Chroniques de l’urgence

Coextinction

d'Lëtzebuerger Land du 19.07.2019

L’effondrement de la biosphère n’est malheureusement plus aujourd’hui une élucubration apocalyptique. Si on continue de parler communément de perte de biodiversité, une expression moins effrayante, le risque d’une « sixième extinction », causée par l’homme à coup de changement climatique et plus généralement de dégradations en profondeur de la nature sous toutes ses formes, ne peut être écarté. Une attention particulière revient dans ce contexte au phénomène de la coextinction, qui désigne la disparition d’une espèce du fait de sa dépendance envers une ressource spécifique. Que cette dernière décline ou quitte l’écosystème, et l’espèce dépendante sera elle-même menacée.

L’écheveau de la vie terrestre est d’une complexité que nous commençons tout juste à déchiffrer, avec des relations allant du simple modèle consommateur-ressource au parasitisme, en passant par des relations d’interdépendance, comme dans le cas des oiseaux qui mangent certains fruits et disséminent les graines de l’espèce par le biais de leurs excréments. Une étude de l’Université de l’Iowa en 2017 a suggéré que, contrairement à certaines prédictions particulièrement sombres en la matière, les espèces interdépendantes d’animaux et de plantes possèdent, même en cas de spécialisation poussée, une plus grande flexibilité que celle généralement admise pour s’adapter et trouver de nouveaux partenaires dans des contextes bouleversés.

Las, comme souvent, une étude australienne publiée en novembre 2018 estime au contraire que la coextinction pourrait bien avoir des impacts pires qu’escomptés. Le scientifique Corey Bradshaw, de l’Université de Flinders, en Australie, dans une étude cosignée avec Giovanni Strona et intitulée Co-extinctions annihilate planetary life during extreme environmental change, étudie ces phénomènes d’interdépendance à la fois sous l’angle de l’aide qu’elle apporte à certaines espèces, en leur permettant de survivre, et de la fragilité qu’elle introduit dans la toile du vivant. « Les coextinctions sont souvent causées bien avant la perte complète d’une espèce entière, ce qui fait que des oscillations dans la taille de la population d’une espèce pourrait avoir pour résultat la disparition locale d’autres espèces », constatent les chercheurs.

Connaissant les baisses brutales des effectifs d’insectes ou de poissons déjà enregistrées – et ce avant même les coups de boutoir que nous promettent les impacts du réchauffement – il y a réellement de quoi s’inquiéter. Le tardigrade, évoqué dans une autre étude dont se sont inspirés Bradshaw et Strona, est un minuscule organisme tenu pour l’archétype de la résilience : certains peuvent même survivre dans le vide spatial. Or, argumentent-ils, il dépend en réalité pour sa nourriture d’espèces bien moins résistantes que lui. Si le tardigrade, champion toutes catégories de la survie, peut ainsi succomber à la disparition des créatures dont il dépend, que dire de l’être humain ? Il est vrai que sa versatilité et son inventivité lui confèrent, à lui aussi, une résilience hors norme. Mais comment s’en sortira-t-il si les conditions ne sont plus réunies pour assurer la vie des êtres vivants dont il dépend pour se nourrir ?

Jean Lasar
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