Chronique de l‘urgence

Les choix personnels, utiles mais insuffisants

d'Lëtzebuerger Land du 23.08.2019

Nous n’élisons nos représentants que toutes les quelques années, alors que nous votons plusieurs fois par jour avec notre porte-monnaie. Pour répondre au défi climatique, nous dit-on, ce sont nos choix personnels au quotidien qui constituent le principal levier, voire le seul vraiment efficace, à savoir : l’unique signal que les entreprises et le monde politique sont susceptibles d’entendre. Mangeons moins de viande et de produits laitiers, prenons le train plutôt que l’avion, renouvelons moins souvent notre garde-robe : l’économie en tiendra compte et finira par devenir vertueuse. Ce message censé nous responsabiliser revient en réalité à nous culpabiliser. Disons-le tout net : c’est une mystification de plus qui perpétue un modèle qui nous mène tout droit à l’autodestruction.

En pratique, face à une offre de marchandises et de services à l’intensité carbone et à l’impact sur le monde naturel désastreux, notre marge de manœuvre est limitée. Viser une réduction de l’empreinte de l’offre grâce à des choix opérés lors de nos actes d’achat ignore l’intérêt des industriels ayant partie liée avec les énergies fossiles à ce que rien ne bouge. La plupart

veulent continuer de bénéficier des rentes résultant de positions dominantes verrouillées par des brevets largement amortis. Ainsi, les constructeurs automobiles affirment vouloir passer à l’électromobilité, mais vendent à qui mieux mieux, à coup de publicités éhontées, des SUV et des bolides pétaradants.

L’autre faiblesse flagrante de ce message réducteur est qu’elle ignore l’urgence de l’action climatique. Pour que ces choix personnels aient l’impact requis, ils devraient être massifs, immédiats et simultanés. Ce qui suppose des offres alternatives et une traçabilité qui sont loin d’exister. Déchiffrer les étiquettes au supermarché pour écarter les produits comportant de l’huile de palme et ainsi sauver les forêts vierges d’Indonésie ? La belle affaire. Lucas Chancel, chercheur en justice environnementale, résume : « Après tous ces efforts individuels, il restera les trois quarts du chemin à parcourir » vers la neutralité carbone.

Les gouvernements et les entreprises suivent, certes, mais ils impulsent aussi. Ils sont beaucoup plus sensibles à des menaces de boycott ou à des mobilisations de masse qu’à des variations à la marge de balances commerciales ou de chiffres de vente. Un manifestant qui proteste contre l’inaction de son gouvernement en matière climatique est certes plus convaincant s’il entreprend personnellement des efforts pour réduire son empreinte carbone. Mais chercher à le déconsidérer parce que le sandwich qu’il a dans son sac à dos est emballé dans du plastic relève de la plus pure mauvaise foi. Cessons d’opposer engagements personnels et collectifs, combinons-les de manière raisonnée. Avant d’accepter le rôle de consommateur dont la seule arme serait le portefeuille, identifions-nous comme humains et citoyens.

Jean Lasar
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