Chroniques de l’urgence

Meat your fate

d'Lëtzebuerger Land du 08.05.2020

Les effectifs des usines de conditionnement de viande aux États-Unis, composés en majorité d’immigrés latinos, sont frappés à tour de bras par le Covid-19. À Smithfield, dans le Dakota du Sud, avec 700 cas, une usine du producteur de volailles Tyson Foods est devenue un des pires foyers d’infection d’Amérique du Nord. Ces usines d’équarrissage et d’emballage jouent depuis des décennies au chat et à la souris avec l’OHSA, l’agence chargée de la santé et de la sécurité au travail. Ces dernières semaines, elles sont devenues des foyers de contamination et de décès dus au Covid-19 aux taux effrayants.

Pas par hasard. À l’usine JBS de Greeley, dans le Colorado, lorsque le premier cas a été notifié le 26 mars, les ouvriers se sont vu offrir cinq livres de viande hachée chacun pour les remercier de leur assiduité, et le travail a continué comme si de rien n’était. Certaines usines ont fait miroiter à leurs ouvriers une prime s’ils travaillaient un mois sans absence – exactement le contraire de ce qu’il aurait fallu faire pour endiguer la propagation du coronavirus. Créer des postes de travail séparés avec des parois en plexiglas ? Impossible la plupart du temps, les chaînes de production étant conçues pour que les ouvriers travaillent épaule contre épaule. Souvent, les syndicats ont dû batailler ferme pour que des équipements de protection personnels adéquats soient mis à disposition des employés.

Fermer momentanément ces usines pour préserver les ouvriers, déjà exposés en temps normal à des risques sanitaires anormalement élevés, devrait aller de soi. Sous la pression des syndicats et de l’opinion, une vingtaine s’y sont résolues. Mais après que le CEO de Tyson Foods eut publié la semaine dernière dans le New York Times une publicité prévenant du risque de pénurie de viande si ces usines devaient rester fermées à cause de la pandémie, la Maison Blanche s’en est mêlée. La production de viande faisant partie aux yeux de son occupant des services essentiels à la vie de la nation, il a signé un « executive order » qui contraint les abattoirs et usines produisant de la viande (volaille, porc, bœuf) ou des œufs à poursuivre leur activité. L’acte, qui s’appuie sur le « Defense Production Act » destiné aux situations de guerre, qualifie leurs usines d’« infrastructures critiques ». Elaboré en concertation avec les dirigeants de ces usines, il délie ceux-ci de toute responsabilité à l’égard des cas de Covid-19 frappant leurs ouvriers.

Alors que, pour émettre moins de carbone, il faudrait d’urgence consommer moins de viande, des entreprises qui en produisent sans prendre d’égards pour leurs employés choisissent d’exposer ceux-ci à une maladie grave pour pouvoir poursuivre leur activité à qui mieux mieux. Et l’exécutif leur vient en aide. Un résumé saisissant de l’insoutenabilité de notre mode de vie.

Jean Lasar
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