Tzeedee

Après eux, le déluge

d'Lëtzebuerger Land vom 28.06.2024

Nous sommes en 2019 à Opderschmelz. Une fête est organisée en l’honneur du départ à la retraite de Danielle Igniti, directrice sortante du centre culturel. La crème de la crème du jazz d’ici et d’ailleurs se succède sur la scène du grand auditoire. Puis, arrivent Michel Pilz, Michel Reis, Pit Dahm et Benoît Martiny et après eux, le déluge. Souhaitant rendre hommage à la programmation aussi pointue que désinvolte de l’intéressée, les quatre cavaliers de l’apocalypse offrent une performance en grande partie improvisée qui grise l’assistance. L’année suivante, en plein confinement, les quatre jazzmen se retrouvent le temps d’un concert à distance dans le cadre des Crazy Quarantine Sessions, série de concerts pré-enregistrés où plusieurs musiciens jouent une partition commune à domicile. À nouveau, on ressent une étincelle. En 2021 enfin, le quatuor est invité à effectuer une résidence artistique en vue du festival Like a Jazz Machine et de l’enregistrement d’un album commun. Le spectacle offert lors du festival est resté dans les annales. Le disque qui en résulte, Mayhem, vient de paraître sur le label belge Badass Yogi Productions. L’occasion de se plonger à nouveau dans un projet hors du commun, difficile d’accès, mais dont l’expérience vaut le détour.

Mayhem, c’est un dix titres pour trois quarts d’heure d’une musique multiforme et multigénérationnelle. Mais c’est avant tout, et il faut le rappeler d’emblée, un album posthume dédié à l’un de ses auteurs, Michel Pilz, géant du jazz européen décédé le 2 novembre 2023. Le clarinettiste effectue donc un dernier de piste en compagnie de Michel Reis, pianiste d’exception, de Benoît Martiny, son improbable binôme des dernières années et enfin de Pit Dahm, ex rookie flamboyant qui jongle le temps d’un album entre ses baguettes et un saxophone. Mayhem commence sur un gong et par une parade dans laquelle les percussions prennent possession de l’enregistrement. Sur Melu-sina, longue pièce de près de dix minutes, le pianiste est déchaîné et la clarinette sonne comme un chant diphonique mongol. Les quatre musiciens sont des chamanes en quête d’absolu. Avec Riverside Drive et Instantly, le quatuor s’apaise et propose une musique élégante mais plus consensuelle. Essaouira est une course effrénée dont on ressort lessivés. A contrario, Lullaby for Leo est une pièce apaisée et optimiste qui redonne des forces. Une reprise mi-figue mi-raisin de Gazzelloni de Eric Dolphy précède le morceau éponyme qui clôture le disque d’une manière folle.

Pilz, Reis, Dahm et Martiny convoquent tout notre imaginaire. Les notes jouées prennent la forme d’une palette aux couleurs infinies. Lorsque les musiciens jouent à l’unisson, il est difficile d’assimiler ce que l’on entend, du moins ce que l’on croit entendre. Accord parfait ou fréquence sombre, chaos ou harmonie, fumisterie ou virtuosité. Les mauvaises langues diront que certaines différences de niveaux sont flagrantes et que la troupe campe parfois sur ses acquis. Reste que le quatuor questionne notre rapport aux sons et à la musique de sorte que chacun y trouvera son compte.

Mayhem est déjà disponible en format vinyle, notamment au CD-Buttek beim Palais (Luxembourg- Ville). L’album sera disponible sur toutes les plateformes de streaming le 5 juillet. Pit Dahm, Benoît Martiny et Michel Reis présenteront Mayhem en trio le 25 septembre prochain au Kasemattentheater
Kévin Kroczek
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