Telle est l’ubiquité dans notre culture du langage lié aux combustibles fossiles que lorsqu’il s’agit d’illustrer la gravité de la crise climatique, ce sont fréquemment des images qui y sont étroitement associées qui sont mises en avant. À commencer par « on va dans le mur », métaphore pétaradante de la trajectoire fatale sur laquelle est engagée la civilisation thermo-industrielle. Les expressions « on continue de pousser sur le champignon » ou « on y va pleins gaz » renvoient à notre soif inextinguible de croissance. Sachant que 99 véhicules sur cent actuellement en circulation à la surface du globe sont propulsés aux hydrocarbures, le recours à ces images a de quoi inquiéter : comme si, jusque dans le choix des mots, nous étions irrémédiablement piégés dans une mare de pétrole.
L’univers de la voile, mode de propulsion éminemment renouvelable, offre pourtant tout ce qu’il faut comme métaphores éloquentes pour parler des crises que nous traversons et des manœuvres à notre disposition pour nous en sortir. La bifurcation, ce changement radical de cap qui se fait cruellement attendre, peut ainsi être décrite comme un virement de bord : chacun dans l’équipage doit y participer pour que toutes les voiles du bateau passent du côté opposé de l’embarcation. Celle-ci, une fois la nouvelle allure établie, s’appuie dans l’eau sur son autre bord, offrant une nouvelle ligne d’horizon : une reconfiguration maîtrisée, qui permet de se rapprocher de sa destination même lorsque le vent, le courant ou la houle sont contraires.
L’empannage, un changement d’allure qui intervient lorsque le vent vient d’un des quadrants arrière, est plus hasardeux : si le passage vers l’autre bord n’est pas contrôlé, il peut être soudain et brutal au point de précipiter des marins à la mer ou de provoquer de la casse, voire un chavirage. Face aux poly‑crises qui nous guettent, l’empannage évoque bien le risque que des perturbations imprévues bouleversent abruptement, comme des éléments déchaînés, l’agencement sociétal, et ce sans même qu’un nouveau cap n’ait nécessairement été défini.
Si un voilier file toutes voiles dehors alors que le vent forcit, ce qui dépeint bien notre course vers le désastre, il faut arriser ou prendre des ris, c’est-à-dire réduire la surface de voilure. Ce qui renvoie à l’indispensable sobriété que le monde se doit d’adopter comme ligne de conduite pour interrompre la spirale fatale de l’hyperconsommation. En cas de grosse tempête, il faut même entièrement amener les voiles ou, histoire de rester manœuvrant, en remplacer certaines par un ou des tourmentins taillés dans une toile plus solide. Contrairement aux images du monde automobile, imprégnées d’individualisme et de vapeurs d’essence, celles dérivées de la voile suggèrent qu’un capitaine coordonne avec sang-froid les gestes de l’équipage, dont les membres agissent dans l’urgence, dans des situations parfois dangereuses, tout en veillant à leur propre sécurité.