Édito

Lancelot

d'Lëtzebuerger Land vom 15.09.2023

Le rapport de l’Alia sur la campagne électorale médiatique pour les élections communales de juin 2023, c’est l’arbre qui cache la forêt… de Brocéliande. Sur 62 pages, le régulateur de l’audiovisuel détaille pour la première fois (en vertu de la loi du 22 juillet 2022) les règles de ce qui devrait être le juste équilibre politique dans les médias, ainsi que leur application par les chaînes et les partis. Mais, en pleine campagne des législatives, l’autorité de l’audiovisuel douche vite les attentes placées dans ce travail qu’elle juge elle-même d’une futilité confondante parce que l’essentiel de la campagne se joue en d’autres endroits et en d’autres moments. « La pratique montre que les partis utilisent de plus en plus les nouveaux médias et les réseaux sociaux pour diffuser leurs messages. Les médias classiques en sont de moins en moins le théâtre, alors que les médias sociaux en deviennent le lieu de prédilection », note l’Alia.

L’instance présidée par le magistrat Thierry Hoscheit aborde la question des langues utilisées pendant la campagne des municipales. Tous les partis ont opté pour le luxembourgeois. L’on pourrait relever une certaine ironie. La plupart d’entre eux sont allés chercher au Brésil des voix de gens qui n’ont jamais vécu au Grand-Duché et ils choisissent de se présenter dans une langue uniquement parlée par la moitié des résidents et un tiers des personnes qui occupent le territoire entre 8h et 18h (lesquelles sont aussi pourtant concernées par les politiques publiques). Mais il n’y a rien de plus normal. Les médias observés dans le cadre du mandat de l’Alia, RTL et 100,7, diffusent quasiment exclusivement dans la langue de Dicks. « Des spots payants dans d’autres langues ont été diffusés par Radio Latina (en langue portugaise) et L’Essentiel Radio (en langue française) », lit-on dans le rapport de l’Alia. L’autorité des médias audiovisuels a fait du zèle et regardé au-delà de son pré carré, soulignant toutefois qu’elle n’était pas équipée la tâche. D’ailleurs, RTL Radio Lëtzebuerg et sa cousine Eldoradio (en dehors de sa mission de service public) se sont retranchés derrière le secret des affaires pour ne pas communiquer les statistiques sur les spots électoraux payants.

Le rapport détaille à la seconde près les temps de parole des candidats lors des « tables-rondes officielles ». Trois ont été organisées : deux sur RTL Télé et une sur 100,7. « L’Alia se demande si le format des tables rondes officielles est encore adapté à notre époque et s’il ne faudrait pas y renoncer », écrit-elle. L’autorité relève juste après que les débats « officieux » (ceux qui ne rassemblent pas tous les candidats, qui ne sont pas organisés en amont avec l’Alia et qui ne sont pas surveillés par elle) nourrissent les inquiétudes des partis. Le régulateur de l’audiovisuel remarque en outre que des télés financées par les communes diffusent la « propagande » des collèges échevinaux. Le rapport révèle ainsi l’amateurisme du contrôle du jeu démocratique. D’abord, l’émergence tardive d’un tel exercice signifie que personne ou presque ne s’est inquiété jusqu’à maintenant de la bonne représentativité des partis dans les médias. Pensait-on que la radio publique 100,7 était trop confidentielle pour exercer un rôle significatif en vue d’un scrutin ? Jugeait-on que la mission de service public déléguée à l’omnipotente RTL se régulerait d’elle-même ? Un entre-soi a prévalu médiatiquement et politiquement pendant plusieurs décennies. Faut-il y voir un signe ? La coalition qui légifère pour la première fois sur l’observation médiatique des campagnes a dans ses rangs un parti qui ne siège pas au conseil d’administration de CLT-Ufa  : Déi Gréng.

La vie politique s’atomise. Par son nombre de partis et par ses lieux de représentation. L’Alia, tigre de papier qui a toujours réclamé plus de compétences et de moyens, voudrait donc voir plus large. Bien plus large. Une régulation « efficace » de la campagne électorale médiatique devrait prendre « en compte de tous les médias audiovisuels et sociaux qui offrent des services de télévision, de radio, ou d’internet, y inclus les réseaux sociaux, destinés au public résident, et s’il ne faut pas en sus y inclure la presse écrite. » L’autorité de l’audiovisuel cible le législateur et son absence de volonté politique. La limitation de ses compétences serait appliquée à escient. Pour ne pas que les chevaliers de la table ronde mettent trop leur nez dans la forêt obscure et parfois dangereuse du débat démocratique.

Pierre Sorlut
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