Les Archives nationales du Luxembourg (ANLux) viennent de s’enrichir d’un fonds d’archives privées issu du LSAP. Dans un pays où la politique est un parent pauvre de l’historiographie, c’est une nouvelle importante pour les chercheurs et tous ceux qui s’intéressent à la politique.
Ce fonds, avec la cote FD-318 (fonds divers), comporte 53 mètres courants d’archives et 1 739 unités de description, auquel s’ajoutent des documents audiovisuels digitalisés (cassettes, bandes magnétiques, films) et de nombreuses photos de personnalités et de manifestations du LSAP recueillies au fil de recherches historiques.
Des archives de 1945 à 2018
Le FD-318 provient de trois versements d’archives du parti socialiste LSAP à la Bibliothèque nationale (BNL) et aux ANLux depuis une quarantaine d’années. Elles couvrent la période de 1945 à 2018.
Le premier versement était destiné à la BNL au début des années 1980. C’était à l’instigation de l’historien Gilbert Trausch, alors directeur de la bibliothèque nationale. Il avait compris que l’histoire des partis comme celle des syndicats était à faire. Il avait recueilli alors également les archives du syndicat LAV, précurseur de l’OGBL. Un inventaire du dépôt du LSAP fut établi, mais il s’est perdu en route.
Les deux autres versements étaient destinés aux Archives nationales à l’initiative propre du LSAP. C’étaient des fonds non épurés, aucun tri n’ayant été opéré avant le transfert. Une partie de ces dépôts a sommeillé pendant une quarantaine d’années dans les caves des deux institutions. Nous les avons évoqués lors de la Journée des archivistes en 2021. Depuis, ils ont été réunis aux ANLux. Grâce à la directrice Josée Kirps et à la conservatrice Corinne Schroeder, un inventaire a été établi par l’archiviste Marc Lepage. Le FD-318 apparaîtra bientôt au plan d’archivage et pourra être consulté par les chercheurs selon les modalités officielles de la loi sur l’archivage.
Un fonds riche, mais désordonné
Disons-le d’emblée : ce fonds est d’une grande diversité. S’il y a une vague trame chronologique, le contenu est passablement désordonné. La raison en est que le LSAP d’autrefois n’avait pas vraiment d’appareil administratif, pas plus que les autres partis au Grand-Duché. C’étaient des associations de fait sans cadre légal et surtout sans moyens financiers autres que les cotisations de leurs membres. Depuis 1919 et jusqu’au début des années 2000, ni la Constitution ni la loi électorale ne connaissaient les partis.
Que trouve-t-on dans ce fonds ? Une partie importante porte sur la vie interne du LSAP, en particulier sur les relations de la direction du parti avec les sections locales et les organisations internes comme les Jeunesses socialistes, les Femmes socialistes et les conseillers communaux du parti. On y trouve des documents sur les congrès et la préparation des élections. Certains sujets sont particulièrement bien représentés comme la question de la conscription militaire, l’adhésion à l’Otan ou la centrale de Remerschen.
Au-delà de la vie interne du parti, ce fonds est une mine pour le chercheur qui étudie la vie politique du pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. S’y trouvent les procès-verbaux des réunions du comité-directeur, qui évoquent les sujets d’actualité et fixent les positions du parti.
La période de la « grande » coalition entre le CSV et le LSAP de 1964 à 1968, avec deux partis presqu’à égalité de forces, est particulièrement intéressante, et on trouve les documents sur les négociations de coalition de 1964 et de 1966 dans le fonds. Alors qu’aujourd’hui le groupe parlementaire et le parti ont des activités séparées, il n’en était pas toujours ainsi. Voilà pourquoi on trouve dans le fonds des procès-verbaux des réunions du groupe parlementaire socialiste des années 1960, 1970 et 1980. Il est intéressant de disposer des comptes-rendus de certaines commissions parlementaires, ce qui est exceptionnel, puisqu’à l’époque, les commissions se tenaient à huis clos et les députés n’avaient même pas le droit d’évoquer dans leurs discours à la tribune les débats en commission.
Autre fait remarquable : à une certaine époque certains ministres socialistes transmettaient les dossiers ministériels directement au secrétariat du parti, qui était en même temps celui du groupe parlementaire. On découvrira donc des documents de conseils de gouvernement, surtout des années 1970.
Un mot sur la période couverte par ce fonds : les pièces des années 1940 et 1950 sont assez rares, celles des années 1960 plus fréquentes, mais ce n’est qu’à partir des années 1970 que les documents sont abondants.
Des dérogations
Comme pour tout fonds de l’époque contemporaine se pose la question du délai de protection de 75 ans dès que des noms de personnes apparaissent dans les dossiers. Pour le fonds LSAP, le parti pourra accorder des dérogations sur demande. Nous pensons que ces dérogations devront être accordées facilement quand il s’agit de dossiers politiques. Néanmoins nous pensons également que le parti doit se donner une doctrine cohérente en la matière.
Il n’y a pratiquement aucun dossier intéressant sans que des noms de personnes n’y figurent, car dans tous les procès-verbaux sont listées les personnes présentes. Il s’agit de mandataires élus, soit au niveau national, comme les députés et les ministres, soit au niveau communal, comme les maires, échevins et conseillers, soit au sein des instances du parti et de ses sections locales, présidents, secrétaires, membres du comité. Comme l’engagement de ces personnes n’est pas secret, le LSAP devrait accorder la dérogation et permettre la consultation de ces pièces.
En revanche quand il s’agit de personnes qui n’ont pas de mandat, le parti ne peut pas accorder la dérogation demandée. Dans le cadre de la législation actuelle, les dossiers personnels, par exemple la carrière de fonctionnaire, ou encore des affaires disciplinaires, ne pourraient être consultés qu’avec l’autorisation de la personne concernée, ou bien dans les délais de protection prévus, soit 75 ans après la mort de la personne.
Pour néanmoins permettre la consultation d’une pièce, le seul moyen serait d’introduire une déclaration de la part de l’historien engageant sa responsabilité. À défaut il reste la pratique, très discutée, de noircir le nom de la personne dans le document pour le rendre consultable. Pour gérer les demandes de dérogation, le LSAP devrait désigner en son sein une personnalité responsable à laquelle seraient adressées les demandes.
Une riche mémoire du socialisme
luxembourgeois
Le socialisme luxembourgeois existe depuis la fin du 19e siècle, et le parti qui s’en réclame a commencé son action en 1902, donc il y a plus de 120 ans. S’il n’y a pas vraiment d’archives pour la période jusqu’en 1940 – sauf les rapports de police sur le mouvement ouvrier – il y a d’autres sources, comme les nombreux journaux partisans, la plupart numérisés et consultables sur le site eluxemburgensia.lu. Il faut cependant regretter que pour la période cruciale des années 1920 les journaux socialistes ne soient ni numérisés ni disponibles !
Outre le nouveau FD-318 les chercheurs ont à leur disposition aux AN les FD de Victor Bodson et de Lydie Schmit. Contrairement au fonds LSAP, ces dépôts ont été triés et préparés avant d’avoir été déposés.
Lydie Schmit (1939-1988) fut la première femme présidente du LSAP. Députée de 1979 à 1980 et députée européenne de 1984 jusqu’à sa mort en 1988, elle fut présidente de l’Internationale socialiste des femmes et vice-présidente de l’Internationale socialiste de 1980 à 1984. Le fonds Lydie Schmit contient sa correspondance, très riche puisqu’elle avait des contacts dans le monde entier, ses notes et évidemment les procès-verbaux des réunions qu’elle a présidées en tant que présidente du parti dans les années 1970. Rappelons que l’historienne Renée Wagener a écrit une biographie de Lydie Schmit en grande partie grâce à ces archives.
Le fonds Bodson concerne une période antérieure. Victor Bodson (1902-1984) eut une riche carrière politique. Élu député en 1934, il fut ministre de la Justice et des Travaux publics de1940 à 1947 et de nouveau de 1951 à 1959. Il fut conseiller d’État de 1961 à 1964 et commissaire européen aux Transports de 1967 à 1970. Ce fonds traite des années particulièrement mouvementées de l’histoire luxembourgeoise, les années de guerre et d’après-guerre alors que le ministre de la Justice fut au centre des procès d’épuration.
Le fonds contient entre autres les rapports du comité-directeur du LSAP des années 1950, beaucoup de courrier, également des procès-verbaux de conseils de gouvernement des années 1950. Signalons encore qu’il peut être intéressant pour les chercheurs d’aller regarder au-delà des frontières, à La Haye ou à Manchester, à la Friedrich Ebert Stiftung ou à Bruxelles sinon à Berlin pour trouver d’autres archives sur le riche passé du socialisme luxembourgeois.
Enfin, au-delà du parti socialiste, il est souhaitable que les autres grands partis luxembourgeois réfléchissent à leur tour à ouvrir leurs archives pour enrichir l’historiographie du Luxembourg contemporain !