Surveillance des moyens de communication privés

La peur n’est pas bonne conseillère

d'Lëtzebuerger Land vom 20.11.2015

Il n’aura fallu que quelques heures après les attentats de Paris pour relancer de plus belle le débat en Europe et outre-Atlantique sur la surveillance des moyens de communication privés. Aux États-Unis, tout se passe un peu comme si les milieux favorables à une surveillance accrue et libérée des entraves représentées par les garanties constitutionnelles avaient déjà eu dans la manche, prêtes pour la prochaine occasion de lancer un blitz de lobbying, leurs diatribes liberticides. Des diatribes qui peuvent se résumer à la formule choc selon laquelle ces attentats auraient été rendues possibles par les révélations d’Edward Snowden il y a deux ans et demi. Une affirmation d’ailleurs facile à démonter.

Heureusement, l’opinion américaine est moins disposée aujourd’hui à gober ces allégations qu’elle ne pouvait l’être au début des années 2000. La Maison Blanche a pris garde de ne pas s’engager sur ce terrain, échaudée par les flagrantes contre-vérités proférées par les responsables des services de renseignement ces dernières années. Parmi ceux qui ont cherché à profiter de la situation pour se faire restituer les blancs-seings accordés par le Patriot Act figurent John Brennan, le directeur de la CIA, et James Comey, celui du FBI. Le premier s’est plaint des « moult tergiversations quant au rôle du gouvernement dans les efforts pour repérer ces terroristes », une référence directe aux réactions suscitées par les révélations de Snowden, le second a réclamé que l’on limite par la loi l’utilisation des différentes formes d’encryptage afin de faciliter l’accès des agences gouvernementales aux communications des personnes privées.

Même si certains médias ont mordu à l’hameçon, cette offensive ne trouve plus aujourd’huiv de terrrain aussi fertile qu’il y a quelques années. Il faut dire que parmi ceux qui y résistent figurent les grandes firmes de Silicon Valley, Apple en tête, qui n’entendent pas priver leurs clients de la protection de leurs données à laquelle ils peuvent prétendre simplement parce que les agences de renseignement crient au loup. Toute vulnérabilité de type « backdoor » censée permettre aux autorités de mieux surveiller les individus peut aussi être utilisée par les criminels et les hackers, font valoir ces firmes, un argument de poids.

Ce qui limite aussi la portée des ces revendications de la CIA et du FBI, c’est la constatation qu’aura pu faire tout un chacun suivant l’actualité de ces derniers jours. À savoir que ce n’est pas l’absence de données sur les terroristes qui a empêché les polices européennes de prévenir les attentats, mais d’autres causes, dont l’insuffisance de moyens pour exploiter les renseignements existants. « Il n’y pas de preuve qu’il ait manqué aux Français un type d’autorité de surveillance qui aurait fait la différence », a commenté Jameel Jaffer, directeur juridique adjoint l’ACLU, l’Union américaine des libertés civiles. Les experts font aussi valoir qu’aux États-Unis, les décisions prises par Barack Obama après les révélations d’Edward Snowden n’ont pas significativement réduit les pouvoirs d’interception des agences de renseignement, mais ont simplement rétabli un minimum de surveillance de ces pouvoirs par le pouvoir judiciaire et le public. Les États-Unis ont échappé pour l’instant aux vagues d’attentats commandités par l’État Islamique, ce qui limite sans doute aussi la portée de l’offensive des agences de renseignement. Mais à voir comment les dirigeants français et britanniques montent au créneau ces derniers jours pour doter leurs agences de renseignement de nouveaux droits en matière de surveillance, il est clair qu’il va falloir que les opinions européennes se mobilisent à nouveau pour ne pas tomber dans le panneau. La peur n’est jamais bonne conseillère. Alors que tout indique que les polices européennes disposaient de nombreux renseignements sur les terroristes, il faut y regarder à deux fois avant d’accepter sous le coup de l’émotion que leurs droits d’interception et de stockage des communications soient élargis au nom d’une très hypothétique meilleure prévention des violences terroristes.

Jean Lasar
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