Deux Schneider socialistes aux carrières postministérielles très contrastées. Alors qu’Étienne conseille les oligarques russes, Romain conseille les salariés wiltzois. Depuis février, l’ancien ministre de la Sécurité sociale et des Sports, Romain Schneider, assure une permanence hebdomadaire dans l’antenne wiltzoise de l’OGBL. Le retraité (62 ans) reçoit tous les mardis dans un bureau exigu, et répond aux questions sur les droits de retraite, les pensions d’invalidité, le droit du travail et les reclassements. Parfois, il s’agit simplement de rassurer, dit-il, par exemple en notant la bonne adresse sur une enveloppe. Romain Schneider y voit un retour aux sources, ayant travaillé pendant vingt ans à l’antenne wiltzoise de l’Adem.
Ironiquement, les deux premiers dossiers qui ont atterri sur son bureau concernaient l’agence pour l’emploi. Signant ses lettres par « conseiller syndical OGBL », Schneider a contesté des refus de l’Adem de payer des indemnités de chômage. Un autre dossier était lié à la CNS, dont Schneider avait la tutelle comme ministre. Un salarié s’est vu refuser un remboursement, ayant envoyé les factures tardivement. (Rien à faire, regrette Schneider, la période de forclusion de deux ans a été dépassée.) Le tiers payant généralisé aurait dû éviter ce genre de situation, mais Schneider, le ministre, n’avait pas réussi à l’imposer au puissant lobby des médecins. Le texte serait tout prêt, dit-il : « Et brauch nëmme gemaach ze ginn… ». En attendant, relate-t-il, les files s’allongeraient devant les guichets de la Gesondheetskeess, où l’on peut se faire immédiatement rembourser (en espèces) sans devoir attendre un virement bancaire. Les agences de Differdange, Esch et Dudelange seraient actuellement submergées par des affiliés connaissant des fins de mois difficiles.
Romain Schneider a dû s’acclimater à sa nouvelle vie de retraité qui a commencé en janvier 2022. Surtout ses collaborateurs lui auraient manqué, dit-il. Son chauffeur et garde du corps l’a ainsi accompagné pendant douze ans et demi, le ramenant tous les soirs à Wiltz (le policier habitait lui aussi le canton). Après sa sortie du gouvernement, Schneider a dû réapprendre à naviguer dans le trafic. Habitué à déléguer, il doit maintenant assimiler de nouvelles compétences : faire des copies recto-verso, utiliser un scanner, affranchir des lettres. Les personnes se présentant aux permanences, savent-elles que c’est un ancien ministre qui prend en charge leur dossier ? Si on le reconnaissait, ce serait davantage en tant qu’ex-maire qu’en tant qu’ex-ministre, dit Schneider, la population portugaise et yougoslave de Wiltz ayant un lien plus direct avec la politique communale qu’avec la politique nationale.
Schneider dit être passé graduellement dans son nouveau rôle. Lors de ses promenades à travers Wiltz, le jeune retraité se fait régulièrement accoster par des passants qui lui demandent de l’aide pour l’une ou l’autre procédure administrative. La nouvelle fait vite le tour, et l’ex-ministre commence même à recevoir des gens dans son bureau à la maison. Il est alors contacté par la présidente de l’OGBL, Nora Back, qui lui propose d’assurer une permanence dans la nouvelle antenne wiltzoise du syndicat. Romain Schneider dit avoir été membre de l’OGBL, tout comme de la CGFP, y inclus durant son mandat de ministre. Mais, précise-t-il, sans avoir jamais été un « syndicaliste pur jus » ni un « bouffeur de patrons ».
L’ex-ministre Romain Schneider a scrupuleusement respecté le délai de deux années, prévu par le nouveau code de déontologie. Celui-ci stipule que, pendant cette période de cooling off, « il est interdit aux anciens membres du gouvernement de prendre de l’influence ou de défendre la cause de leur entreprise, client, associé en affaires ou employeur auprès des membres du gouvernement et du personnel de leur ancien département. » Si un ex-ministre ne se tient pas à cette règle, il ne risque en réalité pas grand-chose : En cas de non-respect, le comité d’éthique peut tout au plus « publier son avis en tout ou en partie ». Etienne Schneider fait jouer ses contacts en faveur d’oligarques russes et de promoteurs belges, tout comme, avant lui, Jeannot Krecké et Jacques Poos avaient multiplié les sièges dans des CA plus ou moins prestigieux. (Quant à Lucien Lux, il conseille et informe en exclusivité le nabab de l’immobilier Flavio Becca.) Que pense Romain Schneider des reconversions de ses camarades de parti ? « Chacun fait son choix », répond-il.
Romain Schneider a pris une autre voie. En janvier 2024, soit exactement 24 mois après sa démission comme ministre, il a signé un contrat de travail (pour douze heures par semaine) avec l’OGBL. Il dit être rémunéré selon la même grille que les autres conseillers syndicaux : « Keng Extrawurscht ». Il aurait également signifié à l’OGBL qu’il se tiendra éloigné des dossiers politiques. Ce qui l’intéresserait, ce serait de retrouver le contact avec les gens. Il rejoint un réseau de 24 « secrétaires sociaux ». Les syndicats luxembourgeois se présentent de plus en plus comme « service providers » en professionnalisant leurs offre de conseil et d’assistance depuis les années 2000. L’OGBL compte ainsi 18 antennes locales, dont quatre en France, cinq en Wallonie et une en Allemagne. De nombreux membres cotisent pour s’assurer une assistance administrative, voire judiciaire. Ils considèrent le syndicat comme une sorte d’Automobile Club des relations sociales.
L’assistance syndicale diffère pourtant du suivi étatique et de ses mesures disciplinaires : « Et kann een de Leit näischt falsch maachen, nëmmen hëllefen », estime Schneider. En passant à la permanence, les gens feraient usage de leur droit (de membres) pour revendiquer leurs droits (de salariés.) En 1980, Romain Schneider était entré comme placeur à l’agence wiltzoise de l’Adem de Wiltz. Il en prendra la direction neuf ans plus tard, succédant au préposé André Biver, le maire socialiste de Wiltz venant d’être élu à la Chambre des députés. (En l’espace de douze ans, deux préposés régionaux de l’Adem ont donc été élus maires de Wiltz, tous les deux sur la liste LSAP.)
Le premier stress test pour le nouveau préposé Schneider arriva en juin 1991, lorsqu’est annoncée la fermeture de Fardem Lux, une fabrique de sacs en plastique et de housses pour palettes. 171 salariés se retrouvaient sur le carreau, dont deux-tiers de femmes non-qualifiées, habitant pour la plupart à Wiltz. Schneider a décidé de faire, deux fois par semaine, le tour des patrons de l’Ösling, réussissant à placer les demandeuses d’emploi auprès des artisans, hôteliers, communes et industriels du coin. L’expérience lui aurait permis de « redéfinir » son rôle en tant que préposé, et « d’aller à la rencontre du patron ».
Fils unique, Romain Schneider est issu d’une famille ouvrière. Il est également un « Weeltzer » pur jus. Ses parents et grands-parents (ainsi que ceux de son épouse) sont tous issus de la capitale des Ardennes, et ont été actifs dans la pléthore de clubs locaux. Cet enracinement constituera un avantage électoral pour le jeune Schneider. Son père, Léon, a passé toute sa vie professionnelle comme camionneur à la Brasserie Simon, faisant le tour des petits cafés de l’Ösling. Un travail éreintant, à remonter les fûts vides des caves et à y faire descendre les fûts pleins. Lorsqu’à 17 ans, Romain Schneider a reçu sa première fiche de paie chez Eurofloor (où il travaillait quelques mois comme comptable), il aurait eu « honte » de la montrer à son père qui gagnait, lui, « un peu plus que le salaire minimum ». Léon Schneider prend sa retraite à 58 ans et meurt quatre ans plus tard : « Ce n’était pas directement lié à son travail, mais ça n’a certainement pas aidé », dit son fils.
La carrière politique de Romain Schneider est un cas d’école du « Ochsentour » sur le terrain communal : enracinement familial, relative notoriété sportive, engagement associatif. Schneider a arrêté l’école après la Onzième (section Commerce), il aurait eu « surtout le foot dans la tête ». Avec le FC Wiltz 71, le libéro montait dans la promotion d’honneur en 1979, puis dans la division nationale en 1981. Le sport lui a donné une exposition. « Romain Schneider, das ist aber auch der Fußballspieler, der Trainer, der Präsident », lit-on ainsi dans la chronique locale Wooltz 1814-2014. En 1993, Romain Schneider est une première fois élu au conseil communal sur la liste socialiste. La majorité CSV-DP commet alors une lourde bourde politique : Elle accepte que le jeune conseiller de l’opposition Schneider prenne la tête de la commission de la Vie associative. Le trentenaire saisit l’opportunité. Wiltz compte alors une soixantaine d’associations. Schneider se rendra à l’assemblée générale de chacune d’entre elles. « Un marathon », dit-il, d’autant plus que les AG se tenaient toutes entre début janvier et fin mars. Remontant les doléances, il aurait eu « peu à perdre » : Si le conseil échevinal refuse d’y donner suite, ce n’est pas de sa faute.
Aux communales de 1999, à peine six ans après être entré au conseil communal, c’est la consécration. Schneider double son score, et le LSAP obtient la majorité absolue. À 37 ans, il est assermenté maire. Dix ans plus tard, son score aux législatives de 2009 le rend incontournable au niveau national. « Le chouchou de l’électorat du Nord » (Paperjam) monte au gouvernement Juncker-Asselborn II. Romain Schneider recevra des ressorts aigres (l’Agriculture) et doux (les Sports), puis le portefeuille stratégique de la Sécurité sociale et l’autre, plus symbolique, de la Coopération. Il sera un ministre discret, fuyant les conflits et cherchant les compromis : avec les paysans, les syndicats, les médecins). La presse le qualifiera de « valeur sûre » (Tageblatt) et de « Routinier » (Reporter).
Fränk Arndt était le numéro 2 de Romain Schneider, dont il a repris la mairie en 2009. Serrurier de formation, il était délégué du personnel chez Circuit Foil, avant d’être coopté dans l’appareil de l’OGBL comme secrétaire régional pour le Nord. (Arndt faisait donc le même travail que le retraité Schneider fait aujourd’hui.) L’année 2022 sera son annus horribilis. Deux informations judiciaires sont ouvertes pour « prise illégale d’intérêts » et « corruption » dans le cadre d’une transaction immobilière. Happé par l’engrenage judiciaire, Fränk Arndt maintient pourtant sa candidature. « Ce que je peux dire, c’est que je ne me sens pas coupable », se faisait-il citer dans la brochure électorale du LSAP. «Si je ne me représente plus, les gens vont dire que c’est parce que je suis coupable», expliquait-il au Quotidien. Romain Schneider dit avoir demandé à Frank Arndt, les yeux dans les yeux : « Wann eppes war, da sees de mer dat, da bléifs du nach ëmmer mäi Kolleeg. Wann näischt war, dann desto méi. » Arndt lui ayant assuré de son innocence, il l’aurait encouragé à se porter candidat : « Je lui ai dit : Du gees mat ! »
Le maire sortant a réussi à limiter la casse : Arndt a seulement perdu 269 voix personnelles par rapport à 2017. (Un peu plus en réalité, le nombre de bulletins valables ayant augmenté de 361.) Mais la liste LSAP recule de 45,4 à 38,6 pour cent, perdant un siège au profit du DP. Le CSV a flairé sa chance et conclut une alliance avec les libéraux, présageant celle scellée quatre mois plus tard au niveau national. Après 23 ans, le bastion rouge du Nord est tombé. Au sein du CSV, c’est la troisième élue, Carole Petitnicolas-Weigel, qui s’est imposée en interne contre les deux échevins sortants. L’éducatrice diplômée qui se décrit comme « Veräinsmënsch » a été assermentée maire en juillet dernier. On lui aurait demandé en 2017 de se porter candidate, dira-t-elle quelques mois plus tard au Wort, « davor hatte ich mich nie mit Politik auseinandergesetzt ».
Petitnicolas-Weigel a vite assimilé les règles du jeu. Son ascension sous l’étendard du « renouveau » et de « l’esprit d’équipe » ne s’est pas faite sans drames internes. Un échevin CSV sortant a claqué la porte, rendant sa carte du parti. (Il aurait préféré continuer la coalition avec le LSAP.) La priorité affichée par la nouvelle bourgmestre est la baisse de l’endettement. « Wir müssen uns der Decke nach strecken », expliquait-elle en décembre au Tageblatt. Wiltz a accumulé 68 millions d’euros de dettes, ce qui en fait la deuxième commune la plus endettée par tête d’habitant après Echternach. Mais pour assurer le financement du nouveau campus scolaire, la nouvelle majorité a dû se résigner à prendre un autre crédit, à hauteur de 8,5 millions d’euros.
Les Verts n’ont jamais réussi à s’implanter à Wiltz. En juin dernier, le parti n’y a pas su concocter de liste, bien que celle-ci aurait été menée par une députée. Stéphanie Empain dit n’avoir trouvé que cinq personnes prêtes à faire leur outing vert (il en aurait fallu treize), « et ce n’est pas faute d’avoir essayé ! ». Wiltz serait un terrain « particulièrement dur » : « Et ass keng Léift, déi engem entgéint schléit ». Aux législatives, Déi Gréng y réalisent traditionnellement de piètres scores. Presque moitié moins que dans le reste de la circonscription en 2013 et en 2018, et en-dessous de cinq pour cent en 2023. Les écolos sont toujours tenus responsables pour le départ d’Eurofloor en 1991. Quelques années auparavant, le producteur de revêtements de sols vinyliques avait signifié à la commune sa volonté de quitter la vallée de Wiltz pour un nouveau site de production. Le maire à l’époque, André Biver (LSAP), proposait trente hectares en zone verte et agricole sur les hauteurs de la commune, près du hameau de Roullingen. Une fronde s’y forma illico, rassemblant paysans, riverains et écolos. « Mir brauchen eisen Bodem selwer ! », pouvait-on lire sur une des pancartes exhibées lors d’un piquet devant la mairie.
En novembre 1990, les Verts organisèrent un meeting à Wiltz contre la nouvelle zone industrielle. Ils furent accueillis par les huées de 700 contre-manifestants, constitués de « syndicalistes, d’ouvriers et de commerçants », comme le rapportait le Tageblatt le lendemain. « Verdreift nik déi elo wëllen investéieren. Et kommen keng méi no », lisait-on sur une des banderoles des 1 300 manifestants réunis, quelques semaines plus tard, devant le ministère des Finances. Avec plus d’un demi-millier de salariés, Eurofloor était le principal employeur à Wiltz. L’activité faisait tourner le commerce et les bistrots. La firme s’était également insérée dans le tissu associatif, en devenant le sponsor principal du FC Wiltz en 1986, remplaçant un magasin d’ameublement et une boucherie. La nouvelle de la « délocalisation » d’Eurofloor dans le canton de Clervaux, à Eselborn, fit donc l’effet d’un choc. Beaucoup à Wiltz en tiennent toujours les écolos pour responsables, même si le ministre de l’Économie de l’époque, Robert Goebbels (LSAP, et peu connu pour ses sympathies vertes) pointait à l’époque l’issue trop incertaine de la procédure d’expropriation.
Au moment même où Wiltz est atteint par la vague de désindustrialisation, des centaines de réfugiés bosniaques, fuyant le nettoyage ethnique, s’y établissent. La nouvelle communauté se greffe sur une immigration yougoslave plus ancienne, recrutée par des firmes de construction à la fin des années 1970. Schneider évoque un « très grand sentiment d’insécurité » qui aurait émergé à la fin des années 1990. Pour le contrer, les édiles ont tenté de favoriser le dialogue interculturel. La commune effectue un jumelage avec Zavidovići, une municipalité en Bosnie-Herzégovine, dont sont issus de nombreux néo-Wiltzois. (Afin de ne pas « monter une communauté contre l’autre », dit Schneider, un autre jumelage est conclu avec le village portugais de Celorico de Basto.)
Dans les années 2000, c’est la surchauffe des prix immobiliers au Centre et au Sud qui pousse de nombreux ménages vers le Nord. Le prix de vente des appartements est de 4 100 euros le mètre carré à Wiltz, alors qu’il dépasse la barre de 10 000 euros dans la capitale et de 6 000 euros à Esch-sur-Alzette. « D’Präisser hei si plus ou moins an der Rei », dit Schneider. « C’est évident que les gens viennent à Wiltz ». Toutes les statistiques désignent la ville du Nord comme la commune la plus pauvre du Grand-Duché. L’indice socio-économique du Statec fait figurer la ville du Nord à la dernière place, l’écart avec l’avant-dernier (Esch-sur-Alzette) s’étant même creusé entre 2017 et 2021. Le salaire médian est actuellement de 3 167 euros à Wiltz, ce qui en fait la commune « la moins bien classée », alors qu’il est de 6 659 à Niederanven, la commune la plus nantie. Le taux de chômage s’établit à 7,74 pour cent dans la capitale des Ardennes, et est uniquement dépassé par celui de la métropole du fer (8,97).
La commune lutte contre les signes visibles du déclassement. Elle a ainsi racheté une bonne partie des locaux de la Grand-Rue (qui fait moins de 200 mètres) pour les louer à des prix modiques. Dans un de ces locaux subventionnés, une librairie-papeterie vend des polars américains, des bougies parfumées et des monographies sur la famille grand-ducale. En face, une brasserie portugaise accueille des ouvriers pour la pause midi. Plus loin, Chez Xu propose de la « cuisine thaïlandaise, japonaise & européenne ». Une épicerie offre à découvrir « die Vielfalt des Balkans ». En contrebas, Misty Green vend du CBD, tandis que la succursale d’une église évangélique propose le salut éternel. Signe distinctif de toutes les villes précarisées, trois agences d’intérim peuplent la principale artère commerciale.
Si Wiltz va changer de visage, c’est du côté de la gare, sur les friches qui avaient hébergé la tannerie Ideal puis, à partir 1963, le transformateur de plastique Eurofloor. Dans le nouveau quartier « Wunnen mat der Wooltz », 872 logements abordables seront créés, dont 70 pour cent destinés à la location. Porté par le Fonds du Logement, le projet n’a pas provoqué de shitstorm de la part des riverains. Il y a trois ans, la députée verte Stéphanie Empain se disait « fière » de sa commune à la Chambre : « Wou op anere Plaze schonn Horrorzenarien entstinn, well éierens sechs Wunnenge fir Friemer sollen entstoen, gesäit Wolz deen heite Projet als seng grouss Chance ». Les premiers immeubles devraient être prêts d’ici la fin de l’année.
Le projet aura mis plus de trente ans à se concrétiser. Pour le débloquer, les ministres nordistes Romain Schneider et Marco Schank (CSV) avaient fait du forcing au sein du gouvernement. En 2011, Luc Frieden se déplaça sur les berges de la Wiltz pour annoncer que l’État allait entièrement financer l’assainissement des sols, lourdement contaminés par un siècle d’activité industrielle. D’après la loi de financement, votée en 2021, le coût de la seule dépollution se montera à 41,4 millions d’euros. (Mais l’aménagement de potagers restera interdit sur les futures parcelles.) En haut sur la colline, au-dessus de la vallée post-industrielle, la commune veut attirer une autre population, au pouvoir d’achat plus élevé. Elle vient de mettre en vente 102 terrains à bâtir, sans contrat de construction et avec un droit de préemption de seulement dix ans. Malgré ces conditions très favorables, le lotissement a incité peu d’intérêt : Seulement une dizaine de candidatures sont entrées. La faute à la hausse des taux d’intérêt, estime Carole Petitnicolas-Weigel face au Wort.
Wiltz tente de se réinventer, la ville ouvrière se cherche de nouvelles niches et de nouveaux narratifs. Elle ambitionne ainsi de devenir « un laboratoire vivant de l’économie circulaire ». Elle essaie également de se profiler à côté de Belval comme seconde ville universitaire. La commune a déroulé le tapis rouge à des écoles de gestion belges qui ont élu domicile au château. Mais c’est une ASBL, Coopération, qui a émergé comme acteur majeur à Wiltz ; un modèle probablement unique en son genre au Luxembourg. Créée en 1991, l’association anime quasiment l’ensemble de la vie culturelle : du traditionnel Festival de Wiltz au nouveau Jazzorwhatever!?, en passant par la Nuit des lampions et le Cinéma Prabbeli. Le Kannermusée Plomm (qui ouvrira le 28 avril) est également issu de son initiative. À côté de plusieurs ateliers protégés, Coopérations exploite en outre un bar, un restaurant, un camping ainsi qu’un magasin, à l’esthétique hipster, qui allie « craft food store » et « ethical giftery ». Le vice-président du KPL Alain Herman, un natif de Wiltz qui siège au conseil de Coopérations, attribue à l’ASBL une « forte valeur identitaire ».
Le germaniste Alain Herman (son travail de master a porté sur l’influence de Schopenhauer dans les œuvres de Thomas Mann et de Thomas Bernhard) enseigne au Lycée du Nord. C’est un des rares établissements du pays à rassembler les filières classique, générale et préparatoire dans un bâtiment (même si le préparatoire est situé dans une aile à part). Du coup, les profs enseignent dans les différents régimes. Ce dont se réjouit Herman : « Celui qui a passé toute sa carrière dans le classique reste un peu enfermé dans sa tour d’ivoire et n’aura qu’une vision partielle sur la population du pays ».
D’après le dernier recensement, Wiltz est la deuxième commune comptant le plus de ressortissants extra-européens, après la capitale (23,6) et devant Strassen (22,3). La cohésion sociale est tributaire d’un réseau associatif qui reste très étoffé. Le foot y joue un rôle central. En politique également. Amel Ćosić, le nouvel échevin libéral, a commencé sa carrière footballistique au FC Wiltz (il joue aujourd’hui dans l’équipe de réserve). Les conseillers socialistes Ferid Hodzic et Sven Schneider (fils de l’ancien ministre) y ont siégé au comité. Le nouvel homme fort des socialistes wiltzois, Michael Schenk, se présente sur le site de la commune comme « président du FC Wiltz 71 et de la section LSAP Wiltz ». Tout comme Romain Schneider avant lui.