Le greenwashing, cette pratique qui consiste à donner une image trompeuse des performances ESG d’une entreprise ou d’un produit financier, est la plaie de la « finance verte ». Dans son souci permanent de l’éradiquer, l’Autorité européenne des marchés financiers (mieux connue sous son acronyme anglais Esma) a décidé le 14 mai dernier que les fonds faisant apparaître l’adjectif « durable » ou le sigle ESG dans leurs noms devront gérer au moins 80 pour cent d’actifs respectant effectivement ces critères. Ce qui devrait notamment les conduire à exclure les producteurs d’énergies fossiles.
La tâche n’est pas mince. En mars 2024, l’ONG Claim Finance a révélé que sur 430 ETF (exchange traded funds) européens se disant « durables », 70 pour cent sont en fait exposés à des degrés divers à des entreprises développant des projets relatifs au charbon, au pétrole ou au gaz. Bien que les préoccupations liées à l’environnement et au climat soient déjà anciennes (avec comme point d’orgue les Accords de Paris en décembre 2015), c’est seulement en mars 2018 que l’UE a annoncé, sous le nom de « Plan d’action pour la finance durable », un ensemble de mesures visant à encourager les investisseurs à diriger davantage de capitaux vers des activités liées à la transition écologique, grâce en particulier à une meilleure transparence des entreprises et des produits.
Dans la foulée est apparue toute une série de directives et de règlements (SFRD, CSRD, taxonomie verte) tandis que des dispositifs existants (directive MIF 2, DDA) étaient adaptés à la nouvelle orientation. Peu après leur publication, certains textes ont dû être précisés et complétés pour en faciliter l’application. Il en a résulté un « mille-feuille réglementaire » (certains ont parlé de tsunami), complexe et coûteux à appliquer, et quelque peu contradictoire avec l’orientation libérale des institutions européennes. D’autre part, toute réglementation nouvelle incite certains de ceux qui y sont soumis à la contourner ou à en exploiter les failles. D’où la nécessité d’une révision quasi-permanente des dispositions mises en place.
Le « cœur du réacteur » est constitué par le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans les services financiers (SFDR, pour Sustainable finance disclosure regulation), voté en 2019 et entré en vigueur en mars 2021. Il exige que les banques, les compagnies d’assurance, les entreprises d’investissement et les autres institutions financières rendent compte de leurs pratiques d’investissement durable aux investisseurs dans un format standardisé, afin que ces derniers puissent prendre des décisions éclairées concernant leurs investissements.
Sa disposition la plus connue, qui s’applique aux sociétés de gestion, est l’obligation de classer leurs fonds en trois catégories. Ceux qui sont conformes à l’article 6 du règlement ne présentent aucun caractère durable. En revanche les fonds conformes à l’article 8 (« vert clair ») mettent en avant des caractéristiques environnementales et/ou sociales et ceux conformes à l’article 9 (« vert foncé ») ont même des objectifs précis d’incidence positive de l’investissement sur l’environnement et la société. Ces deux dernières catégories sont soumises à des règles très strictes en matière d’information. Ainsi, la communication sur les fonds article 9 doit inclure « un indice de référence » correspondant au but choisi ou, à défaut, « une explication de la manière dont l’objectif doit être atteint ».
Fin 2021, 37 pour cent des encours européens dans la gestion d’actifs relevaient de l’article 8, mais à peine cinq pour cent de l’article 9, le plus exigeant. Ces fonds captaient alors deux tiers des nouveaux encours, selon Morningstar. Cette classification a rapidement rencontré des problèmes. Dès avril 2022, un an à peine après la mise en place du SFDR, un « règlement délégué » a obligé les maisons de fonds à revoir avant la fin de l’année leurs classifications, ce qui a provoqué la rétrogradation d’une partie non négligeable de leurs fonds article 9, au profit de la catégorie article 8. Fin mars 2024, les fonds article 9 ne représentaient plus que 2,9 pour cent des actifs tandis que ceux de l’article 8, bénéficiant aussi du transfert de fonds article 6, pesaient près de 56 pour cent du total.
La qualité de l’information est essentielle à la classification correcte des fonds. Or les données extra-financières fournies par les entreprises n’ont jamais été satisfaisantes. C’était déjà le cas avec la NFRD (Non Financial Reporting Directive) entre 2018 et 2023, et cela le reste avec la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable depuis le 1er janvier 2024 aux grandes et moyennes entreprises et aux PME cotées en bourse. Les informations portent trop souvent sur aspects matériels mesurables, donc principalement environnementaux, alors que les sociétés de gestion doivent aussi prendre en considération des éléments non matériels, tels que l’engagement social et la gouvernance, qui se révèlent insuffisants.
De façon plus générale, le SFDR a souffert d’un « problème congénital ». Il a été conçu avant tout comme un régime de publication d’informations visant à fournir aux intermédiaires financiers et investisseurs finaux les éléments dont ils ont besoin. Pour cette raison les législateurs se sont abstenus de définir précisément des concepts tels que « investissement durable », « caractéristiques environnementales ou sociales » ou « prise en compte des principales incidences négatives », leur interprétation étant laissée à la discrétion des professionnels concernés. Un vrai boulevard pour le greenwashing.
Selon Florent Deixonne, responsable de la stratégie réglementaire ESG chez Amundi, si le SFDR « a contribué à une meilleure transparence, ainsi qu’à accélérer la mobilisation autour de la finance durable au sein de l’UE, il n’a pas nécessairement atteint ses objectifs : mettre de l’ordre dans le marché des fonds durables et donner aux investisseurs, notamment aux épargnants particuliers, les bons outils pour faire des choix individuels ». C’est pourquoi la Commission européenne a lancé en septembre 2023 une vaste consultation sur une refonte du SFDR. Une des questions-clés est de savoir s’il convient de remplacer la classification actuelle par un système plus clair à quatre catégories, inspiré du dispositif britannique publié fin novembre 2023, où les fonds des articles 8 et 9 de l’UE sont répartis entre les labels Sustainable Focus, Sustainable Improvers et Sustainable Impact.
Les acteurs financiers semblent très partagés. Néanmoins, selon la Plateforme européenne sur la finance durable, ils seraient globalement « réticents à abolir les articles 8 et 9, car cela pourrait entraîner des coûts et des changements substantiels », au profit d’une (nouvelle) amélioration de l’existant.
Préférences
Entrées en application en août 2022, les révisions de la directive MIF 2 (marché d’instruments financiers) et de la directive sur la distribution d’assurance (DDA) imposent aux intermédiaires « offrant un conseil en investissement ou un service de gestion de portefeuille » de recueillir les préférences de durabilité́ de leurs clients avant de leur proposer un placement financier intégrant les critères ESG. Le nombre et la forme des questions sont libres à condition qu’elles portent sur trois points : la proportion de l’investissement que l’on souhaite dans des activités considérées comme durables sur le plan environnemental par la classification européenne de 2020 (« taxonomie ») ; la proportion de l’investissement que l’on souhaite dans des « investissements durables » au sens du SFDR ; les modalités de prise en compte des « principales incidences négatives » de l’investissement (par exemple : émissions de gaz à effet de serre, déchets dangereux, violation des droits de l’homme, etc.).
En France, l’Autorité des Marchés Financiers a publié le 6 juin les résultats de 182 « visites-mystères ». Les préférences en matière de durabilité ne sont abordées que lors d’un rendez-vous sur deux, plus souvent dans les cas de souscription. Seul un conseiller sur cinq les explique de manière détaillée. Des questions explicites sur ces préférences ont été posées lors d’un rendez-vous sur trois seulement. Dans deux tiers des rendez-vous, il n’y a pas eu d’explications sur la taxonomie, le SFDR ou les principales incidences négatives (PAI). D’autres études ont montré le faible degré de compréhension par les clients ou prospects des concepts, termes, tableaux ou graphiques qui leur sont présentés.Pour le moment aucune proposition d’amélioration du dispositif n’a été émise.
La notation en question
En janvier 2021, l’Esma s’est émue de la « nature non règlementée et non supervisée » du marché de l’ESG. En cause, les agences de notation extra-financière ESG, critiquées pour leur opacité et souvent accusées d’encourager le « capitalisme woke » ou de favoriser le greenwashing. Suite à une proposition de la Commission publiée en juin 2023, le Parlement européen et le Conseil ont conclu en février 2024 un accord provisoire visant à garantir une plus grande transparence et un meilleur contrôle des agences de notation ESG.
Toutes celles basées dans l’UE seront désormais agréées et supervisées par l’Esma. De plus, elles auront l’obligation (qui ne figurait pas dans la proposition initiale de la Commission) de fournir des notations environnementales, sociales ou de gouvernance bien distincte. En effet une note unique est inappropriée, un excellent score dans un domaine pouvant cacher des résultats désastreux dans un autre. Ainsi S&P Global a attribué à Tesla une note ESG globale deux fois inférieure à celle attribuée au fabricant de cigarettes Philip Morris (40 contre 85). Le LSE britannique classe aussi Tesla en-dessous de Philip Morris. Dans les deux cas Tesla reçoit une note ESG plus faible qu’ExxonMobil. Cette législation ambitieuse, qualifiée d’« historique », apportera plus de transparence dans l’attribution des notations ESG dans l’UE, mais faute d’accord sur les méthodologies, ne permettra toujours pas de comparaison entre les notes des différentes agences.