Salle comble pour la première du très attendu Good Girls de Larisa Faber qui confirme avec ce spectacle le succès mérité qu’elle a pu trouver par le passé autour de ses précédentes pièces Stark bollock naked (2019) et Papercut (2022). Artiste plurielle, au travail protéiforme, Larisa Faber est interprète, comédienne, performeuse, écrivaine, dramaturge, cinéaste, documentariste, ou encore metteure en scène… Dans cette pluralité de médias, en scène, comme à l’image, s’articule les discussions d’une artiste qui souvent met ses créations en lien avec sa propre intimité. Avec Good Girls, elle revient sur l’un des thèmes fondateurs de sa recherche artistique, logeant, au cœur d’une pièce entre comédie-musicale et performance, un discours sur « la condition féminine », sur l’appartenance du corps de la femme et sa libre capacité à décider de ce qu’elle en fait. Sous les auspices d’un débat autour de l’Interruption volontaire de grossesse, que Larisa Faber, tout comme Teklė Baroti, Monika Valkūnaitė, Nora Zrika – les trois interprètes sur scène – insistent à nommer « avortement », se déploie au plateau une cérémonie sans gêne, célébrant le non à l’enfantement. Une pièce comme un journal intime, alliant le vécu de la metteure en scène et les témoignages d’individus – le genre n’étant pas une condition à l’avortement – livrés avec bonhomie, humour et énergie. Un alliage dézinguant l’aspect dramatique de « la chose »… Celle-là même qu’on s’oblige à chuchoter, oublier, lamenter en société… Celle-là même qu’on chante, invoque et rit, chez Larisa Faber.
À la moitié du spectacle, « 7 jours, 168 heures, 10 080 minutes, 60 4800 secondes », s’affiche sur l’écran du fond de scène… C’est le délai de réflexion appliqué en Belgique avant une IVG. Autant dire une éternité qu’en scène les trois comédiennes nous font vivre en formulant un tableau de corps figés, sculptant l’attente. Une image qu’on nous offre sous une ambiance sonore pesante, pendant un infini de temps, un moment long durant lequel on se demande s’il faut intervenir, si l’on doit crier, acquiescer pour elles… Une façon pour la metteure en scène de tirer aussi vers la salle le débat en nous forçant une prise de décision qui n’est clairement pas la nôtre. Pourtant, face à l’insupportable tension de l’expectative, force est de nous agiter, et force est de ressentir l’immense malaise d’une personne dans cette situation, la loi de l’époque lui demandant de mettre en attente son choix, de suspendre les tribulations de son esprit, de revisiter en somme, l’appartenance sociale de son corps. Et c’est finalement ce genre de tableau auxquels nous habitue Larisa Faber de bout en bout de son spectacle. Des images aux formulations simples, souvent pleines d’humour, d’esprit et surtout de jeu et de musique, profitant d’un trio de femmes aux talents scéniques multiples et magnifiques. En fait, entre performance et chanson, Good Girls rêvait un genre scénique qu’on n’a pas l’habitude de voir. Là-dedans se mêle un certain flegme ou cynisme, on ne saurait préciser, en tout cas une idée cinglante de comment parler d’un thème qui agite l’humanité. À l’image de la reprise du slogan, « Ah si Marie avait connu l’avortement... On n’aurait pas tous ces emmerdements ! », le ton de la pièce s’entend clairement comme divinement décalé. Et de divin il n’y a pas que le ton. En effet, les personnages de Larisa Faber sont des sortes d’entités suprêmes, incapables de formuler une décision, lâches face aux témoignages qu’elles font entendre aux spectateurs. En fait, sur la scène du Ariston qu’occupe ce trio fêlé et zénithal, on assiste à une sorte de grand délire liturgique d’ordre papal, vrillant vers l’incongru. Good Girls pousse à désacraliser l’avortement, pour le rendre aussi anodin qu’il devrait être…
In fine, un côté radiophonique se loge dans Good Girls, dans sa construction scénique de voix et de chant, moins visuel que sonore. Un aspect qu’on reconnaît bien à Larisa Faber qui pendant les heures sombres du spectacle vivant d’après Covid, avait développé Triptyphon, une série de podcasts délicieux, entre drôleries et préoccupations actuelles… Aussi, la ligne de ce Good Girls est assez semblable, parler d’un sujet majeur dans le débat sociétal mondial, mais avec un détachement digne d’une absurde farce, une dinguerie spectaculaire de laquelle on ressort plein d’énergie, celle transmise par un trio d’actrices manifestement exceptionnelles. Bref. Good Girls n’est pas l’acte théâtral qui marquera la décennie du spectacle vivant luxembourgeois, mais il fait vivre en scène un discours important, qu’il faut absolument rendre fugasse, ou au moins « normalisé ». Aussi, de fait, Good Girls se rend pour l’heure essentiel dans le paysage artistique qui nous entoure, nous simples mortels, sensibles et ambivalents…