Roulement de tambour. Cette année encore, et pour la septième fois, les équipes du centre culturel Neimënster sont sur le point de réaliser un exploit. Celui de regrouper et de faire cohabiter une semaine durant quatre musiciennes et quatre musiciens venant de pays différents, en vue de la création d’un octet éphémère, le temps d’une soirée. Le festival Reset est devenu un évènement incontournable pour les amateurs de jazz et le public fidèle est donc intraitable. Au programme, le contrebassiste luxembourgeois Marc Demuth, le vibraphoniste britannique Jim Hart, la pianiste japonaise Makiko Hirabayashi, le guitariste finlandais Kalle Kalima, le bugliste et trompettiste belgo-luxembourgeois Rémy Labbé, la clarinettiste française Elodie Pasquier, la saxophoniste danoise Cecilie Strange et enfin, la batteuse allemande Mareike Wiening. Cette dernière, qui n’apparait pas sur les affiches installées à travers la capitale, remplace à la dernière minute sa consœur Eva Klesse, qui s’est malheureusement blessée lors d’un accident de vélo la veille de son arrivée.
Le vendredi 19 janvier au soir, la brasserie attenante à l’abbaye, accueille les huit artistes qui vont à tour de rôle jouer en solo, une dizaine de minutes durant, histoire de faire valoir leurs individualités au sein de ce festival prônant le collectif. La veille, la troupe dispatchée en trois micro-formations, a parcouru le centre-ville dans le cadre du traditionnel jazz crawl et a joué à l’Hôtel Cravat, puis au Scott’s Pub, sous les yeux de 148 personnes (le staff du festival a tenu les comptes). La deuxième soirée est sold out. Ainhoa Achutegui, la directrice de Neimënster, s’en félicite et annonce officiellement que l’aventure se prolongera encore l’année prochaine. Marc Demuth ouvre le bal avec une parade élégante qui vire à la course effrénée. Rémy Labbé poursuit avec son bugle. Le musicien tapote l’embouchure avec sa paume pour une créer une rythmique qui reste en tête, de sorte qu’on croit l’entendre lorsqu’elle n’est plus jouée durant ses envolées. Le procédé fait illusion. Rémy Labbé, en bon prestidigitateur, joue dans le ventre du piano présent sur la scène pour créer de la réverbération, puis se met à jouer du piano avec sa main gauche pour former un duo avec lui-même. Là encore, l’effet fait mouche.
Cecilie Strange fait son entrée sur la pointe des pieds et se cale sur le piano et les derniers râles du bugle. La transition se fait en douceur. Elle entame une marche solide construite sur de longues inspirations et expirations. Chaque numéro est entrecoupé par des interviews des artistes menées par Pascal Schumacher, le curateur du festival. Ce dernier accole le surnom « the sound » à Cecilie Strange, tant il est vrai que la saxophoniste produit un son spécifique. Mareike Wiening propose un set primaire, à défaut d’être étincelant, mais qui semble ravir l’audience. Les entretiens s’enchainent en français, anglais, luxembourgeois et en allemand, laissant certains spectateurs sur le carreau. Nouveau numéro, pour un autre style de jeu, bien plus frénétique. Elodie Pasquier développe une ambiance inquiétante et dissonante, faite de rires et de cri étouffés. Quelques pouffements nerveux se font entendre de part et d’autre de la brasserie. On redoute un fou rire, mais la mèche est rapidement éteinte par le brio de la musicienne. Kalle Kalima propose encore une pièce hybride à la conclusion abrupte et Makiko Hirabayashi brille avec un superbe medley de trois compositions de son cru. Jim Hart clôt la soirée avec un set maitrisé mais parasité par les bips des terminaux de paiement.
Le lendemain, place au concert qui vient célébrer la semaine de résidence et de travail intensif de l’octet qui, et c’est toute la beauté de la chose, ne jouera probablement plus jamais ensemble, dans cette disposition tout du moins. La salle Robert Krieps est bondée. Un dessinateur au premier rang immortalise l’évènement. La formation rame légèrement sur l’introduction, mais finit par trouver son cap sur la composition de Labbé, Close by. On retient un dialogue savoureux entre le piano et le saxophone ténor. Les percussions, quant à elles, sont aussi délicates qu’une mobylette débridée. Elodie Pasquier introduit ensuite une pièce énergique et composée pour l’orchestre. On observe des sourires complices et des clins d’œil lors d’un solo de Kalle Kalima aux petits oignons et tout en saturation. Le guitariste fait du scratch sur son instrument comme s’il s’agissait d’un disque vinyle. S’enchainent encore deux superbes morceaux, l’un porté par Marc Demuth (et issu du projet de son trio Synaesthesia), l’autre emmené par Cecilie Strange et judicieusement appelé The dance. La cohésion du groupe est manifeste sur cette ronde, assez simple mais d’une redoutable efficacité. Jim Hart détonne et frotte les lamelles de son vibraphone avec des archets faits maison (des cintres en bois customisés). Il n’est clairement pas là pour faire de la figuration.
Le concert prend fin avec une composition signée Kalle Kalima, Don’t forget us. Une longue pièce qui s’y perd, mais qui a le mérite de prolonger l’aventure quelques minutes durant. L’ensemble est chaudement applaudi, mais sans excès. Lors du rappel, on se remémore les éditions précédentes et on se dit que celle-ci n’a pas à rougir et soutient largement la comparaison avec ses ainées. Les festivités de ce bon millésime se poursuivent jusqu’à une heure avancée de la nuit. La saison culturelle démarre sur les chapeaux de roue.