Chroniques de l’urgence

Schizophrénie aiguë à Londres

d'Lëtzebuerger Land du 26.07.2019

Le profond désarroi dans lequel les soubresauts du Brexit ont plongé le Royaume-Uni n’a pas empêché ce qui lui tient lieu de gouvernement d’annoncer un objectif climatique ambitieux : une décarbonisation nette complète d’ici 2050. Les esprits chagrins relèveront le qualificatif « net », qui suggère un recours non négligeable aux compensations pour porter l’empreinte du pays à zéro d’ici trente ans. Difficile de ne pas assimiler les « offsets » à la procrastination qui caractérise l’action climatique depuis des dizaines d’années. Qu’à cela ne tienne : un gouvernement chahuté comme celui de Theresa May, qui ose une telle proclamation en pleine tempête politique, cela mérite les applaudissements, isn’t it true ?

Hélas, lorsqu’on y regarde de plus près, l’image se gâche. Le Royaume-Uni s’est doté d’une Commission du changement climatique dont le compte-rendu sur les progrès enregistrés en la matière au cours de l’année écoulée vient d’être publié. Il n’y a pas de quoi pavoiser. Dans un texte publié par l’Independent, James Dyke assène : « Avec le gouvernement britannique actuellement aux affaires, les 345 pages de ses deux rapports publiés aujourd’hui peuvent se résumer comme suit : nous sommes cuits ».

Une seule des 25 recommandations faites par la Commission dans son rapport précédent a été appliquée. Par ailleurs, le gouvernement a activement promu la fracturation hydraulique, accordé des millions de livres de subventions pour faciliter la poursuite de l’extraction de pétrole et de gaz en Mer du Nord et augmenté la TVA sur certaines installations photovoltaïques domestiques de cinq à vingt pour cent. Autrement dit, « ils sont bien meilleurs lorsqu’il s’agit de contribuer à aggraver le changement climatique que lorsqu’il s’agit de s’y attaquer ». Ce gouvernement reste « entièrement lié par la loi d’airain de la croissance économique perpétuelle », il « refuse de considérer des mesures politiques plus étendues pour éviter l’effondrement climatique ».

Ce qui à vrai dire ne devrait surprendre personne. Qui pouvait croire sérieusement que le Brexit, fondé sur des mensonges éhontés et des messages ouvertement xénophobes, serait compatible avec une approche sensée en matière de réduction des émissions de CO2 ? Que sortir de l’Union européenne pour pouvoir négocier des accords commerciaux bilatéraux avec des pays tiers, au premier rang desquels les États-Unis, serait une bonne recette à cet égard ?

On assiste en ce moment au 10 Downing Street à une démonstration de schizophrénie politique aiguë. Le discours climato-compatible du gouvernement britannique est une fuite en avant qui ne se soucie en rien des faits – une parfaite fake news. Le pays peut se targuer d’une baisse notable de ses émissions liées à la production d’énergie, grâce au passage du charbon au pétrole et au gaz, mais pour le reste, le bilan est piteux et les perspectives restent sombres.

Jean Lasar
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