Darknet

Cryptomarchés prospères

d'Lëtzebuerger Land vom 01.01.2016

Après le raid spectaculaire du FBI contre Silk Road en octobre 2013 et la condamnation de son fondateur à l’emprisonnement à vie en mai dernier, on parle beaucoup moins des marchés noirs en ligne. Pourtant, le Darknet, comme on appelle communément cette nébuleuse de sites faisant appel à des services d’anonymisation, continue d’exister, et avec lui plusieurs douzaines de bazars en ligne proposant, entre autres, des marchandises et services illégaux. Ces places de marché occultes, accessibles uniquement via le logiciel TOR (The Onion Router) et ses ésotériques adresses munies de l’extension « .onion », forment un écosystème vivace et changeant proposant drogues, armes, faux papiers, fausse monnaie, identifiants volés ou conseils de hackers. Le site Deepdotweb.com, qui est lui-même également accessible via l’adresse deepdot35wvmeyd5.onion, tient à jour une liste comparative des principaux marchés noirs en ligne, un vingtaine, affichant notamment pour chacun ses statistiques de disponibilité, son URL, le statut à l’égard de nouveaux utilisateurs (ouvert/sur invitation), l’existence ou non d’avertissements de sécurité, la commission demandée (le niveau le plus courant est 3,5 pour cent), l’imposition ou non du logiciel de cryptage PGP aux vendeurs, la note attribuée par les utilisateurs et la date de création (surtout 2015, avec quelques marchés dont la création remonte à 2014 ou 2013).

Les marchés les plus en vue sont Alphabay, Nucleus Marketplace ou Darknet Hereos League. L’offre, organisée en catégories, comprend souvent cannabis, ecstasy, cocaïne et amphétamines, ainsi que des pilules vendues sur ordonnance, mais aussi quantité d’autres produits et services. Le plus grand marché, Alphabay, qui compte 200 000 utilisateurs, liste plus de 75 000 produits, ses concurrents Nucleus Marketplace et Crypto Market moins de 30 000 et 19 000 respectivement. Tout n’est pas autorisé sur ces plateformes : ainsi, Alphabay proscrit expressément la pédopornographie et n’autorise pas les tueurs à gage à y proposer leurs services.

Cet écosystème se distingue par une durée de vie relativement limitée des marchés et une fréquence élevée des attaques dont ils font l’objet, sans que l’on sache nécessairement si ces attaques proviennent de concurrents, de hackers ou de services de police. Les avoirs que peuvent y accumuler les vendeurs ou les acheteurs ne sont pas à l’abri d’une soudaine disparition, qui dans un cas au moins a été le fait d’opérateurs indélicats. D’un autre côté, il y règne une certaine transparence, qui n’est pas sans rappeler les marchés en ligne officiels, avec des systèmes de commentaires et de notes qui permettent de mesurer la fiabilité des vendeurs et de leurs produits tout comme celle des acheteurs. Les devises acceptées sont typiquement le dollar, l’euro ou le bitcoin.

Les autorités sont relativement impuissantes face à ces plateformes. Elles les surveillent, bien entendu, mais ont manifestement renoncé à les empêcher de fonctionner. Le logiciel TOR est certes la clé d’accès commune à ces marchés, et alors que certains policiers souhaiteraient sans doute pouvoir purement et simplement le faire disparaître, il jouit d’une grande popularité parmi ceux qui luttent pour le droit de préserver sa sphère privée sur Internet.

Paradoxalement, ces places de marché peuvent d’ailleurs avoir un effet bénéfique sur les conditions dans lesquelles s’effectue le commerce des drogues illégales. Des représentants des autorités policières allemandes citées dans une enquête que le magazine informatique c’t consacre à ces places de marché reconnaissent que la qualité des produits proposées y est en général meilleure que dans les marchés de rue, ce qui constitue un gage de confiance et de sécurité, et que ces plateformes permettent aussi d’échapper à la violence qui règne presque systématiquement dans le commerce conventionnel des drogues. Même s’ils ne parviennent pas à endiguer le trafic qui s’exerce sur ces plateformes, les policiers peuvent, en pratique, se féliciter qu’une partie des transactions s’y déroule – c’est autant de chiffre d’affaires qui échappe aux gangs violents.

Jean Lasar
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