Far Away de Caryl Churchill est une pièce remarquable de surréalisme et en même temps de lucidité sur le monde. Elle fut créée en 2000 par une dame d'un certain âge (née en 1938) du théâtre anglais. Après avoir écrit plusieurs pièces à travers les dernières quatre décennies, et cherchant toujours et encore son style et son thème à elle, il émerge dès les années 90 de cette femme, un théâtre profondément engagé. C'est après avoir été en Roumanie à la période de la chute de Ceaucescu qu'elle s'accole à Mad Forest: A Play from Romania qui devient une quasi étude d'un genre théâtral sur les dommages causés à l'être humain manipulé.
Vendredi dernier, à Esch à la Kulturfabrik, l'association ILL (Independant Little Lies) a présenté un travail brillant et pertinent appuyé sur Far Away de Caryl Churchill. Pour dire juste, il s'agit d'une mise en scène de ce texte par Marc Baum avec le jeu de Christiane Rausch, Brigitte Urhausen et Rupert Kraushofer.
Les gradins enfoncés dans la grande salle de concert, au fond à droite, une lumière sobre, peut être même un peu trop timide, un décor subtil et digne de jeunes débrouillards en voie d'une professionnalisation assurée. Les spectateurs nombreux compteront quatre scènes en tout, les unes reliées aux autres par la thématique de la distance parcourue ou à parcourir. C'est difficile à dire, difficile de décrire ce qu'il se passe dans cet étrange univers, une chose est sûre, les personnages se meuvent dans un flot continu de mensonges et d'incompréhensions, soit introduits par eux-mêmes soit injectés par l'état de vie les entourant.
Première scène, deux femmes se rencontrent en pleine nuit, une femme mûre et une plus jeune, visiblement liée par des liens familiaux: tante/nièce. La jeune femme, intelligemment interprétée par Brigitte Urhausen, peu coutumière de l'environnement familial, ne trouve pas le sommeil. Elle a, à son insu, assisté à un drame étrangement inexplicable et plus étrangement expliqué par sa tante (Christiane Rausch). Un meurtre qui se transforme en véritable action humanitaire grâce à plusieurs mensonges. Est-ce bien, est-ce mal, cette forme de manipulation ou de préservation de l'innocence?, se pose comme dilemme au spectateur. Chez Churchill ainsi que dans le travail de Marc Baum, c'est.
Deuxième scène, peut être moins intéressante parce que le metteur en scène a voulu trop esthétiser ou trop animer, les personnages, un jeune homme (Rupert Kraushofer) et une jeune femme (B. Urhausen) se trouvent côte à côte dans une chapellerie préparant des créations pour une future parade. Ils discutent des conditions de travail, pas vraiment équitables, semble-t-il. Ils papotent, se plaignent jusqu'à dénoncer. Et c'est le jeune homme qui entreprend d'affronter cet état des choses. Elle, réticente au départ parce que nouvelle dans la boîte, se laisse influencer par la soif de justice et par les sentiments de l'homme à son égard. Son innocence à elle est remplacée par une naissante rage face aux dénivellement social. Il faut avouer qu'on reste un peu sur sa faim dans cette deuxième séquence légèrement trop entrecoupée de drôles de moments presque chorégraphiés.
Troisième et quatrième scènes à découvrir absolument, d'abord une marche funèbre ou une parade d'un genre glauque (maquillage zombiaque et costumes dépouillés) où défilent vingt comédiens amateurs ou pas, avec leurs stress de la première scène et des visages étranglés par leurs émotions. Ils ont compris un moment fort de la pièce et le transmettent très bien au public.
Et pour la fin, un texte absolument hallucinant, il faudrait pouvoir le lire encore et encore. Et puis une prestation des acteurs, des plus fortes de la pièce. Un certain décalage, une certaine froideur, une certaine lenteur, effets probablement introduits par le metteur en scène et les comédiens par leur appartenance visible au théâtre contemporain germanophone. Quelque chose de l'ordre de Christoph Marthaler. Bien sûr, la pièce en tant qu'entité reste un peu inégale, mais faut-il rappeler qu'il s'agissait d'une première et que Far Away sera encore joué ce weekend, les 26, 27 et 28 septembre à 20 heures à la Kulturafbrik et que ce travail prometteur ne peut que s'améliorer.