Chroniques de l’urgence

L’incertitude n’est pas notre amie

d'Lëtzebuerger Land du 30.08.2019

Prédire l’évolution du climat terrestre en réponse aux milliards de tonnes de gaz polluants que nous y déversons est complexe. Lorsqu’ils présentent les résultats de leurs recherches, les climatologues, tout à la rigueur de leur méthodologie, parlent de probabilités, de marges d’erreur, de scénarios, bref d’incertitude. Faute d’une planète de rechange, impossible de reproduire leurs recherches comme on le ferait dans d’autres sciences : nous nous livrons déjà, à nos risques et périls, à une expérimentation en grandeur nature sur la seule planète bleue connue de l’univers. Cette incertitude est souvent mise en avant par les tenants de l’immobilisme comme une parfaite raison de ne rien faire. Cet argumentaire a la vie dure, mais il est facile à démonter.

D’abord, si incertitude il y a, elle est toute relative, car les trajectoires plausibles tracées par les climatologues sont toutes menaçantes au plus haut point pour notre survie. Certes, les modèles qui simulent le climat n’intègrent pas certains phénomènes météorologiques, trop complexes à prendre en compte en l’état actuel de nos connaissances, comme par exemple le rôle des nuages. Mais cela n’enlève rien à leur pertinence, puisqu’ils reproduisent avec précision l’évolution passée du climat.

Ensuite, il y a les points de bascule, que ces modèles ne prennent pas en compte : effet d’albédo, méthane du permafrost, accélération de la désertification... Sur ce front, depuis le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1990, il n’y pratiquement eu que des mauvaises nouvelles : les mécanismes de rétroaction, ou effets d’emballement, lorsqu’ils interviennent, sont d’abord presque systématiquement en notre défaveur, et ensuite plus précoces et plus massifs que nous ne le craignions. S’il y a une incertitude de ce côté-là, elle nous enjoint à sortir de l’ère des énergies fossiles au plus vite.

Enfin, la variable la plus incertaine est celle des futures émissions humaines. Le GIEC a catégorisé les scénarios relatifs à la concentration à venir du CO2 en utilisant la notion de RCP (Representative Concentration Pathways). Ces dernières semaines, une discussion a enflammé les forums au sujet du scénario dit RCP 8.5, le plus sombre avec une concentration de 1 250 ppm de CO2 en 2100, qui suppose que les émissions continuent d’augmenter tout au long des 80 prochaines années. Une perspective littéralement infernale. RCP 8.5 correspond-il au « business as usual », comme on s’est habitué à le dire, ou faut-il y voir plutôt un scénario extrême et donc improbable ? En filigrane de cette discussion, technique et terrifiante à la fois, pointe la notion qu’au-delà des incertitudes sur le fonctionnement de notre système climatique, il y a celle, cruciale, relative au comportement à venir de l’espèce humaine. Les premières ne sont pas nos amies, loin s’en faut, mais la dernière peut le devenir à condition que nous nous retroussions enfin les manches.

Jean Lasar
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