l’Intérieur. Nous nous y concertons avec le promoteur, la commune, les bureaux d’études et différentes instances étatiques.

Dans nos pays voisins, l’élaboration du PAP reste une prérogative communale.

N’oublions pas que les communes sont d’ores et déjà totalement accaparées par le travail sur les PAG. Par manque de personnel, je les vois mal planifier en plus les PAP. Ou alors, elles devraient s’en donner les moyens et recruter massivement. Pour les petites communes qui ne font des PAP que de manière irrégulière, ce serait difficile…

En laissant le droit d’initiative aux privés, les autorités publiques leur délèguent un énorme pouvoir. L’effet principal de ce modèle, n’est-ce pas finalement l’enrichissement des promoteurs ?

Au niveau du PAP, il ne s’agit finalement que de traduire le potentiel constructible défini dans le PAG. Le cadre est donc quasiment « acquis ». X mètres carrés, x logements, x scellement des sols ; tout cela, c’est fixe, en béton. On ne peut le changer sans faire une modification du PAG ; ce que seule la commune est habilitée à faire. Dans un PAP, on tente d’en faire une planification sensée : des espaces publics agréables, des bâtiments qui s’intègrent bien à l’existant…

… Toutes des choses qui ne rentrent pas dans les calculs financiers des investisseurs.

Un promoteur veut atteindre ses mètres carrés et les vendre au plus vite. C’est légitime, c’est son métier après tout. Voilà pourquoi nous avons créé la plateforme de concertation : pour discuter les projets en amont des procédures officielles. Les communes peuvent ainsi éviter de se voir confrontées avec un produit fini concocté par un promoteur.

Certaines communes choisiraient de fixer un potentiel constructible faible dans leur PAG pour s’aménager une marge de négociation avec les promoteurs. Est-ce une pratique courante ?

En principe, c’est possible. On fixe un potentiel constructible assez bas pour ne pas risquer des bâtiments trop élevés qui ne s’intègrent pas dans le village ou la ville. Si par la suite, un PAP est soumis et les responsables locaux estiment qu’il serait judicieux de construire plus haut ou plus dense, le PAG peut être ponctuellement modifié.

Les communes ont tout intérêt à ne pas fixer d’entrée une densité trop élevée, puisqu’ils s’engagent ainsi sur un minimum qu’ils devront accorder au promoteur ?

Oui, cela peut être la réflexion. Mais plus un projet est réussi, plus il tolère de la densité.

Dans le cadre de « Luxembourg in Transition », beaucoup de chercheurs investissent beaucoup de temps pour produire beaucoup de papier. On y lit par exemple ainsi que dix pour cent du stock bâti devraient être surélevés d’un ou de deux étages. Ce sont là des visions grandioses, et probablement nécessaires au temps du changement climatique, mais elles apparaissent comme des châteaux en Espagne. L’autonomie communale n’empêche-t-elle pas le saut quantique que nos villes et villages devraient dès aujourd’hui faire ?

Je ne sais pas si c’est la faute à l’autonomie communale. Il me semble plutôt que les blocages ont beaucoup à voir avec les structures de propriété. On dépend de la volonté des propriétaires d’entamer ou non de tels travaux. En théorie, si on voulait densifier les quartiers par des surélévations, les communes pourraient facilement modifier leurs règlements des bâtisses.

Pourtant quasiment aucune ne l’a fait.

Certaines oui, mais pas énormément ; on en est plus ou moins resté au statu quo dans les quartiers existants. Mais bon, si vous voulez densifier, vous devez également adapter les infrastructures, les canalisations… Et puis, qu’en est-il de la statique des immeubles ? Qu’en est-il des copropriétés ? De la protection du patrimoine ? Quitte à ce que, pour de nombreux quartiers, il serait tout à fait raisonnable de densifier l’habitat existant et de réduire les reculs entre bâtiments…

Les communes ne le font donc pas parce que… c’est trop compliqué ?

Parce que dans le détail, ce n’est pas si évident. N’oubliez pas la question des places de stationnement. Dans les villes avec un bon transport en commun, réduire le nombre de parkings fait du sens. Mais il existe également des localités qui restent tributaires de la voiture. Si vous allez y réduire la clef des parkings afin de permettre une densification, les voitures vont finir par être garées dans l’espace public.

Pour les promoteurs, entrepreneurs et artisans, l’autonomie communale est devenue un gros mot. Les communes bloqueraient la dynamique du marché, et aggraveraient ainsi la crise du logement.

Croyez-moi : il y a une myriade de raisons pour lesquelles certains projets n’avancent pas. Faire de l’autonomie communale le seul bouc émissaire, cela ne me paraît pas justifié. Alors, oui, il arrive qu’un projet s’enfonce dans les procédures administratives. Or, il est également important qu’un projet soit discuté de manière conséquente et controversée. Ce temps, nous devons le prendre. Même si l’État reprenait seul le volant – si je peux m’aventurer un instant dans cette hypothèse – on ne laisserait pas simplement passer tous les projets sans discussions. Il faut maintenir des exigences élevées en matière de qualité. Je ne veux pas trop généraliser, mais les projets les moins bons sont souvent discutés le plus longtemps. Vous parliez de Nimby et d’acceptation de projets. Nous le devons aux citoyens de réussir les nouveaux projets. Nous devons éviter de construire encore d’autres d’exemples négatifs.

Le géographe du Liser Antoine Paccoud a récemment réitéré son soupçon d’une stratégie de la rétention foncière. En situation oligopolistique, les grands propriétaires ne développeraient leurs terrains qu’au compte-gouttes pour en assurer la cherté. Partagez-vous son analyse ?

C’est difficile à dire. Mais je constate que le secteur de la construction est saturé. Pas juste au Luxembourg, mais également dans la Grande Région.

Venons-en au périmètre constructible. Dans la Ville de Luxembourg, la décision a été prise, dès le début des travaux sur le PAG, de ne pas l’étendre. Or, si la main publique veut acquérir du foncier, elle doit le faire en-dehors du périmètre. Devra-t-on dès lors reposer la question de l’extension du périmètre ?

Dans la plupart des PAG, les périmètres ont été étendues. Mais la Ville de Luxembourg est dans une situation quelque peu particulière : Il y a énormément de réserves foncières au sein du périmètre. En plus, son territoire est relativement restreint. La décision de ne pas ouvrir le périmètre me semble donc la bonne.

Mais le gros de ces réserves foncières n’appartient pas à la commune.

En majorité, elles appartiennent à des propriétaires privés.

C’est-à-dire que le public devra attendre que ceux-ci se sentiront un intérêt à développer leurs parcelles ?

Oui, mais il y a également des superficies classées en zone d’aménagement différé, qui ne peuvent être développées immédiatement. La Ville dirige donc son développement de manière ciblée. Il est important de ne pas provoquer une croissance trop rapide. Mais pour éviter que des propriétaires laissent traîner leurs parcelles indéfiniment, nous allons créer l’instrument du Baulandvertrag [en attente d’un avis du Conseil d’État] : Il impose des délais fixes pour construire, et ceci de manière obligatoire, pour les terrains nouvellement classés en zone constructible. Dès lors, les propriétaires auront le choix : Soit ils développeront leurs parcelles dans un certain délai, soit ils perdront le droit de construire.

Bernard Thomas
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